6,75/10
Ce qui fait sans doute la grande force du film, c’est le regard de Steinbeck qu’on y sent, pessimiste mais passionné, s’attachant à ses personnages sans pouvoir se démordre de son cynisme politique. On ne sait en effet plus à la fin à quel saint se vouer : si aucun véritable changement ne peut venir d’en haut, où le pouvoir et l’ennui du pouvoir transforment les hommes, le changement par en bas qui est proposé non sans humanisme amène à la guerre permanente, et conduit même les partisans de Zapata mort à se mentir pour se persuader qu’il est encore en vie, et ainsi remplacer un homme qui n’est toujours qu’un homme par une idée, fausse mais fédératrice, abstraite mais plus forte et solide. En quoi ils rejoignent d’ailleurs le spectateur : on n’aime pas Zapata. On éprouve parfois pour lui de vives bouffées de sympathie, mais celles-ci vont surtout à son honnêteté marmoréenne, à son franc-parler, à son amour pour ses hommes, moins au personnage que Kazan semble chercher à éloigner de nous, en nous montrant un regard ennuyé, morne et mort, plus remarquable encore que la représentation de sa corruption et par sa cause (l’assassinat de son ami, sa négligence de son épouse) et par le pouvoir. A l’exception de la longue pause consacrée à la paix, manifestant la tentation du repos pour Zapata, le rythme est soutenu, les ellipses appréciables (qui ne donnent pas plus à voir d’interminables combats que, par exemple, une lente progression vers la rébellion d’un nouveau Spartacus), pour un film sans ennui, mais pas sans une lourdeur toute volontaire, belle démonstration de la capacité de Kazan à produire de la tension (la lourdeur écrasante du soleil de plomb quelque part), pendant les exécutions ou l’assassinat final, orchestré de main de maître. Ne nous y trompons pas cependant, le nom de Steinbeck est un argument publicitaire qui fait mouche, conférant richesse et relief à des dialogues qui sans cela eussent pu paraître tout à fait quelconques. Mais il y est, et tout autant que les noms d’Elia Kazan, de Marlon Brando, d’Anthony Quinn, et de toute la distribution d’ailleurs, sa figuration fait honneur au film comme au porteur.