Chef d'œuvre opératique, chanson de geste et néanmoins projection fantasmatique d'un cinéaste génial (mais incompris, voir la polémique absurde qui secoue les "élites" de gauche, jugeant le film nationaliste et raciste), "Voyage au Bout de l'Enfer" met en scène la fin des mythes fondateurs de l'Amérique : c'est la guerre (celle du Vietnam) qui vient violer l'autarcie d'une communauté d'ouvriers d'origine russe dans une triste cité industrielle de Pennsylvanie, cernée par des paysages grandioses. La construction du film, aussi somptueuse qu'audacieuse, évoque autant Raoul Walsh que Luchino Visconti, c'est dire le niveau où se situe d'emblée Cimino, jeune cinéaste déjà en pleine maîtrise de son Art. Ainsi, la partie montrant la descente aux enfers, "le suicide d'une nation", symbolisé par le supplice de la roulette russe, est un bref concentré halluciné de violence et de folie, brisant brutalement l'enchantement de la très longue description de la vie des trois amis avant leur départ, avec ses scènes tout simplement sublimes de rites ancestraux (le mariage, le travail, la chasse). [Critique écrite en 1978]


PS : Revoir ce "Voyage au Bout de l'Enfer" dix ans ou presque plus tard permet de confirmer la force de ce film ultime, qui ose aborder frontalement (et cela lui vaudra bien des polémiques, injustes) l'essence du mythe américain, celui d'un "melting pot" illusoire : cette peinture d'une communauté se nourrissant de ses traditions ancestrales, puis brisée par l'horreur hallucinante de la guerre, et tentant finalement de se reconstituer autour de valeurs américaines communes (le fameux hymne national chanté à la fin), pose les questions essentielles sur la fondation et la poursuite du rêve américain. De Niro, héros en retrait par rapport à un Christopher Walken christique et bouleversant, incarne magnifiquement un chef charismatique, perfectionniste rêveur, dont le talon d'Achille est une passivité maladive avec les femmes. [Critique écrite en 1986]

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le 14 oct. 2014

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Eric BBYoda

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