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le 26 janv. 2018
Combat entre le bien et le mal
Troisième film de John Woo à Hollywood après Chasse à l'homme et Broken Arrow, on peut dire que c'est sa grande réussite sur le sol américain, surtout qu'il a dû gérer en plus l'ego de ses 2 stars...
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En l’an de grâce 1997, sors Face/Off (Volte-Face en français), film américain réalisé par John Woo. Troisième métrage au pays des flingues et des burgers pour le hongkongais, celui-ci convoque l'excentricité de ces deux nationalités de cinéma en un seul film, pour un résultat boursouflé mais étonnamment digeste.
Porté par deux stars hollywoodienne, John Travolta et Nicolas Cage, l’intrigue suit une agent du FBI et un terroriste, ennemis jurés, interchangeant de visage. Au-delà des scènes d’actions explosives, la tension du film se crée en sous texte autour du virilisme et de la puissance sexuelle des deux personnages.
Castor Troy, l'antagoniste du récit, campé en premier lieu par Cage, est caractérisé par son pouvoir sur les femmes et son appétit dévorant pour la “chose”. A contrario, le protagoniste, Sean Archer, joué par Travolta, est un loser sympathique, impuissant au lit et ayant perdu le contrôle de sa fille. Le film rentre alors dans une logique perverse où la masculinité des deux comparses est calculée au nombre de femmes dont ils seront, dans le meilleur des cas, les possesseurs.
Troy accumule les agressions sexuelles dès son introduction, et le film, lui, en porte un regard amusé voir désireux. Troy incarne un “mâle alpha”, soumettant les femmes par son charisme et son audacité prétendue. Le viol, exercé dans ces conditions, devient alors une figure de pouvoir et de virilité. Cependant, si un autre homme vient à toucher de la même manière aux possessions de ce dernier, le viol est traité comme un affront à régler entres hommes. Troy, sous les traits de Archer, passe à tabac un agresseur s’en prenant à la fille de ce dernier, même fille pourtant qu’il désire et qu’il agressera plus tard dans le film. La fille, par ailleurs, ne se laisse pas faire face à son harceleur, étant un banal petit con - normal me direz-vous et vous auriez raison ; cela dit les précédentes victimes de Troy se laissent bien volontairement malmener, lui, étant présenté comme charismatique et assuré.
Le film semble alors émettre l’idée qu’il y aurait un bon et un mauvais viol. Autrement dit, un viol doux. Idée fausse et fermement combattu par le concept sociologique dit de “culture du viol” ; concept visant à démontrer la banalisation et l’érotisation de tout types d’agressions sexuelles en une société (américaine plus particulierement, voilà qui tombe bien !). Si Troy vient en aide à la demoiselle en détresse ce n’est pas par compassion ou devoir moral mais pour assouvir sa domination et démontrer sa virilité à ses pairs. Pendant ce temps là, le pauvre Sean Archer est bloqué en prison sous les traits de son persecuteur, pendant que celui ci couche avec sa femme et reluque sa fille. Le spectateur se retrouve alors malgré lui assis sur son canapé en guise de “cuck chair” et assiste à une humiliation fantasmée, aussi désagréable que trépidante. Un tel parti pris, à de quoi questionner le rapport au désir qu'entretient le public masculin avec la gente féminine ; il n’est pas question ici d’aimer mais de posséder. Archer se retrouvera finalement lui aussi dans le lit de la maîtresse de Troy, bouclant la boucle libertine. Ainsi, les femmes deviennent des extensions des personnages masculins, des faire-valoir sexuels, sans volonté propre, à conquérir pour atteindre l’autre.
Alors bien sûr, on pourrait argumenter que Troy est un antagoniste et son rapport aux femmes est évidemment amoral, celui-ci payant de la monnaie de sa pièce au cours d’un climax à la mise en scène hallucinante. Cependant, les images ont un pouvoir, et, on le sait, les “méchants” ont toujours servi de projections à des fantasmes inassouvis de la part du réalisateur ou du spectateur, complice du défouloir présenté à lui. C’est ce que l’on retrouve dans le film d’horreur notamment, comme dans le giallo italien par exemple. Citons L’Oiseau au Plumage de Cristal (1970) de Dario Argento ou Six Femmes pour l’Assassin (1964) de Mario Bava où les meurtres de jeunes femmes en tenues courtes sont filmés avec une grande érotisation, dévoilant le corps galbé et dénudé des victimes pour stimuler l’imaginaire masculin ; le couteau rentrant dans la chaire faisant office de métaphore de la pénétration.
