Cinq ans après avoir évoqué le touchant récit d’adolescentes faisant face à une maternité soudaine dans 17 filles, les sœurs Coulin présentent leur nouveau film et sont directement propulsées à Un Certain Regard après avoir été révélées à la Semaine de la Critique en 2011. Avec sa sœur Muriel à la réalisation, Delphine Coulin adapte son roman Voir du Pays, très remarqué en 2013 (Révélation Roman Français pour l’Express) qui retrace le parcours de deux femmes militaires envoyées en sas de décompression dans un luxueux hôtel chypriote avec toute leur unité. Mais en ressassant le passé, il sera difficile de ne pas faire resurgir la nature de ces soldats confrontés à la violence pendant des mois.


Il faut croire que le cinéma français a à cœur de traiter du conflit afghan, un an après le viril Ni le ciel, ni la terre de Clément Cogitore qui évoquait la perte de raison des soldats français, embourbés dans une guerre sans fin. Ici, les sœurs Coulin livrent un film au propos fortement féministe en adoptant le point de vue de deux filles marquées physiquement et psychologiquement par la guerre et qui devront faire avec leurs séquelles et affirmer leur place dans une unité ayant du mal à retrouver ses repères, dans un monde aux antipodes de ce qu’elles ont vécu en Afghanistan. Le « Voir » du titre du film est un verbe intéressant tant il est utilisé à plusieurs fins dans le film. Après une opération militaire qui a mal tourné, chacun profite du sas pour exprimer son point de vue. Ce stage soutenu par l’armée les oblige même à revivre l’événement grâce à un casque de réalité virtuelle. Il est intéressant de noter que la première image du film est un plan large à l’intérieur d’un avion où toute la section a les yeux bandés par des masques, pour pouvoir dormir. Ariane Labed (The Lobster, Fidelio l’Odyssée d’Alice) se réveille à cet instant dans un léger sursaut en se débarrassant de son masque de nuit. Une métaphore intéressante quoique démonstrative de l’impossibilité de fermer les yeux aussi facilement sur des événements aussi traumatiques. Et dans tout ça, il faut encore que les femmes présentes dans l’armée supportent un mépris général de la part des hommes. Il ne fallait pas moins qu’Ariane Labed et Soko pour porter un tel film et en faire un témoignage universel de l’impossible retour à la réalité des soldats et de la difficile condition des femmes dans l’armée. Bien qu’elles interprètent deux femmes contraires (une douce et l’autre forte), les deux actrices s’avèrent suffisamment en retenue pour ne pas tomber dans la caricature. Elles sont des femmes qui assument aussi bien leur caractère difficile, marqué par la guerre, que leur féminité revendiquée. C’est là tout le propos de ce film qui tend à redonner la place des femmes dans l’armée, trop souvent oubliées.



Sans être un mauvais film, Voir du Pays laisse sur sa faim en oubliant d’aller au fond de son sujet. Restent les performances d’Ariane Labed et Soko, toutes deux convaincantes.



Mais en évoquant uniquement en surface le sujet sensible qu’est le harcèlement des femmes dans l’armée, les sœurs Coulin délivrent une partition attendue et sans audace du délicat retour au pays des soldats envoyés au front. Les cinéastes développent des pistes et les enjeux des personnages mais oublient de les traiter en profondeur. Quel regret de porter l’attention sur un maître-chien et de l’oublier aussitôt, ou de laisser planer le doute sur les intentions des locaux qui voient d’un mauvais œil ces soldats. Tout ça participe à l’inaboutissement d’un film qui avait un formidable (et trop rare) matériau à traiter. Le problème, c’est qu’alors le récit ne peut s’empêcher de tomber dans les poncifs du genre, en faisant état du racisme ambiant dans l’armée ou du prévisible retour des instincts primitifs de ces hommes affamés. Pire encore, son dénouement en laissera plus d’un frustré après avoir assisté pendant tout le film au combat de deux femmes, tenant tête face aux hommes. Visuellement sans audace, Voir du Pays semble également lorgner du côté de l’exposé théorique de tous les stress post-traumatiques ainsi que les rapports paradoxaux entre les hommes et les femmes, comme dans un petit manuel, bien appliqué.


On peut difficilement être déçu par ce second long métrage qui évoque des thématiques intéressantes et peu entrevues dans le cinéma, mais il est regrettable qu’elles soient traitées à certaines reprises par des lourdeurs agaçantes. Il manque également la puissance et la tension qui sied bien à ce genre de films militaro-dénonciateurs dont les Américains sont les plus fervents représentants (Jardhead, Rambo, etc.). Néanmoins Voir du Pays est un film qui a le mérite d’exister par le traitement d’une situation encore très taboue dans le cercle militaire. Il permettra de faire réfléchir certains esprits et de se placer comme un bon exemple de ces films qui donnent aux femmes l’importance qu’elles méritent. Honorable mais terriblement imparfait.


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Softon
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le 29 août 2016

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Kévin List

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