« You're my only remaining link to the world. » DR. MANHATTAN

En 1986, le producteur Lawrence Gordon acquière les droits d'adaptation de Watchmen, comics culte de Alan Moore paru entre 1986 et 1987, pour le compte de la Fox. Mais en 1991, après l'écriture d'une première version du scénario, le studio met en vente ses droits et conclut un arrangement avec Lawrence Gordon, qui prévoit que la Fox aurai une option de participation si le projet était relancé.

En 1994, Lawrence Gordon transmet le projet à la Warner qui engage Terry Gilliam pour réaliser le film, mais des problèmes de financement ainsi que la conviction de Gilliam que l'adaptation est infaisable sous forme de film (il pense qu'il faudrait plutôt en faire une mini-série) font que la Warner abandonne le projet.

En 2001, Lawrence Gordon relance le projet en s'associant avec Lloyd Levin et Universal Pictures, et David Hayter est engagé pour écrire et réaliser le film. Hayter qui a déjà écrit le scénario du bon X-men un an plus tôt, finit par quitter le projet en raison de différends créatifs.

En 2004, c’est la Paramount qui rejoint le projet et engage Darren Aronofsky comme réalisateur, puis Paul Greengrass... Tous se cassent les dents sur l’adaptation, et à la suite d'un changement dans sa direction, la Paramount choisit de vendre à son tour les droits d'adaptation.

En 2005, Lawrence Gordon et Lloyd Levin rencontrent les dirigeants de la Warner (encore !) pour les persuader de revenir sur le projet. La compagnie, impressionnée par le travail du réalisateur Zack Snyder sur l’adaptation du comics 300 de Frank Miller, le contacte pour réaliser le film, alors que Alex Tse écrit une nouvelle version du script en conservant de nombreux éléments de celui de David Hayter mais en replaçant l'action dans le contexte de la guerre froide et en ajoutant une intrigue sur la diminution des ressources d'énergie.

Suivant la même approche que pour son 300, Zack Snyder n'opère que peu de changements par rapport au visuel du comics, qu'il utilise comme storyboard. Il y aura quelques inévitables différences, mais la principale différence est la cause du cataclysme provoqué par Ozymandias. Dans le comics, c’est la téléportation d’un faux extra-terrestre qui cause la mort de millions de personnes à New York, alors que dans le film, Ozymandias fait croire à l'humanité que le Dr. Manhattan attaque simultanément différentes villes du globe. Ce changement s'explique en partie par le fait d'avoir une fin qui soit plus en phase avec les préoccupations contemporaines d'un monde post 11 septembre.

Dave Gibbons, dessinateur du comics Watchmen, a travaillé sur le film en tant que conseiller, dessinant notamment les storyboards de la fin du film, mais Alan Moore, fidèle à son habitude, a refusé d'attacher son nom à cette adaptation de son travail et a déclaré n'avoir aucune intention de voir le film, expliquant qu'il ne doutait pas que le script soit aussi proche que possible de son histoire mais que son œuvre était un comic. Pas un film, ni un roman. Un comics. Elle a été écrite d'une certaine manière et dessinée pour être lue d'une certaine manière. Alan Moore a même signé un contrat pour que son nom ne figure pas au générique et a cédé tous ses droits à Dave Gibbons, comme il l'avait fait avec David Lloyd pour V pour Vendetta trois ans plus tôt.

Watchmen est prêt, la Warner va négocier avec la Paramount pour la diffusion du film. Il est convenu que la Paramount conserve les droits de distribution internationaux ainsi que 25% sur la propriété du film. Puis, c’est la Fox qui engage des poursuites judiciaires contre la Warner et cherche à bloquer la sortie du film, la compagnie estimant qu'elle détient toujours ses droits de distribution. La Warner réplique en argumentant que la Fox a échoué de façon répétée à faire exercer ses droits alors que la Fox fait valoir que le contrat signé en 1991 avec Lawrence Gordon leur donnait une option sur la distribution du film et ses suites éventuelles. Au tribunal, il est confirmé que la Fox détient une partie des droits de l'adaptation cinématographique de Watchmen et déboute la Warner de sa demande de fin de non-recevoir.

