Lorsque j'ai vu Watchmen (2009) à sa sortie, j'avais été impressionné par la noirceur de l'univers, la profondeur de sa restitution visuelle, la complexité du scénario, l'originalité des personnages et la qualité du jeu. On avait là quelque chose qui détonnait avec l'univers ronronnant des super-héros, même si certains se veulent complexes. Puis j'ai vu récemment le director's cut et les deux chapitres d'animation de 2024. Cependant je n'ai ni lu les comics ni vu l'ultimate cut.
Pour info le film original, sorti en 2009, fait 2h42, le director's cut, sorti en DVD la même année, fait 3h06, la version ultimate cut, sortie en DVD et en 2019, fait 3h35 mn. Les deux chapitres de l'anime font au total 2h55mn.
Il n'est pas de mon propos de comparer ces versions, ni en terme de préférence personnelle, ni de fidélité à l'original ou de différences scénaristiques. Disons cependant que le director's cut allonge certaines scènes qui avaient été probablement allégées pour faciliter la réception par le public. Les versions longues intègrent la scène de la mort d'un personnage, le Hibou n°1. L'ultimate cut et l'anime intègrent la narration d'une histoire de pirates que lit un adolescent. Les différentes versions apportent des variations de détails ou de timing mais globalement restent fidèles à un noyau dur scénaristique qui est celui du comic.
Pour donner un exemple de ces variations de détails, voyons comment le lance flamme de l'astronef se déclenche accidentellement. Dans le film, le Spectre Soyeux le déclenche par curiosité. On peut en conclure que c'est un aspect enfantin ou que c'est un trait féminin. Dans l'anime c'est un faux mouvement : elle est une super-héroïne maladroite. C'est drôle mais dans les deux cas c'est discriminant.
Plus tard, le Hibou et le Spectre font l'amour dans l'astronef. Dans l'anime, le Hibou, qui porte le Spectre, la dépose sur une console dont un bouton déclenche de nouveau le lance-flamme. Comique de répétition. Dans le film c'est un spasme amoureux du Spectre qui le déclenche. On peut voir dans le jet de flammes l'allusion à un orgasme. Certes, mais tout cela ne change pas le noyau dur du scénario.
A ce jeu, il faut que ce noyau soit solide. Quel jeu ? Celui des réalisateurs qui est de raconter la même histoire dans différentes versions, car il ne s'agit pas d'une franchise, et celui du spectateur de la retrouver à chaque fois alors qu'il a largement dépassé le stade de la découverte émerveillée.
Solide, il l'est. Surtout quant à l'univers et aux personnages car quant à l'histoire, il y a quelques faiblesses.
J'avoue que je me suis lassé de certaines scènes qui sont largement développées dans les versions longues. Ainsi la mise en place contrariée de l’idylle entre le Hibou et le Spectre et les longues discussions sur Mars de ce même Spectre avec le Dr Manhattan.
Snyder s'est peut-être fait plaisir avec ses belles images. Avons nous besoin de voir Patrick Wilson et Malin Ackerman faire l'amour si longtemps ? Certes ils ne sont pas repoussants, mais ce n'est pas John Holmes et Linda Lovelace non plus. Hum... Excusez-moi.
Ainsi dans l'anime de 2024 le Spectre devine laborieusement que le Comédien est son père, alors que nous l'avons, quant à nous, compris depuis longtemps si nous ne le savons pas depuis le film de 2009. Cela crée une ironie dramatique qui n'est guère efficace car elle ne joue que sur la compassion et ne peut ravir que les fans.
Dans le même ordre d'idée l'histoire de pirate a tout du hors sujet. J'imagine que le but de l'auteur était d'inscrire Watchmen dans un historique de la BD US et de réjouir les amateurs des revues Eerie et Creepy en leur offrant un pastiche. On oppose aussi, dans l'anime, le style graphique strié de Eerie au style à base d'à-plats de DC Comics. Cependant je peine à voir ce que cette sous-intrigue apporte comme illustration symbolique du récit principal, ce à quoi elle aurait gagné.
Si l'on met de côté les riches personnages et le développement choral de leurs relations, la trame est la suivante. D'une part l'idée d'Agatha Christie dans "Ils étaient dix. ". A savoir que le coupable se cache parmi les victimes.
D'autre part une histoire assez abracadabrante et tirée par les cheveux, quoique nous soyons dans un univers de fantaisie. Jugez par vous-même. Alors que le guerre nucléaire menace entre Russes et Américains, Veidt, ex super-héro devenu un industriel richissime et super-intelligent, veut sauver le monde. Il convainc le Dr Manhattan, pur esprit surpuissant, de lui transmettre ses pouvoirs pour développer un projet tout en lui cachant son but. D'une part il développe une pieuvre cyclopéenne, d'autre part il met au point la téléportation. L'idée est de téléporter la pieuvre au milieu de New-York, ce qui détruira un quartier entier et fera croire à une attaque extra-terrestre. Il prévoit que cela unira Russes et Américains dans un front commun contre le nouvel ennemi, écartera la menace de l'holocauste nucléaire et apportera au monde une paix durable.
