VORTEX raconte les derniers instants d'un couple âgé vivant dans un appartement parisien dans le quartier de Stalingrad. Ce sont des bourgeois de gauche, des soixante-huitards (cf. les affiches dans l'appart et leurs slogans), elle ancienne psychiatre atteinte de la maladie d'Alzheimer, lui critique de cinéma, tentant d'écrire son dernier livre sur les rêves dans le cinéma. Ils ont un fils qui est un toxicomane en voie plus ou moins réussie de guérison... Ce long film de plus de deux heure est quasiment un huis clos, les sorties hors de l'appartement étant rares. L'originalité tient d'abord au fait que Gaspard Noé nous présente à l'écran deux images dans des carrés en parallèle, ce qui nous permet de suivre les déambulations de l'homme et de la femme dans leur appartement témoignant d'un éventuel syndrome de Diogène, souvent une image suit le mari, l'autre à côté la femme, et ces images se rencontrent à un moment donné.... puis se séparent. Cet astucieux procédé met bien en évidence l'isolement de ce couple âgé dans leur appartement mais aussi leur difficulté à communiquer et à partager une vie commune. Ce film puissant qui impacte profondément celui qui le regarde nous parle de la déchéance de la vieillesse liée à la maladie (maladie de l'esprit pour la femme et du cœur pour le mari). Il est introduit par une belle chanson de Françoise Hardy "Mon amie la rose" (1965) dans laquelle la vie éphémère de la rose nous rappelle combien nous sommes peu de choses... De nombreuses références bibliques pourraient illustrer ce thème de la fragilité de la condition humaine et de l'épreuve que constitue la vieillesse... Par exemple ces versets du psaume 89 en parfaite consonance avec la chanson "Mon amie la rose":

"Tu fais retourner l'homme à la poussière ; tu as dit : « Retournez, fils d'Adam ! » A tes yeux, mille ans sont comme hier, c'est un jour qui s'en va, une heure dans la nuit. Tu les as balayés : ce n'est qu'un songe ; dès le matin, c'est une herbe changeante : elle fleurit le matin, elle change ; le soir, elle est fanée, desséchée... Sous tes fureurs tous nos jours s'enfuient, nos années s'évanouissent dans un souffle. Le nombre de nos années ? soixante-dix, quatre-vingts pour les plus vigoureux ! Leur plus grand nombre n'est que peine et misère ; elles s'enfuient, nous nous envolons."

Pour ce qui concerne la vieillesse comment ne pas penser à ces versets de Qohélet (Ecclésiaste)?

" Souviens-toi de ton Créateur, aux jours de ta jeunesse, avant que viennent les jours mauvais, et qu’approchent les années dont tu diras : « Je ne les aime pas » ; avant que s’obscurcissent le soleil et la lumière, la lune et les étoiles, et que reviennent les nuages après la pluie ; au jour où tremblent les gardiens de la maison, où se courbent les hommes vigoureux ; où les femmes, l’une après l’autre, cessent de moudre, où le jour baisse aux fenêtres ; quand la porte se ferme sur la rue, quand s’éteint la voix de la meule, quand s’arrête le chant de l’oiseau, et quand se taisent les chansons ; lorsqu’on redoute la montée et qu’on a des frayeurs en chemin ; l’amandier est en fleurs, la sauterelle s’alourdit, et la câpre ne produit aucun effet ; lorsque l’homme s’en va vers sa maison d’éternité, et que les pleureurs sont déjà au coin de la rue ; avant que le fil d’argent se détache, que la lampe d’or se brise, que la cruche se casse à la fontaine, que la poulie se fende sur le puits ; et que la poussière retourne à la terre comme elle en vint, et le souffle de vie, à Dieu qui l’a donné. Vanité des vanités, disait Qohèleth, tout est vanité !"

Gaspard Noé nous livre dans Vortex une profonde méditation sur la vieillesse et la mort, sur l'extrême fragilité de tout ce que nous faisons et construisons pendant notre brève vie terrestre. Les dernières minutes du film sont particulièrement saisissantes et nous redisent combien "tout est vanité". Elles me font penser à ces paroles du psaume 102:

"Il sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que nous sommes poussière. L'homme ! ses jours sont comme l'herbe ; comme la fleur des champs, il fleurit : dès que souffle le vent, il n'est plus, même la place où il était l'ignore."

Vortex est un film "Memento mori" qui se situe dans la grande tradition des sagesses philosophiques et religieuses qui nous recommandent de ne jamais oublier que nous sommes mortels, en transposant cette réflexion théorique dans la réalité la plus concrète, celle qui s'éprouve dans notre chair, notre corps et notre esprit au crépuscule de notre vie. On sort de là profondément atteints, peut-être désespérés vis-à-vis de la vanité de notre vie sur terre. Ce film n'est pas pas à recommander aux personnes ayant des tendances dépressives... en raison de son réalisme cru. Toutefois les dernières paroles faiblement susurrées de la femme avant sa mort ouvrent peut-être une autre perspective que celle du désespoir d'une mort toujours absurde et de la souffrance de se retrouver finalement seuls au moment du grand passage.


PadreBob
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 15 sept. 2025

Critique lue 19 fois

2 j'aime

PadreBob

Écrit par

Critique lue 19 fois

2

D'autres avis sur Vortex

Vortex
Moizi
8

Encore un film où le temps détruit tout

Vortex est, encore une fois, un film terrible réalisé par Gaspar Noé, mais là il fait un peu son Amour. On est loin de la violence physique, de la débauche de sexe qu'il peut y avoir dans d'autres de...

le 26 avr. 2022

67 j'aime

2

Vortex
Sergent_Pepper
6

Flagada split

Si l’on égrène les sujets de prédilection du franc-tireur Gaspar Noé, la première réussite de son nouveau film sera sans conteste de pouvoir à nouveau créer la surprise. Le cinéaste habitué des...

le 14 avr. 2022

51 j'aime

3

Vortex
takeshi29
7

A tous ceux dont le cerveau se décomposera avant le cœur...

Gaspar Noé nous rappelle de manière radicale que tout n’est pas divertissement, qu’aller voir un film sur le déclin, la maladie, la fin de vie peut s’apparenter à un engagement, celui d’accepter de...

le 16 avr. 2022

36 j'aime

Du même critique

Le Cercle des poètes disparus
PadreBob
9

Sucer la moelle de la vie

J'ai revu Le cercle des poètes disparus récemment, film qui m'avait beaucoup touché à sa sortie et pour lequel j'avais réalisé une fiche "pédagogique" en vue d'un ciné-débat avec un groupe de...

le 21 nov. 2016

14 j'aime

8

Pensées
PadreBob
10

Pascal en tableau

Les Pensées de Blaise Pascal sont à mes yeux l'un des plus grands chefs-d'oeuvre de la littérature non seulement française mais mondiale. Sur la forme: l'écriture de Pascal est d'une beauté...

le 29 sept. 2016

13 j'aime

3

Le Seigneur des anneaux - Intégrale
PadreBob
9

Tolkien et la Bible, l'imprégnation biblique du SDA

Nouvelles considérations sur le Seigneur des Anneaux L’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux (=SDA) par Peter JACKSON a été à juste titre un grand succès : un événement culturel de...

le 3 févr. 2016

13 j'aime

2