J'abordais le revisionnage de ce film avec quelques appréhensions, ne l'ayant pas revu depuis l'adolescence j'en gardais des souvenirs de scènes difficiles, voire effrayantes.
Mon regard a évidemment bien changé et, si l'on ne peut nier la dureté de certains passages et la grande détresse qui transpire tout au long de ce drame, ce n'est pas tant la violence physique ou la peur qui m'ont frappées.
D'ailleurs, en une sorte d'avant-propos, je tiens à exprimer mon désaccord avec le résumé proposé sur SensCritique, lui-même repris sur Wikipedia.
Il tient d'une part pour acquis le fait que Randle simule la folie pour éviter la prison.
Ensuite, que seul un élan humaniste le motive à fomenter une rébellion dans cet hôpital psychiatrique, touché par la détresse de ses compagnons d'infortune.
Enfin, que cette décision est réfléchie et rationnelle, mais on en revient ici au postulat de base que Randle est parfaitement sain d'esprit, ce que je conteste.
À mon sens, l'intention du film est justement de laisser le spectateur se faire sa propre opinion concernant la difficile question posée au directeur de l'hôpital : évaluer le degré de folie (ou absence de) chez cet étrange patient qu'est Randle P. McMurphy.
C'est un thème souvent abordé par la suite au cinéma, avant cela ma culture cinématographique ne me permet pas de le dire, mais je pense pouvoir dire néanmoins que cela a rarement été fait avec autant de subtilité, de pudeur et même de sobriété.
Si on ne peut nier la vive critique des méthodes de "soin" appliquées à l'époque aux malades mentaux, Forman n'impose ici pas grand-chose.
Il se pose "simplement" et, selon moi, très justement et adroitement, en observateur.
Lui est témoin, nous sommes juges.
Que Randle soit intelligent ne peut échapper à personne.
Ses tendances psychotiques sont avérées également, et corroborées par des faits.
Mais parallèlement à cela, toute aussi flagrante est sa propension à prêter attention à la douleur des hommes qui l'entourent.
À partager leur souffrance, leur offrir de petites échappatoires, les défendre face à un personnel souvent bien impersonnel, uniquement professionnel.
L'homme prend évidemment un malin plaisir à s'opposer à l'autorité, et il serait réducteur d'en faire un bienfaiteur désintéressé.
Bien sûr que ce rôle d'agitateur lui procure une satisfaction toute personnelle et égoïste.
Mais il n'hésite pas à la mettre au service des autres lorsque l'occasion se présente. Quitte à se mettre en danger.
Présenter des déséquilibrés, dangereux ou non, sous un jour même pas nécessairement sympathique, simplement "normal", provoquer la compréhension voire la compassion n'est pas chose facile.
C'est un lieu commun mais la folie fait peur. Plus globalement, la différence fait peur.
Toujours avec beaucoup de délicatesse, Forman parvient à nous amener sur le terrain de la réflexion.
Nous interroger sur le regard que nous portons sur ces personnes, ces êtres humains, le message que nous leur adressons ainsi et les choix conscients ou non que nous prenons et/ou laissons faire au nom du bien de la société.
Son immense talent réside "seulement" dans sa neutralité ce faisant, encore une fois.
Mais c'est bien cela qui fait tout le génie de la chose.
Servi par un casting proche de la perfection, une réalisation qui se fait oublier au profit de l'ambiance, sobre et austère tout comme l'infirmière principale Ratched, c'est un petit bijou du genre, à revoir sans hésitation.