On pénètre dans l'univers nocturne de Vitalina Varela comme dans un rêve empreint d'une noirceur tamisée, à la frontière du cauchemar sans jamais y sombrer vraiment. L'actrice-personnage dont le film porte le nom est une Cap-Verdienne qui arrive à Lisbonne quelques jours après l'enterrement de son mari, ce dernier s'y étant exilé pour travailler il y a une trentaine d'années. Pour retranscrire son long voyage au bout de la nuit portugaise, Pedro Costa (et son chef opérateur) a confectionné une ambiance littéralement extraordinaire, flirtant avec le surnaturel, d'une beauté sans nom. Une image qui hypnotise dès les premiers instants du film. Une série de plans fixes oscillant entre les ruelles bordées de pierres humides de la capitale et des intérieurs en clair-obscur faisant souvent penser davantage à de la peinture qu'à du cinéma. Le visage de Vitalina, souvent capturé en plan serré au milieu d'une raie de lumière qui perce dans l'obscurité, ponctuellement fendu par une larme magnifique, est un tableau à lui seul.


On peut en revanche regretter que le parcours de cette femme, à la recherche de l'histoire de son mari fragmentée en mille morceaux, accompagnée d'un (vrai) prêtre, se maintienne volontairement à un tel niveau d'hermétisme. Pour aller plus loin que l'état de sidération, il aura manqué la consistance un peu plus prononcée d'un fil narratif mieux charpenté, même si la poésie vaporeuse de la narration ne s'accorde pas si mal, en l'état, avec la dimension déstructurée de cette quête contre des démons enfouis dans le passé. Comme si la fulgurance esthétique, presque tétanisante, écrasait le reste de tout son poids et enfermait en un certain sens Vitalina Varela dans la coquille de l'exercice de style un brin ésotérique. Mais quel exercice de style... Un de ceux qui laissent une marque intime, même s'il n'atteint jamais la transcendance à laquelle il semble aspirer.


Au-delà du raffinement plastique qui plonge et nous immerge dans les ténèbres d'un quartier de Lisbonne, presque intégralement englouti dans la nuit (à l'exception de la scène finale, un flashback succinct, un bref retour au Cap-Vert, presque surréaliste en comparaison), c'est la hantise de Vitalina qui insuffle au film tout son mouvement. À son obsession pour en savoir plus sur son mari échoué dans la ville, on lui répondra "il n'y a rien pour toi ici". Dans ce labyrinthe crépusculaire, perdue au milieu des silhouettes d'hommes et de femmes qu'on distingue souvent par bribes, seules de rares éclaircies se fraieront un chemin à travers un air aussi irrespirable que mystérieux.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Vitalina-Varela-de-Pedro-Costa-2019

Morrinson
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le 16 sept. 2020

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Morrinson

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