7 prix théâtraux, 10 Oscars, voilà sur quoi Steven Spielberg devait passer en réalisant son West Side Story. De ce métrage de plus de 2 heures s'y dégage un véritable amour de la première adaptation et des comédies musicales de cette époque là. C'est clairement un film des années 60 fait avec les techniques d'aujourd'hui. Néanmoins, Spielberg va briser ce cadre dés le début du film. Les premières secondes de la séquence introductive va prendre à contre-pied celle de 1961 en mimant les mouvements de caméra et le plan général de l'original mais cette fois-ci en ne filmant non pas les rues de New York mais un chantier. Le réalisateur détruit le passé (l'ancien film) pour y construire les fondations du présent (le siens). Cette idée se poursuivra au fil de la pellicule par quelques ajouts judicieux et une volonté de réalisme marquée par la réalisation, la photographie, et surtout par le fait que la langue espagnole n'est pas sous titré, ce qui est assez audacieux.


Le film ne bouleverse pas l'époque à laquelle à été pensé l’œuvre de base, pourtant, des thèmes fortement actuels y sont présents. Le racisme a la part belle du métrage et est représentée par les deux gangs : Les Jets – les américains – et les Sharks – les portoricains –. Au milieu de ces deux groupes haineux se trouve la police qui joue le rôle d'arbitre, elle qui ne souhaite que combattre la criminalité. Ce combat entre les deux gangs est insensé. Les deux se combattent un territoire qui dans tous les cas ne leur appartiendra plus. La haine qu'ils se vouent est irréfléchi, cachant des problèmes plus profond que même le dialogue ne peut résoudre. Le fait est qu'ils sont identiques. Anita, la copine de Bernardo le chef des Sharks, le dit elle-même à son copain quand celui-ci réprimande sa sœur Maria : Il pense comme un américain. De son coté, Riff a un rejet des étrangers pourtant son gang est composé essentiellement de fils d'immigrés, rendant ainsi les idéaux de ces deux personnages totalement absurdes. Ce conflit est parfaitement transposé dans la réalisation avec une véritable mise en scène de la division. Les deux camps seront constamment séparés dans le plan dans des split screen naturels, et même dans les couleurs, les Jets arborant des vêtements bleus, tandis que les Sharks sont rouges, à l'effigie du drapeau américain. Ils s'affronteront aussi dans la danse avec notamment la séquence au bal où celle-ci sera filmé comme un combat. Les deux gangs ne seront rassemblés que dans un seul moment, celui qui précède leur combat final, dans un plan où leurs ombres vues du dessus se mêlent et se confondent, soulignant ainsi leurs similarités dans la haine.
Au-delà du racisme, il y a en général un discours sur les États-Unis. Le film dépeint une Amérique pleins d'inégalités, misogyne, où les jeunes n'ont pas les clés pour réussir, et où les étrangers ne sont pas les bienvenues. Cependant, le duo entre Anita et Bernardo offre une nuance sur ce discours. Nous avons deux visions des USA, une qui prône le bon, l'autre le mauvais. Dans une production aussi acerbe envers le pays, c'est intéressant de voir un propos qui n'est pas totalement unilatéral.
Enfin, la trans-identité est aussi évoqué dans le film. Une sous intrigue est créée autour d'un personnage transgenre souhaitant intégré les Jets mais qui, époque oblige, sera considéré comme un « malade ». Nous avons envie de dire pourquoi pas, cependant le sujet est à peine effleuré, seulement deux scènes y font référence sans pour autant qu'il y ai d'impact sur le reste du film. En soi, ce n'est pas spécialement dérangeant car il est assez présent pour que l'on y pense à la fin, et qu'il ne l'est pas trop pour empiéter sur l'intrigue principal.


