Virtuosité oui, génie non
Whiplash est un film virtuose, qui parvient à une maitrise de rythme et de mise en scène absolument irréprochable, ce qui en fait un film spectaculaire et intense. C'est un film qui traite de la quête de la performance et qui atteint lui aussi un très haut niveau technique, autant dans la précision de ses mouvements de caméra que dans la perfection du montage. C'est vrai que c'est toujours fascinant de voir ce que l'homme peut être prêt à s'infliger pour arriver à se surpasser, ce qu'il est prêt à sacrifier pour sa passion, pour son art.
Le problème c'est qu'on n'est pas ici dans le sacrifice au nom de la musique mais au nom de la performance, on torture non pas pour faire la meilleure musique mais pour faire le meilleur technicien. C'est une quête d'égo, d'individualisme sordide, c'est une représentation du libéralisme le plus primaire, le rêve américain masqué par l'étendard de l'art.
Dérangeant aussi cette vision du jazz, qui est tout de même rappelons le, la musique la plus libre et la plus ouverte qui soit. Intégrant le plus souvent une grande part d'improvisation, qui à parfois intégré en son sein du funk au rap en passant par le rock, l'électro ou le métal, cette vision réductrice d'une musique purement technique où les musiciens suivent une partition au millimètre prêt n'est absolument pas représentatif de ce qu'est le jazz, ni même la musique. Il n'est jamais question d'art ici, d'expression personnelle ou de vision, mais juste de rythme et de souffrance. Même dans la musique classique, où la partition doit être parfaitement respectée, on parle plus d'interprétation que de perfection technique. Alors certes la technique permet d'atteindre un plus grand degré d'interprétation, mais c'est pour la musique, pour en faire quelque chose d'intéressant, alors qu'ici c'est juste du spectacle et de l'auto valorisation.
C'est assez triste de voir un génie comme Charlie Parker, à l'inventivité hors norme, conduisant la musique et ses accompagnateurs dans des directions innatendues, réduit à un virtuose qui n'est que technique-technique-technique. C'est malheureux de promouvoir une telle vision de l'art à une époque où la forme l'emporte sur le fond, où le spectacle remplace l'analyse et la réflexion. Ce n'est en tout cas pas une vision que je défend. Néanmoins, on ne peut nier les qualités du film, et d'un point de vue purement spectaculaire, il vaut son pesant de cacahouette, ou de pop corn, plutôt...