Avec ce troisième épisode, Rian Johnson poursuit son exploration du whodunit moderne, mais confirme aussi une tendance déjà perceptible dès le premier volet : plus la saga avance, plus l’enquête devient un prétexte, et plus le cinéaste semble vouloir faire du portrait satirique de l’Amérique contemporaine l’objectif principal. J'y reviendrai plus en détail.


Pour entrer dans le vif du sujet, la mauvaise nouvelle, c'est que Wake Up Dead Man est en dessous de Knives Out (c'était assez prévisible !), la bonne nouvelle, c'est qu'il est considérablement supérieur au très médiocre Glass Onion. Remarquez, pour ce dernier, le réalisateur n'avait pas placé la barre bien haute.


Alors, le premier volet, c'est : une précision loin d'être indigne d'Agatha Christie, un ensemble bien équilibré entre humour noir et intrigue policière, ainsi qu'un commentaire social dont la présence paraît couler de source (notamment lorsque les héritiers, sous de faux airs bienveillants, n'arrêtent pas de ramener sans cesse la protagoniste féminine à son statut d'immigrée !), sans que ça écrase jamais tout le reste. En outre, chaque interprète — faisant partie d'un casting de dingue — a la possibilité de briller à un moment ou à un autre (permettant, par la même occasion, de creuser son personnage !). Ma seule réserve concerne celui qui est joué par Katherine Langford, parce qu'un peu trop négligé par rapport aux autres (c'est une petite faiblesse pas trop dommageable dans un ensemble brillant autrement !).


Tout ce beau petit monde est dominé par une Ana de Armas charismatique comme ce n'est pas permis. Elle y incarne une figure morale crédible, touchante, subtilement écrite. Le spectateur est naturellement derrière elle, et l’intrigue tire en bonne partie sa force de ce simple fait.


Le deuxième volet — aïe — laisse la place à des personnages caricaturaux, à une critique sociale lourde dégageant l'impression d'être uniquement là pour collecter le maximum de points ESG ; ceci aux détriments de la construction des personnages et de l'histoire. En outre, la galerie d'acteurs (si on met de côté Edward Norton et Dave Bautista !) apparaît transparente — ajoutant un aspect supplémentaire dévalorisant quand on fait la comparaison avec son prédécesseur. Janelle Monáe, outre sa fadeur, ayant pour conséquence qu'elle n'arrive pas au petit orteil de pied d'Ana de Armas, se voit obligée de porter un personnage qui, sur le papier, avait tout pour être attachant, mais qui, par son absence de profondeur émotionnelle dans son évolution, n'alternant qu'entre froideur et hystérie, agace plus qu'autre chose. Et, pour bien enfoncer le clou, on a une multitude de références, ayant aussi bien vieilli que du lait exposé à un soleil caniculaire, au Covid, un indice matériel soi-disant capital qui pourrait être décrédibilisé en deux secondes par n'importe quel avocat, et un final d'une débilité incroyable. Je reconnais toutefois, au crédit de Rian Johnson pour cet opus, qu'il avait su découvrir, avant beaucoup de monde, le véritable visage d'Elon Musk.


Bon, j'arrive enfin à ce troisième volet (excusez-moi, mais je voulais bien le placer par rapport aux deux autres !). Dans celui-ci, Johnson franchit une étape supplémentaire. Il cite ouvertement John Dickson Carr (avec The Hollow Man) pour son meurtre en espace clos, et le spectateur francophone que je suis pense spontanément au Mystère de la chambre jaune. Les références sont donc là — mais elles ne structurent pas réellement le récit. Le whodunit n’est plus qu’une façade qui sert au cinéaste de cheval de Troie pour examiner l'Amérique d'aujourd'hui, le tout à l'échelle de la paroisse dans laquelle se déroule l'action.


Josh O'Connor, en sidekick improvisé du détective Benoit Blanc (au passage, Daniel Craig, par sa coupe de cheveux, veut définitivement faire oublier le glamour bondien !), réussit sans mal à être digne de succéder à Ana de Armas dans cet emploi. Son personnage est très bien écrit, très émouvant. Il incarne le chrétien tel qu'il devrait être : assumant ses fautes passées, inévitablement faillible, mais essayant sans cesse de s'améliorer tout en servant le bien, de porter du mieux qu'il le peut le message du Christ, tout en faisant preuve de la plus grande humilité. Il est en opposition avec la figure de prêtre jouée par un terrifiant Josh Brolin, se comportant plus comme un gourou qu'en homme d'Église, rejetant volontairement une partie de ses potentiels fidèles pour avoir un noyau dur de fanatisés sous sa coupe — acceptant qu'il soit dans ses discours et dans ses comportements l'exact opposé de ce qu'ils prétendent défendre, appuyant bien sur leurs plus bas instincts pour obtenir d'eux ce qu'il veut. Cela vous rappelle quelque chose ? C'est normal !


Oui, tout le charme de l'Amérique contemporaine y est : populisme religieux, autoritarisme latent, fractures sociales et culturelles.


En dehors de ce discours de fond, Johnson se permet de flirter avec le fantastique, ce qui apporte une dimension supplémentaire bienvenue à sa saga, permettant de la renouveler un peu plus.


Hélas, si Wake Up Dead Man n'arrive pas à la hauteur de Knives Out, c'est à cause du traitement des personnages secondaires. Si on excepte Josh Brolin, de même que Glenn Close (que je n'avais pas mentionnée jusqu'ici !), parfaite et mémorable en fidèle bien allumée de notre gourou, les autres interprètes ne se voient pas offrir quoi que ce soit de consistant. C'est visible surtout avec Kerry Washington et Cailee Spaeny, qui se contentent presque uniquement d'être des silhouettes devant la caméra, dans les scènes de groupe, sans rien leur apporter (en toute franchise, je suis incapable de décrire ce que leurs personnages sont censées jouer, d'expliquer pour quelles raisons psychologiques ils sont fanatisés !). Et c'est particulièrement frustrant dans la mesure où ce sont deux actrices très talentueuses, avec du charisme à revendre, qui auraient pu donner largement plus si l'écriture de leurs personnages n'avait pas été aussi faible, pour ne pas dire inexistante.


Bref, pour conclure, Wake Up Dead Man confirme que Rian Johnson se sert du whodunit pour dessiner un portrait peu reluisant de l'Amérique contemporaine. Le film est inégal, car parfois très frustrant dans son traitement de la plupart des personnages secondaires (et des interprètes qui leur prêtent leurs traits !). Cependant, il parvient à retrouver une justesse émotionnelle, une dose d'efficacité scénaristique liée à une cohérence dans sa façon d'exposer ses thématiques qui étaient aux abonnés absents dans Glass Onion. Sans atteindre la virtuosité du premier opus, ce troisième volet témoigne d’un cinéaste qui assume de plus en plus sa veine satirique et ses ambitions morales, en utilisant habilement l'énigme comme prétexte (en y incorporant cette fois un assassinat dans un lieu clos à la sauce Chambre jaune et une petite apparence fantastique !). Il faut, maintenant, espérer que la suite confirme cette amélioration.

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il y a 6 jours

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Plume231

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