Modèle d'adaptation de comédie musicale en mode Broadway (et du livre de Gregory Maguire) qui libère tout le potentiel de son imaginaire sur grand écran, il n'avait suffit au premier film qu'un petit coup de baguette magique pour nous faire "défier la gravité" devant la belle histoire d'amitié naissante entre G(a)linda et Elphaba jusqu'à leur inévitable scission de destinées provoquée par la force des "Oz", la première embrassant les prémices de son rôle de Sorcière du Sud, érigée en protectrice du pays d'Oz, alors que la deuxième était répudiée vers son statut solitaire de future Méchante Sorcière de l'Ouest.
Mais, évidemment, la force de "Wicked" était de dépasser les apparences manichéenes figées dans les esprits du "Magicien d'Oz" pour offrir une toute autre lecture à ce qu'il se cachait en réalité derrière: des mirages féeriques dissimulant les dérives d'un système de plus en plus autoritaire (dont le parfait socle était le détournement de la révélation connue autour de la nature du fameux Magicien), une Glinda cédant à ses sirènes pour assouvir ses envies égoïstes et superficielles de reconnaissance et une Elphaba bannie et conspuée par tous car, outre sa différence renvoyée par le regard des autres, préférant ne pas se conformer à l'aveuglement général sciemment entretenu et en devenir la lanceuse d'alerte sur son balai supersonique.
Même s'il conserve malgré tout son superbe sens du merveilleux, "Wicked: Partie 2" se pare donc de perspectives bien plus sombres, dévoilant un monde d'Oz désormais complètement régulé par des méthodes fascistes (propagande, manipulations des foules, bouc-émissaire ostracisé, mises en scène médiatiques...) et qui se pose en rempart contre la moindre réconciliation possible des deux héroïnes, elles-mêmes chacune éprise de doutes sur la voie qu'elles ont choisie de suivre (la chanson "You couldn't be happier" de Glinda ou les vaines suppliques de résistance d'Elphaba auprès des animaux en sont de touchantes démonstrations).
Le film a l'air d'en être conscient -et en joue d'ailleurs parfaitement: il y a quelque chose d'assez fascinant de voir entrer en collision l'approche d'un système rigide propre à notre monde au sein de cet univers enchanté, qui va même peu à peu se permettre de s'emparer en arrière-plan de sa "Grande Histoire" fondatrice, celle du "Magicien d'Oz" elle-même, pour la transformer en un outil narratif de son propre point de vue, avec la vision de ses personnages et enjeux, et faire de la silhouette de Dorothy et de ses compagnons les pions/victimes (presque flippants) du dessein plus grand tissé par les forces en présence dans "Wicked".
Au milieu de tout ça, en plus de leurs propres conflits internes et de sentiments contrariés par le triangle amoureux dans lequel elles se sont piégées, les turbulences encore plus vives ainsi engendrées sur le lien indéfectible entre Glinda et Elphaba restent bien entendu le principal et magnifique moteur du long-métrage, plaçant chaque retrouvaille/séparation de leur part comme une étape toujours plus nécessaire à leur évolution et à leurs prises de conscience de leurs rôles respectifs, renforcées par leurs expressions musicales, qu'elles doivent apprendre à tenir sans jamais se renier ou s'y perdre. Leur dernière rencontre en sera, comme attendu, le sommet le plus bouleversant, qui convoque tout le bagage émotionnel installé entre elles durant les deux films pour le faire exploser à l'écran et nous emporter définitivement avec lui dans la puissance imparable d'émotions déversées par le sort de leur relation.
À ce titre, on ne pourra que réserver une standing ovation pour les prestations de Cynthia Erivo et Ariana Grande, désormais à jamais iconisées et indissociables du monde d'Oz dans l'imaginaire collectif grâce à "Wicked", l'harmonie et l'entente de leur duo aura en effet atteint le niveau de ceux qui laissent une trace durable dans les mémoires et peut-être même irremplaçable (bonne chance aux prochaines actrices pour les faire oublier dans des film situés dans le même univers !), elles auront été l'âme continuelle de ce génial diptyque, bien secondées par des vétérans comme Jeff Goldblum ou Michelle Yeoh et sublimant chaque chanson par leur talent, même quand les morceaux étaient de qualité inégale (cela restera le plus gros bémol, il manque d'ailleurs peut-être sur ce point une vraie catchy song comme "Defying Gravity" à ce deuxième volet).
"Wicked" est une virée dans le monde d'Oz qui s'impose, tout simplement, et qui devrait être un carton de l'année amplement mérité au box-office US.
Ce sera sûrement moins le cas en France mais, à titre personnel, ça faisait longtemps que je n'avais pas été à une séance de cinéma dans une salle quasiment remplie. Certes, c'était probablement dû au fait que c'est une des rares séances en complète VOST proposées dans ma ville, mais ça a fait du bien de voir un public hétéroclite (de tout âge et sexe) visiblement ensorcelé à l'unisson par un tel film.