Roméo et Juliette des années 50, voilà comment nous pourrions résumé en une référence West Side Story. Cette histoire d'amour frôle la niaiserie et est surtout assez rapide. Cette passion soudaine est déconcertante que ce soit pour le spectateur ou pour les autres personnages. Valentina, interprété avec tendresse par Rita Moreno, le fera remarqué à Tony que cela va trop vite. Cette réflexion allège l'esprit du spectateur car il n'est plus le seul à le remarquer. Il est important de regarder cette relation par le prisme des deux personnages. Tony et Maria sont tout deux enfermés. Tony sort de prison et paraît toujours être emprisonné. Il l'est par ses amis, par les grillages, et par les étagères du magasin où il travail. Maria est un oiseau pleins de rêves enfermé dans une cage par son frère et par sa propre condition. Ce n'est qu'ensemble qu'ils peuvent se libérer. La première fois qu'ils chantent en duo, Tony traverse des grillages, monte jusqu'à chez elle et contourne la grille d'escalier bloqué pour la rejoindre. Ils vivent tout deux dans un conte, dans une histoire imaginaire qui leur est vital pour pour pouvoir s'échapper. Cet aspect offre un contraste pertinent avec la tonalité général du film car ces dans ces moments oniriques que la réalité va frapper le plus fort. Leur première rencontre derrière les gradins de la piste de danse est une séquence irréelle où les deux se retrouvent dans un monde à part. Lorsqu'ils se font repérer, nous voyions l'envers du décor avec un lieu sale où règne le désordre.
Cette dure réalité n'est pourtant pas que chez les autres mais aussi chez Tony et Maria. Ansel Elgort a le visage du jeune premier, cependant il apporte la nuance nécessaire pour croire au poids de son passé. C'est un personnage tragique qui malgré son repentir va retomber dans ses travers, voire va faire pire que ça. Maria, joué par Rachel Zegler, est une femme forte, toujours en conflit avec ses compatriotes. Néanmoins, elle est beaucoup plus innocente et naïve vis à vis de ce qui se passe autour d'elle. Elle ne va comprendre les sentiments des autres qu'à la fin et elle va prouver qu'elle est meilleure qu'eux en ne succombant pas face à la haine. C'est finalement elle qui va lier les deux gangs et mettre fin à ce cycle de violence.
Les deux constituent le duo principal du long métrage mais un autre est tout aussi important et leur vole presque la vedette. Riff et Bernardo, joué respectivement par Mike Faist et David Alvarez, sont les deux chefs de gangs et ils apportent la tension qu'il fallait au film pour que nous puissions croire à cette histoire. Ils sont tout deux le symbole d'une idée. Riff représente la loyauté ; Bernardo représente le patriotisme. L'un ne vit pas sans l'autre, l'un ne meurt pas sans l'autre.


Réaliser une comédie musicale n'est pas chose aisée. Il est cependant facile de tomber dans le pathos et de nous sortir de la projection. Spielberg, il faut le souligner, a bien travaillé son sujet. Tout d'abord, la musique (principalement reprise du premier film) est toujours aussi excellente. Elle se lie bien avec l'image, marque le mouvements des personnages et illustre bien les émotions transmises à l'écran. Ensuite, la chorégraphie est maîtrisée de bout en bout. Le réalisateur n'oublie pas ce qui a été fait auparavant en reprenant les codes imposés par Busby Berkeley, et n'hésite à s'en détacher en ayant une caméra très libre, qui se balade avec aisance entre les danseurs. La chorégraphie et la mise en scène ne vont jamais en faire de trop, et les transitions entre chant et réalité vont toujours se faire quasiment naturellement, comme dans la séquence au magasin de vêtement où la caméra se faufile entre les chanteuses et danseuses avant de faire un travelling arrière signifiant ainsi le retour au réel. Enfin, c'est un film dur et sombre. La danse ne décrédibilise en aucun cas les accès de violence montré par le métrage. La séquence du combat tacle toutes ces appréhensions avec deux valses violentes au milieu d'une piste de danse aux montagnes salées.


Le pari était risqué pour Spielberg mais il a réussit. Le réalisateur prouve une nouvelle fois que peu importe ce qu'il touche il s'en sort toujours, et cette fois-ci en se targuant même de faire mieux que la première adaptation.

Flave
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 15 des films vus en 2021

Créée

le 22 déc. 2021

Critique lue 403 fois

2 j'aime

2 commentaires

Flave

Écrit par

Critique lue 403 fois

2
2

D'autres avis sur West Side Story

West Side Story
Plume231
3

Not So Pretty!

Que ce soit bien clair, je ne suis pas un grand fan du West Side Story de 1961 (reste que je l'ai aimé quand même dans sa globalité, en particulier parce que pas mal de compositions de Leonard...

le 9 déc. 2021

70 j'aime

27

West Side Story
Behind_the_Mask
8

Les histoires d'amour finissent mal... En général

Steven et Ridley mangent décidément à la même table : celle de l'éclectisme et de l'envie constante de cinéma. Après Ridley, par deux fois, c'est au tour de Steven renouer avec les salles...

le 8 déc. 2021

50 j'aime

13

West Side Story
emmanazoe
5

There's no place for us

(Attention spoilers possibles) Voilà... On ne pourra pas dire que je n'ai pas essayé. Je m'offusque toujours des gens qui critiquent sans voir, ça ne sera pas mon cas cette fois. Et quitte à le voir,...

le 10 août 2023

32 j'aime

11

Du même critique

Uncharted
Flave
6

Le début d'une aventure cinématographique

Les Playstation Studios font leurs grands débuts dans le cinéma en prise de vue réelle avec une des licences phares de Sony : Uncharted. Ces débuts sont aussi ceux de Nathan Drake qui n'est pas...

le 13 févr. 2022

11 j'aime

Spider-Man: No Way Home
Flave
7

Ce que c'est d'être Spider-Man

Le film le plus attendu du MCU depuis Endgame est enfin arrivé. Il est difficile pour un fan de Spider-Man, voire de Marvel en général, de ne pas s'émoustiller face à tant de fan service. A l'image...

le 15 déc. 2021

7 j'aime

Scream
Flave
3

Le tueur sur l'affiche est le film lui-même

Scream est un film méta. Conscient du genre où il baigne, il ose en pointer ses tares et joue avec brio de ses archétypes. Nous parlons ici évidemment de celui de 1997, car le « requel » de...

le 15 janv. 2022

3 j'aime

3