Adapté de l'ouvrage éponyme de Robert Merle, ancien combattant de la poche de Dunkerque, Week-end à Zuydcoote offre à voir un spectacle peu commun, surtout en ce début des années 60 où le souvenir encore vivace des bruits de bottes allemandes légitime bien souvent le politiquement correct. Il faut chercher, en effet, pour trouver trace d'œuvres, tournées au lendemain de la guerre, ne véhiculant pas une image purement positive de la France. On peut citer le célèbre La traversée de Paris ou encore le méconnu Les honneurs de la guerre, mais finalement peu de films osèrent l'évocation du conflit par le prisme de la défaite. C'est tout le mérite de Week-end à Zuydcoote que de s’atteler à cette tâche, en se délestant de toute position partisane afin de mieux fustiger l'horreur universelle, en se détournant de l'héroïsme ou du sensationnalisme vendu par nombre de productions (notamment le Dunkerque de Nolan) afin de donner tout son sens à la fameuse formule de Prévert : "Quelle connerie la guerre".


Appliqué et jouissant de moyens importants (glanés, sans doute, grâce à ses succès récents et au nom bankable de Belmondo), Henri Verneuil étaye sa charge caustique à travers une chronique absurde et existentialiste, perdue quelque part entre Camus et Beckett. C'est la drôle de guerre qui nous est contée, avec cette débâcle qui côtoie le cadre estival des plages du Nord, avec ces soldats français qui sont poussés par les Allemands et repoussés par les Britanniques, avec ces salops qui se déguisent en héros et ces prêtes en soldats, avec cette mort qui rode et cet amour qui tend les bras, avec cette vie qui s'obstine à s'enraciner dans le quotidien tandis que les tentatives de fuite tombent inexorablement à l'eau... C'est la drôle de guerre qui nous est montrée là, avec ces instants où la grande histoire déraisonne, et où l'humanité des êtres se questionne tandis que battent en retrait l'honneur et la gloriole.


Son petit théâtre de l'absurde, Verneuil le conçoit comme une fable picaresque qui voit les derniers rejetons du genre humain tenter de survivre dans un monde en proie au chaos, à la folie furieuse, à la monstruosité galopante. Tout l'enjeu du récit se concentre alors sur l'humanité mise à l'épreuve par l'horreur la plus totale : peut-on encore rester un Homme alors que le monde civilisé rompt sous les coups de boutoir de la guerre ?


Le sergent Maillat (Belmondo, magnifiquement goguenard et charismatique) et ses compagnons d'armes (excellents Marielle, Perrier et Mondy) n'ont rien des grands héros peuplant habituellement les films de guerre. Ils ne sont que des êtres normaux, ni bons ni mauvais, pris dans une situation qui les dépasse. Le jugement moral n'est donc pas recherché ici, Week-end à Zuydcoote se veut être une œuvre purement antimilitariste, quelque peu nihiliste, annonçant d'une certaine manière les mouvements contestataires à venir.


Ainsi, Verneuil compose une succession de saynètes au pouvoir évocateur parfois redoutable : le rapport à la dignité humaine est questionné lorsqu'un gradé s'oppose à l'évacuation d'un cadavre ; l'héroïsme est remis en cause lorsqu'un parachutiste désarmé se fait vaillamment exécuter par une centaine de fusils ; la notion même de solidarité est interrogée lorsque les Britanniques jouent de roublardise afin d'empêcher l'embarcation des Français... On le voit rapidement, Week-end à Zuydcoote sait faire preuve d'ironie et d'impertinence, et la réussite serait totale si le film ne connaissait pas quelques faiblesses au niveau de la narration ou de l'écriture. Car c'est bien là où le bât blesse, le récit picaresque souhaité se perd parfois en digression, avec des passages qui peinent à prendre de l'ampleur (la romance) tandis que d'autres semblent un peu forcés (les échanges philosophiques entre le soldat désabusé et le soldat de Dieu). Les dialogues sonnent parfois creux, tout comme la dénonciation à l'écran n'est pas toujours empreinte d'une grande finesse.


Certes les défauts existent mais ils ne sauraient occulter les grands mérites d'un cinéaste qui a su si bien illustrer l'impression de chaos, ou de monde en perdition, à l'écran. À travers la séquence du naufrage, superbement mise en scène, se devinent la faillite du monde civilisé et l'avènement des désillusions. Le ballet visuel impressionne (explosions, mouvements incessants des avions et des soldats) et nous laisse voir une humanité tourmentée : Maillat, hagard, erre sur la plage à la recherche d'une issue digne ; le quidam, soumis à la fureur guerrière, est obligé de se coucher au sol alors que les vestiges de la civilisation (maisons, voitures...) partent en fumée.

L'humain se voit et se dévoile au détour des pérégrinations de nos personnages, pour le meilleur (la camaraderie, le sentiment amoureux) comme pour le pire (sauvagerie, égoïsme). En montrant des Français sous un aspect peu favorable (la tentative de viol des soldats, l'opportunisme du personnage incarné par Mondy) Week-end à Zuydcoote se fait malicieusement impertinent avant d'emporter son spectateur par son ironie cinglante : à la fin du week-end, l'homme de raison n'a plus qu'à constater son échec : ses derniers rêves s'envolent (liberté, amour), le chaos envahit l'écran et le pitoyable désaccord entre Anglais et Français perdure...


7.5 /10


Créée

le 16 août 2023

Critique lue 28 fois

3 j'aime

Procol Harum

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