Il n’est question de peinture ni dans le Van Gogh de Maurice Pialat, ni dans celui de Vincente Minnelli. Pourtant, le premier a peint, pourtant, le second n’a jamais cessé d’évoquer son amour pour l’impressionnisme. Dans les deux films, celui de 1956 et celui de 1991, il s’agit de faire le portrait d’un pur.


Le Van Gogh de Pialat, qui aurait, de son propre aveu, volontiers préféré tourner un film sur Seurat, est un bras cassé, un « grand malade » comme le lui hurle à la figure Marguerite (Alexandra London, dans l’ombre de Sandrine Bonnaire), exaspérée par le mutisme de son amant, dans le train qui les ramène à Auvers-sur-Oise. Kirk Douglas, lui, s’est rendu malade d’avoir couru après le rêve d’une vie conjugale que sa cousine récemment veuve lui refuse et qui ne sera que de brève durée avec la prostituée rencontrée dans un bistrot de La Haye. Les silhouettes dégingandées de Kirk Douglas et de Jacques Dutronc tentent à se confondre, parfois, au milieu des champs de blé.


Cependant, le parallèle s’arrête là, tout oppose Minnelli et Pialat dans le travail d’analyse du mythe Van Gogh. Pour Pialat, la question Van Gogh est liée au monde qui meurt avec lui à Auvers-sur-Oise, celui du joyeux bordel parisien où l’on danse en rang d’oignon comme dans une fameuse scène du Massacre de Fort Apache et celui des marges sociales absorbées par la rutilante bourgeoisie qu’incarnent aussi bien le risible docteur Gachet (Gérard Séty) que le traître de frère, Théo (Bernard Le Coq) et sa femme Jo, pour laquelle, le désir parfois affleure. Et sur le seuil de cette disparition se tient le chétif Vincent Van Gogh, qui, égaré dans un monde toujours plus gris, perd peu à peu le sens des couleurs. C’est d’ailleurs ce que lui reproche Marguerite que Van Gogh a habillé d’une robe maronnasse. Il est déjà trop tard pour Vincent et même la mer qu’a peint Cézanne, ressemble à du carton.


De peinture il ne sera donc question qu’à l’occasion d’un gros-plan célèbre dans lequel on voit la main de Pialat, épaisse, hors-sujet d’un sens, travailler un aplat de couleur. Pialat évite adroitement le piège de la lourde reconstitution historique. Surtout pas de chapeaux, l’écran ne saurait servir de toile peinte, la peinture n’est perceptible que sous la forme de délicates suggestions, de cadrages singuliers au moyen de portes entrouvertes (John Ford n’est décidément jamais très loin), de fenêtres par lesquelles entre un grand soleil, qui dessinent autant de frontières entre l’intérieur – Marguerite au piano, de profil – et l’extérieur – Vincent à qui on rappelle l’heure du déjeuner -. Tout se joue là, entre les noirs recoins de la psyché de Vincent, « vous êtes un grand artiste mais un homme mauvais » lui assène le Dr Gachet, et le sourire solaire, en bord de cadre, d’une Marguerite filmée en gros-plan, qui batifole dans l’herbe avec Vincent avant que ce franc sourire soit recouvert d’une voilette à la fin du film.


Minnelli, lui, aura eu besoin des toiles originales gracieusement prêtées par les musées du monde, mais aussi des décors parisiens de carton-pâte en fond de plan. Pialat, lui, s’attache à la texture des choses, aussi bien à leur rudesse qu’à leur caractère indicible. Ainsi, on n’entend littéralement pas Jacques Dutronc parler, mais peut-être parce qu’il n’a plus rien à dire, il voulait simplement finir sa gratinée. Jamais Minnelli ne stylisera l’inachevé. Alors que grâce au visage baigné de larmes de Marguerite, à la mort de Vincent, la tristesse durera toujours.

Marthe_S
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le 15 mai 2021

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