Cela pourrait être un joyeux délire pour le plus grand plaisir des aficionados, mais c'est énoncé avec le plus grand sérieux dans une séquence explicative supposée éclairer les idiots que nous sommes. Je reconnais que, à la vue des millions de dollars dépensés et engrangés et des milliers de caractères d'exégèse, j'attendais un chef d’œuvre au message quasi biblique alors qu'il ne s'agit à l'origine que d'une BD de distraction. Peut-être qu'anticipant la perplexité de certains spectateurs, les auteurs du film ont un peu corrigé. La pieuvre est replacée pas un champ de force qui détruit des cités dans plusieurs pays et les Extra-terrestres sont remplacés par le Dr Manhattan lui-même, injustement accusé. Comme cela ne change pas grand chose, le Comédien est bienvenu de préciser, dans le film, que tout cela n'est qu'une sinistre farce. Ce cynisme suggère un recul critique et un reproche politique et éthique, nous le verrons plus loin. Le ridicule devient caricature.
Ce qui nous amène à un autre sujet. Aujourd'hui en 2025, 39 ans sont passés depuis la publication du comic et 16 ans depuis la sortie du film. Il se passe alors un phénomène inévitable.
Alan Moore, l'auteur du comic, est né en 1953. Ses parents ont connu la Seconde Guerre mondiale. Il a été éduqué dans cette transmission générationnelle. Il a connu la Guerre Froide et la crise de Cuba ainsi que la guerre du Vietnam. Tout le scénario, quoique se situant dans une Histoire alternative, est inspiré par ce contexte. Ainsi les Extra-terrestres sont une parano américaine qui s'est développée durant la Guerre Froide. Le Dr Manhattan porte le nom de code du projet nucléaire américain fatal aux Japonais et Enola Gay, qui apparait comme artiste de burlesque, était le nom donné au bombardier ayant frappé Hiroshima.
Zack Snyder, le réalisateur, est né en 66. Il a nécessairement quelques distances avec cette époque mais fait un travail empathique d'adaptateur. L'idée du champ de force frappant diverses capitales est une allusion aux destructions d'Hiroshima et de Nagasaki. Elle recouvre l'idée que la mort de milliers de personnes, civils non combattants, est une étape nécessaire et acceptable moralement pour obtenir la paix. C'est une démarche que firent Truman pour le Japon et Churchill pour l'Allemagne, à Dresde et à Hambourg. Ils étaient des démocrates, pas des dictateurs totalitaires. Snyder, en évacuant les Extra-terrestres, précise l'allusion et donne matière à réflexion.
Loin de moi l'intention de minorer l'importance historique de ces événements ou l'ampleur des douleurs. Pourtant il me semble que ces références, qui étaient à fleur de peau pour les ainés, se sont usées pour nos contemporains. La preuve en est le retour décomplexé, parfois sous d'autre noms, des mouvances nationalistes, fascistes ou nazies. Avec la disparition des témoins, la charge affective et l'évidence des valeurs s'amoindrissent.
De plus le scénario se prête à de nouvelles interprétations dues à notre expérience et à une actualité que les auteurs ne pouvaient prévoir.
D'autres conflits, à nos portes ou de l'autre côté de la Méditerranée, viennent faire oublier les anciens. Aujourd'hui, Veidt, le richissime industriel aux multiples projets technologiques serait Musk ou bien Trump le faiseur de paix par la force (en tout cas dans sa sphère d'influence). Le Dr Manhattan, le pur esprit surpuissant, devenu indifférent aux humains et à leur éthique, serait l'IA au sujet de laquelle on nous alarme quotidiennement. Ainsi, dans l'anime de 2024, à notre époque de fake news et de réalité alternatives, le Hibou 2, qui pressent le fin mot de l'histoire, s'exclame : "Je ne peux quand même pas raconter cette histoire conspirationniste !".
On peut se dire que les auteurs ont été visionnaires, ou plus prosaïquement qu'ils traitent de réalités permanentes. Car, dès 1968, dans 2001 l'odyssée de l'espace, Clarke et Kubrick avaient anticipé le conflit entre l'homme et la logique informatique. On peut aussi regretter que ces idées, toujours actuelles, soit habillées d'atours anciens qui ne facilitent pas leur identification par les plus jeunes.
Plus gênant, le personnage de Rorschach, fil rouge de l'histoire, assassin sans pitié des criminels mais certainement le plus héroïque et peut-être le plus convainquant de tous les Watchmen, sans compromis et attaché à la vérité, est le fervent lecteur d'un quotidien d’extrême droite. Alors que tous ont fait vœux de silence, il paye de sa vie son choix de révéler la vérité. Mais il a, au préalable, confié son journal personnel à l'organe précité, entrainant la révélation du secret et l'échec, à terme, du plan de Veidt. Ce qui pouvait être une caractérisation originale et une épilogue ironique à l'époque où la démocratie US était bien installée, semble nous inciter aujourd'hui à penser que les sites réactionnaires et conspirationnistes détiennent la vérité.
Vous m'avez compris. Si vous cherchez à découvrir Watchmen, je vous incite à fréquenter la puissante version courte de Snyder. Vous pourrez vous pencher sur les autres si vous voulez développer le sujet, mais au risque d'émousser vos émotions.