Relecture de Peter Pan en mode indie, Wendy reprend clairement les codes qu’avait mis en place Ben Zeitlin dans son premier long métrage Les bêtes du sud sauvage en 2012 : regard d’enfant, musique, fougue débordant du cadre pour nourrir une aventure lyrique et fantastique.


On ne pourra pas reprocher au réalisateur de manquer de sincérité, que ce soit dans la direction de ses jeunes comédiens ou l’énergie avec laquelle il tente de retranscrire leur fraîcheur. Menée tambour battant, l’épopée qui conduit à l’île des enfants ne ménage aucune baisse de régime, et prend pour cap l’immersion dans cette période révolue où tout est grandiose, des rires aux jeux, des combats à l’émerveillement.


L’approche esthétique permet en outre une petite singularité à l’heure où la CGI permet tous les excès et dégénère dans le kitch le plus outrancier, à l’image du dernier Pan de Joe Wright. Ici, à l’exception de quelques éruptions et d’une baleine lumineuse, toute la magie est vintage et se doit de surgir du regard des enfants, dans un environnement déclassé, issu de cette Amérique des marges qui s’étend sur l’île elle-même où les gamins eux-mêmes jouent les clochards célestes.


Sincérité, naturel, réflexion sur le fait de grandir, la tristesse du deuil et la fragilité de l’espoir, rien ne manque donc à ce film. Comment, dès lors, expliquer la vive irritation qu’il génère ? Cette quête effrénée de l’enfance perdue est tout simplement exténuante, parce qu’elle s’impose comme une sorte de paroxysme constant : voix off sentencieuse, chants collectifs, course à bride abattue dans la nature luxuriante suivie par la traditionnelle caméra-à-l’épaule-qui-garantit-la-véracité-du-propos, cris d’enfants, bras ouverts vers mère nature, rien ne manque dans cette carte postale sur l’âge d’or, qu’on a soigneusement écornée sur les bords par soucis d’authenticité.


Et surtout, grands dieux, cette musique constante qui vous transforme tout ça en fanfare continue, béquille supplémentaire pour surligner un propos qui était déjà suffisamment pesant ! La farandole éreintante semble ne jamais s’essouffler, et accompagne un récit qui semble croire pouvoir faire de ses confusions des licences poétiques, où l’on chante la vie, danse la vie, hurle la vie.


D’où l’indispensable question : ce rejet en dit peut-être moins sur la qualité du film que sur celui qui le regarde : est-ce à dire que la patine des décennies a fait de moi un être assimilable à ces tristes vieillards qu’on voit errer sur la lande grise ? Peut-être. Il n’empêche : il ne me reste pas de l’enfance ce défilé tonitruant, ces légendes sur des éclats de rires devenu des fragments de beautés disséminés dans le monde et des maximes sentencieuses sur la tristesse et l’espoir ; mais des silences, une vulnérabilité, des rires, des secrets et, surtout, un flot continu de questions. Une question de point de vue, en somme.

Sergent_Pepper
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Enfance, Poussif, Vu en 2020 et CCMD # 50 : L'enfance au cinéma

Créée

le 27 avr. 2020

Critique lue 2.4K fois

28 j'aime

1 commentaire

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 2.4K fois

28
1

D'autres avis sur Wendy

Wendy
vic-cobb
6

Where the Wild Children go

De manière pour le moins surprenante, j'ai envie de commencer ce court papier par une citation de The Bridges of Madison County, découvert il y a peu, qui m'est revenue à l'esprit en regardant Wendy...

le 18 avr. 2020

20 j'aime

2

Wendy
AlfredTordu
3

« Peter est resté en plan »

Avant-propos « Le tournage a coûté la vie à 54 enfants et 14 tortues » « Le cadreur est mort dès le début et n'a pas été remplacé » Visionnage « Putain je connais pas ce site du coup je sais pas...

le 30 avr. 2020

16 j'aime

3

Wendy
Fêtons_le_cinéma
10

Retrouver la grotte de l’imaginaire

On regarde Wendy comme on enlace un rêve, un rêve qui, pendant près de deux heures, prend corps en une forme tout à la fois ancrée dans la terre et volatile, sujette aux élans intempestifs des...

le 24 juin 2021

10 j'aime

2

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

767 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

701 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53