Toute cette instrumentalisation des femmes comme quantification des personnages masculins s’illustre à merveille dans la première séquence d’action du film. Celle de la course poursuite avion/voiture sur la piste d’aérodrome. L’action s’ouvre sur Nicolas Cage aka Castor Troy, en lunettes de soleil et costume bordeaux, qui rejoint ses coéquipiers avant de monter dans l’engin. Ralentis, musique de tension et artifice de mise en scène kitch typique des films d’action hongkongais, tout est là pour nous faire ressentir l’égo surdimensionné et la névrose du personnage. Une fois à l’intérieur du jet, Troy se retrouve face à face avec une hôtesse. Sa première réaction est d’humilier la jeune femme en la faisant s’asseoir sur ses genoux et en lui parlant de ses prouesses sexuelles. Il continue en lui demandant de lui sucer la langue, ce qu’elle accepte sans broncher en gardant le sourire. L’avion démarre et se retrouve aussitôt poursuivi par des dizaines de fourgons du FBI. L'hôtesse sort son arme et révèle être une agent infiltré. Cette dernière se fait neutraliser aussitôt et sers alors d’otage pour Troy. Sean Archer ainsi que les autres agents à leurs trousses, tous des hommes, sont alors pris au dépourvu. Troy abat froidement la jeune femme qui s’écrase au sol couverte de sang. Par cette introduction, Woo présente l’unique personnage féminin de la scène comme vecteur de la caractérisation de ses deux protagonistes, et sa seule utilité revient à ajouter de la tension par sa mise en détresse suivie de sa mort. Ce trope d’écriture est surnommé dans le comics américain “Women in Refrigerators”, en référence à l’épisode 54 de Green Lantern vol.3 (1990) écrit par Ron Marz où le protagoniste éponyme trouve sa petite amie découpée dans le réfrigérateur de son appartement. Ce terme fait allusion au sort qui est réservé aux personnages féminins dans la culture populaire, subissant des sévices abjects et variés afin de créer de l’empathie pour le protagoniste masculin et lui donner une motivation ; la vengeance bien souvent. Après ça, le film ne mentionnera qu’une seule fois l’agent tuée, au détour de différents noms d’illustres inconnus.
La course poursuite continue et s'ensuit une séquence d’action virtuose dont on ne pourra retirer l’extrême maîtrise des cascades et la technicité d’une telle mise en scène. Une fois l’avion crashé dans un hangar explosif, les deux adversaires enchaînent pirouettes et galipettes dans un premier “face off” qui ne manquera pas de nous rappeler les doux souvenirs de toboggans et autres balançoires de notre enfance. Parfait mélange entre l’absurdité frôlant le ridicule de l’action hongkongaise et la paternaliste action américaine, ramenant toujours tout à la figure protectrice du FBI et à la sécurité du pays. Bien que Sean Archer remporte cette première bataille, la mise en scène induit déjà leur complémentarité à venir.
Pour les scène d’action suivantes, John Woo continue son mélange asiatique/occidental en référençant diverses œuvres de la culture américaine et européenne, comme Le Comte de Monte-Cristo (1846) de Alexandre Dumas lors de l’évasion de la prison en pleine mer, The Lady From Shanghai (1947) de Orson Welles lors du face à face au milieu des miroirs ou encore Once Upon a Time in the West (1968) de Sergio Leone lors du dernier duel de regard et de pistolet entre tous les protagoniste du film.
Au travers de ce tour d’horizon, Face/Off apparaît comme un film brillant par sa mise en scène outrancière mais terriblement rattrapé par une misogynie sinueuse présente dans tout l'œuvre. Il reste un très bon divertissement mais dont les problématique sociétale qu’il soulève malgré lui empêche de profiter pleinement de ses artifices. Il est nécessaire, à mon sens, de remettre en cause ses tropes scénaristiques trop présents car ils impactent, que l’on le conscientise ou non, le regard de toute une société sur une partie de la population et sur des actes qui en découlent. Servent-ils d’exutoires à des pensées noires ou les encouragent-ils ? Il est de la responsabilité de chaque auteur d’étudier cette question.
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8
le 26 janv. 2018
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