Un plan séquence unique étiré sur plus de deux heures de film, des personnages attachants, brillamment écrits, une réalisation impeccable et quelques maladresses, voilà comment on peut voir Victoria au premier abord. Pourtant, malgré la prouesse technique, le film ne se limite pas à un exercice de style.


Le procédé narratif utilisé ici est avant tout au service de l'oeuvre et de l'histoire. Le plan séquence nous attire dans le film et nous fait suivre Victoria, jeune espagnole venue vivre à Berlin pour des raisons qui lui sont propres tout au long de cette fin de soirée dans la capitale allemande. Le rythme est éreintant tant il permet l'immersion du spectateur dans ce que pourrait à première vue devenir une histoire tout à fait banale de tout européen s'installant en pays étranger et provoque une marche en avant forcée, la découverte de copains de soirées et la curiosité qui en résulte.


Victoria est seule depuis trois mois dans la capitale allemande et ne connait personne. Elle a envie de s'amuser et de profiter de la vie nocturne. En sortant de boîte, elle rencontre Sonne et ses amis qui lui proposent de lui faire découvrir le vrai Berlin, l'envers du décor et pas seulement la vision touristique de la ville. Sans trop hésiter, la jeune femme va suivre cette bande attachante tout en comprenant dès le départ qu'elle pourrait avoir des ennuis. Pourtant, elle s'ennuie et décide finalement de suivre la joyeuse bande, fêtant l'anniversaire de l'un des leurs pour continuer la soirée et éviter le train train quotidien qui l'attend dans son café dès 7h le matin.


Combien de fois ne s'est-on pas vu déambuler dans les rues après une soirée bien arrosée, riant, cherchant un peu la bagarre et ne voulant pas arrêter un si bon moment ? En cela, la première partie du film est très représentative de la réalité et c'est en cela qu'elle amène la deuxième partie, centrée sur le braquage de la banque au mieux et permet de toujours plus croire en cette chaîne d'événements toujours plus dramatiques.


La recherche du night shop, la virée sur le toit et puis la séduction dans le café sont d'autant plus d'éléments qui donnent à s'attacher aux personnages allemands ou espagnols, français ou anglais, finalement peu importe. On en apprend suffisamment de leurs passés et de leurs caractères pour se faire une première impression et accepter ou non cette virée en territoire inconnu. Le problème c'est que comme dans pas mal de cas, la situation tourne mal.


La bande doit un service à un malfrat et se voit contrainte d'effectuer un braquage de banque dans la minute pour voler 50 000€ dans un coffre. Il faut être quatre. Trois braqueurs et un chauffeur. Sauf que le chauffeur est trop imbibé pour effectuer sa part du travail et donc c'est à Victoria de le remplacer parce qu'elle le veut, parce qu'elle a envie d'aider cette joyeuse bande et de s'intégrer au groupe mais aussi parce qu'elle recherche un peu de piquant dans sa vie somme toute assez monotone. Il n'y a qu'à la voir désespérée au bar de la boîte au début du film draguer le serveur qui se fiche pas mal de savoir si elle existe. Elle est seule en territoire inconnu et cherche l'affection de n'importe qui.


On s'en doute le braquage tourne mal et sans dévoiler le reste de l'intrigue, on peut juste dire que la tension monte très vite pour ne jamais vraiment redescendre, le procédé narratif étant alors un élément indispensable à ce que le scénario du film, classique, prenne toute son ampleur. Le caméraman est haletant et nous offre sa vision des choses. Comme la cinquième personne de la bande de braqueurs, muette et sobre, qui prend conscience de la bêtise de la situation.


On n'a pas vraiment le temps de s'ennuyer même si les scènes dans la voiture ne sont pas forcément palpitantes, voire même laisse une sensation de mou dans un film qui cherche à faire monter l'adrénaline du spectateur toujours plus jusqu'au point de non retour à la fin du film. C'est d'ailleurs là la limite du film : à trop vouloir impliquer le spectateur, on peut le perdre, si tant est que l'histoire ne l'intéresse pas. Pourquoi Victoria accepte-elle de conduire la voiture ? Cela n'a aucun sens si l'on y réfléchit. L'aurait-on fait ? Non. Oui. Peut-être.


Victoria est un OVNI dans la forme et dans le fond, présentant le cinéma du réel dans tout ce qu'il y a de plus simple et sans tomber dans les travers de ce genre de production. Si à certains moments, on risque de perdre un peu l'intensité dramatique, il n'en reste pas moins que le film est brillamment orchestré et parfaitement filmé même si la caméra tremble un peu - on s'y fait vite. Une expérience à vivre plus qu'une histoire à suivre, Victoria restera dans les mémoires sans pour autant forcément nécessiter de second visionnage. @Veather en conviendra, le film est marquant, tant et si bien qu'on ne ressent pas le besoin de le revoir. Sa critique adopte un autre point de vue mais reste tout aussi pertinente, on la conseille fortement.

Carlit0
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le 8 juil. 2015

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Carlit0

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