Finalement les deux studios finissent par trouver un accord selon lequel la Warner obtient les droits pour la sortie cinéma en échange d'indemnités, la Fox reçoit également 8,5% des recettes réalisées par le film et par d'éventuelles suites. Watchmen peut enfin sortir en 2009.

C'est donc en 1985, dans un monde dystopique, marqué par la force idéologique de la guerre froide, que nos « héros » désabusés évoluent. Anciennement réunis sous le nom de Watchmen, ceux-ci sont désormais inactifs pour la plupart, pleinement reconvertis pour d'autres. Rorschach enquête sur la mort d'un de leurs anciens coéquipiers, le Comédien. Les circonstances aussi brutales que mystérieuses de cette dernière masquent la réalité d'un gigantesque complot, visant à discréditer les justiciers aux yeux de tous ; un plan dont les conséquences pourraient se révéler désastreuses s'il n'y est pas mis fin au plus vite.

Fort d'une retranscription impeccable des planches du comics originale, le réalisateur ne s'est jamais laissé démonter par l'ampleur de la tâche qui lui a été confiée. Mais plus qu'un simple copié / collé du matériau dont il est tiré, le long-métrage se pose en petite révolution du genre. Littéralement bardé de qualités purement cinématographiques, il est en premier lieu une franche réussite du point de vue esthétique, notamment en ce qui concerne le niveau des effets spéciaux. Ces derniers demeurent plus que recevables à ce jour. Ajoutons à cela une attention toute particulière portée à la qualité des prises de vue, dont le choix n'est jamais laissé au hasard : les plans larges, gros plans, contre-plongées et autres ralentis sont constamment bien sentis. Loin d'être de simples démonstrations techniques de la part de leur auteur, ils servent indéniablement à la bonne compréhension du déroulé des évènements.

Pour la première fois, les super-héros commettent des viols, des actes sanglants, des scènes d'amour torrides sur thèmes musicaux plutôt louches, et des combats chorégraphiés et esthétisés à l'extrême. Faussement pacifique, le film établit une relation caricaturale avec une époque révolue (Nixon et la Guerre froide) et son imaginaire encapsulé (la musique, les super-héros, les mouvements révolutionnaires) en échange d'un spectacle d'artifices onéreux.

Le film divise et doit diviser. Il doit ouvrir la discussion sur ces icônes du vingtième siècle, et si les scènes de combat sanglantes rajoutées font contraste avec son modèle, c'est en pleine connaissance de cause de l'époque dans laquelle il s'étale. Ce sang plastifié sur l'écran est le sang à la fois dûment digitalisé et désacralisé qui bombarde l'audience dans une surenchère sur laquelle plane une réflexion assez dense et récurrente pour éviter de justesse le film d'exploitation. Divertissant tant au moyen d'une réflexion active que d'une enquête non éloignée du film de détective menée autant par Rorschach que par son public. Par ailleurs, la recette de Zack Snyder décline les thématiques hollywoodiennes du film noir, du film de guerre, du mélodrame et enfin du film héroïque, à mi-chemin entre le militaire chevronné qu'est le Comédien et le corps radioactif du Dr. Manhattan.

Des monstres sommeillaient sous les Watchmen ancrés dans l'immobilité du papier. Des monstres fantomatiques qui veillaient sur une nouvelle descendance et qui renonçaient à une vision héroïque du super-héros. En faisant de chaque homme costumé un être humain pensant et mené par des sentiments, des convictions profondes et non un devoir étatisé, la répercussion sonne le glas d'un genre a priori industriel.

Watchmen donne à penser, l'équilibre établi par celui-ci entre ses pêchés mignons et le texte de Moore est un modèle de l'adaptation et du transfert tant artistique qu'idéologique entre deux médiums qui, de l'idée au story-board et du story-board au souvenir, vient de faire ponctuation dans un genre qui a maintenant toute sa légitimité.

StevenBen
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le 11 avr. 2024

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Steven Benard

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