Allez, c'est l'heure d'affronter LE chef d'oeuvre, celui qui traîne derrière lui une ribambelle de 10coeur, truste les TOP10 et fait tachycarder bon nombre d'entre vous (et non des moindres) : l'inattaquable monument de Michael Cimino. Bien entendu, je n'attendais pas moins de ce film qu'il me fracasse la tête (pour citer une personne qui se reconnaîtra) et rejoindre avec une joie grégaire la foule des enthousiastes.


Sauf que, durant le premiers tiers (la première heure en somme), je me suis quand même sérieusement demandé ce que je foutais là. Et j'ai du mal à croire qu'on puisse prendre son pied à ce mariage à rallonge, l'ambiance kitsch, les plans séquences répétitifs et trop longs de liesse des convives, de demoiselles d'honneur à meringue, gloussant en se prenant dans les bras, de valses, fox trot et country à n'en plus finir... Alors d'accord : Cimino pose le cadre, notamment les contours de sa virile bromance, dessine l'amitié qui lie les 3 personnages principaux, Mike/De Niro, Steve/ Savage et Nick/Walken. Mais quand même, c'est long et pas forcément passionnant. J'ai cependant apprécié de revoir ces visages, si jeunes à l'époque, De Niro le beau gosse, Walken et sa gueule androgyne, et surtout la douce et rougissante Meryl Streep qui, avec ce film et ce rôle pourtant secondaire, fait faire à sa carrière un pas de géant.


Le film bascule ensuite rapidement vers le coeur de sa thématique comme l'indique son affiche (assez trompeuse en fait) : la guerre au Viêtnam. Nous n'y resterons pas longtemps, et c'est là sans doute toute la singularité de ce film : évoquer la guerre avant et après, mais assez peu pendant. On évoque sa préparation, puis longuement ses conséquences, mais la présence des soldats sur le terrain est assez brève en regard de la durée totale du film. Peu - voire pas - d'effusion d'hémoglobine - étonnant aussi - mais une violence et une cruauté psychologiques terribles, qui déglinguent le psychisme des prisonniers : avec le jeu de la roulette russe, on atteint le paroxysme de la terreur, de la menace et du risque - en plus de constituer un puissant ressort romanesque qui arrête le temps et scotche le spectateur à son écran, suspendu au clic de la gâchette. [et pour les amateurs de ce sympathique jeu de hasard, il y a aussi ce très bon film]


Jusque là, le film m'avait donc quasiment laissée de marbre, ou pas loin.


Et puis, on découvre l'après. Les conséquences, les traumatismes, parfois visibles, parfois indiscernables selon les cas. Et c'est là que The Deer Hunter prend toute sa dimension puisqu'il devient un film sur la guerre et ses blessures, une peinture universelle qui pourrait bien coller à n'importe quel conflit, passé, présent ou à venir. Nous suivons donc les trois amis, si gorgés de vie au début du film, si éclatants de jovialité, devenir plus ou moins l'ombre d'eux-mêmes.


Depuis son retour, Nick a décompensé, quelque chose s'est brisé en lui et il n'est plus qu'une enveloppe qui ressemble à l'homme qu'il fut, enfermé qu'il est dans un mutisme sans mémoire proprement bouleversant. Steve, amputé des deux jambes, terrassé par cette faiblesse physique, considère qu'il n'a plus sa place dans son foyer auprès de sa femme Angela. Seul à s'en être un peu mieux sorti que les autres, Mike revient sur ses terres pennsylvaniennes couvert d'or et de récompenses, suscitant dès son apparition une vague d'amour sans précédent. On glorifie le héros, on célèbre dans l'effervescence le retour de l'enfant prodigue miraculeusement revenu. De Niro est cet homme taiseux, sans doute le plus secret des trois. On remarque que les blessures psychologiques les font redevenir des enfants, prostrés, sans parole, en larmes.


Le film a commencé à me plaire à peu près là : grâce à sa mise en scène nerveuse, à sa photographie très contemporaine (les plans nocturnes sont fabuleux), j'ai oublié que je regardais un film de 1979. Et puis il y a surtout ce que je n'hésiterais pas à qualifier de romantisme qui file l'ensemble de l'oeuvre, par petites touches au début, puis de manière plus prononcée dans le derniers tiers : De Niro est en fait un contemplatif avide de grands espaces (les montagnes dans lesquelles il chasse) qui regarde la femme qu'il aime de loin; Nick n'aime rien d'autre que les arbres, et puis ce plan sur les hautes crêtes qui m'a tellement évoqué la célèbre peinture de Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages.


Hautement romantique aussi, cette dernière scène entre De Niro et Streep, ces regards qui s'évitent et se cherchent, la délicatesse de ces mains qui se frôlent : sans doute l'une des plus belles du film. Quelle beauté que ce couple de cinéma qu'on voit un peu plus tôt déambuler dans les rues, lui si incroyablement élégant dans son uniforme, elle toute en blondeur fragile et gracile : comment faire naître un culte...


Je garde aussi une scène qui m'a beaucoup amusée, celle où Stan demande à Mike son avis sur une femme qu'il cherche à entreprendre : où comment expliquer de manière limpide, en une simple scène, le concept romanesque du désir triangulaire.


La musique est également un élément important du film et je retiendrais surtout le fil rouge qui le traverse : la musique sacrée, qui donne une si belle amplitude à l'oeuvre. Celle qui résonne, épique et poignante, sous les hautes voûtes des églises et qui est là, dès le début, pour nous indiquer la soif de transcendance, le besoin de spiritualité de l'humain, dont le salut tient parfois à des choses intangibles...


The Deer Hunter est donc, à n'en pas douter, un grand film, habité, ambitieux, étonnamment romantique et d'une belle ampleur tragique : à revoir pour mieux en saisir le culte.

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le 15 oct. 2016

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