Victor Victoria par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Dans le Paris des années 1930 Victoria Grant, une jeune chanteuse sans le sou, cherche, mais sans succès, un emploi à sa mesure dans les cabarets. Expulsée de sa chambre d'hôtel et mourant de faim elle fait la connaissance de Carroll Todd dit "Toddy", un vieil homosexuel opportuniste et artiste dans l'âme. Devant le veto que subit la jeune femme dans le milieu du spectacle, il lui vient une idée formidable: faire passer Victoria pour un gay et lui demander de faire un numéro de transformisme. Le succès de Victoria, devenue Victor, est fulgurant et le trouble est dans tous les regards. Les femmes comme les hommes sont fous de sa voix, de son talent et de sa beauté, à tel point que King Marchand, un gangster notoire, se met à ressentir un penchant plus qu'affectif pour Victor. Toutefois celui-ci aiguise les doutes et certains mettent tout en oeuvre pour savoir si le transformiste est une femme ou un homme.


Il est vrai que l'existence tourne au calvaire pour Victoria Grant venue à Paris dans l'espoir de faire carrière comme chanteuse. Sa voix est superbe et les verres de cristal ne résistent pas à ses vocalises. Son minois et son physique sont des atouts plus qu'appréciables pour les directeurs de music-hall et pourtant les portes se ferment. Jetée à la rue par l'hôtelier, sans argent, elle n'a plus pour fortune qu'un cafard qu'elle cache précieusement dans son sac afin d'user d'un stratagème pour pouvoir se nourrir gratuitement. C'est alors que le miracle se produit, elle rencontre "Toddy", cet homosexuel d'un certain âge, mondain et débrouillard, chanteur de son état, qui va avoir la lumineuse idée de transformer secrètement Victoria en comte Victor, transformiste de talent. Victoria va alors se prendre au jeu et profiter de toutes les ambiguïtés de sa situation "bisexuelle". Elle va réussir à gagner la curiosité d'un public fervent. Elle triomphe dans ses tours de chant, elle danse d'une façon divine. En fait le spectacle tourne presqu'entièrement autour de son personnage. Son pouvoir de séduction est si grand, qu'elle soit fille ou garçon, que même un gangster très macho comme King Marchand se laisse prendre à ce jeu. D'abord subjugué il tombe amoureux de Victor et se dit prêt à goûter au sexe masculin. Alors celui-ci se fait discréditer auprès de ses complices mais rien n'y fait, son attachement pour Victor reste aussi tenace. Victor, Victoria, le public en redemande. Le doute sur sa sexualité s'amplifie à tel point que les filatures vont bon train avec plus ou moins de bonheur. A la lumière du Comte Victor, certains hommes émoustillés finissent par avouer leur penchant homosexuel, secret jusque là bien gardé. Mais au bout de tout cela, Victoria pourra t-elle avoir longtemps le goût et la force de jouer ce double personnage?


Lorsqu'en 1933 le réalisateur allemand Reinhold Schunzel eut la bonne idée de réaliser "Viktor und Viktoria" il ne se doutait pas qu'un demi siècle plus tard un réalisateur de grand talent, Blake Edwards, ferait un remake de cette comédie musicale et ferait étalage d'un talent fou. Le sujet est sérieux, parfois dramatique pour deux raisons. La première nous montre toutes les difficultés d'une femme sans soutien pour s'imposer malgré des dons incontestables, ici dans le chant. La seconde est relative à l'homosexualité mal ressentie et dont le sujet était tabou. Sous la baguette du réalisateur, les tabous volent en éclats. Victoria assume fort bien ses deux rôles et en joue. Devant cet état de fait, certains font des révélations étonnantes sur leurs penchants sexuels. Si comme je viens de l'écrire les tabous volent en éclats, c'est que Blake Edwards utilise les armes de l'humour et du burlesque, la beauté de la musique et des ballets, l'originalité de la mise en scène et l'efficacité des dialogues. Lorsque Victoria chante en solo les beautés de la musique et des paroles nous subjuguent. Victoria vidant sa chambre et titubant de faiblesse et de faim sur le trottoir est un instant d'émotion. Puis, tout à coup l'optimisme fait son apparition, balayant le ciel gris de sa vie. Alors nous entrons dans une comédie musicale somptueuse et réaliste parsemée de gags totalement inattendus et hilarants. La scène du cafard au restaurant est un joyaux et ce film nous en fait découvrir bien d'autres. Et puis bien sûr, je n'en arriverais peut-être pas à tant d'éloges sans l'interprétation inoubliable de Julie Andrews aussi belle en fille qu'en garçon. Elle nous expose en plein jour tout son talent de comédienne classique et de meneuse de revue. La prestation de son "chaperon" Robert Preston est assez sensationnelle. En homosexuel artiste et paré d'un culot monstre, il nous gratifie d'une magnifique prestation. James Garner n'est pas mal non plus dans son personnage de gangster flambeur et homme à femme, se transformant en coeur d'artichaut devant celui ou celle sur lequel son coeur a jeté son dévolu. La chorégraphie est d'un très haut niveau et bénéficie de l'appui du compositeur fétiche du réalisateur: Henry Mancini. A ce concert d'éloges, il ne faut surtout pas oublier le fabuleux scénariste qui n'est autre que... Blake Edwards !


Pour toutes les raisons que je viens d'invoquer, vous ne pouvez passer à côté de ce chef-d'oeuvre. En effet ce film, c'est du champagne à déguster sans modération, c'est, en plus une remise en cause de certains tabous qui se perpétuent à travers les époques, de beaux instants d'émotion avec aussi des moments de fous rires efficaces. Merci Monsieur Blake Edwards pour ce moment inoubliable !


•Oscar, 1982, meilleure chanson originale et son adaptation : Leslie Bricusse et Henry Mancini
•Golden Globe, 1982, meilleure actrice (Comédie/Comédie musicale): Julie Andrews
•National Board Of Review 1982, meilleur second rôle : Robert Preston
•Writers Guild Of America Awards, 1982,

Créée

le 20 janv. 2014

Modifiée

le 10 mai 2013

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