"Trumperie", escalators, et hubris, ou pas

Deuxième volet des aventures de Wonder Woman, toujours réalisé et scénarisé par Patty Jenkins à ceci près qu'elle est accompagnée pour l'écriture par deux collègues dont David Callaham (qui a travaillé sur Expendables, film réunissant les gros bras masculins des films d'action des années 80 et 90) Wonder Woman 84 avait de quoi nous intriguer, même en y allant en serrant les dents.
Mais, au final, qu'est-ce que c'est que cette mièvrerie sans nom ?
Où est passée la Wonder Woman des comics, ou même celle des dessins animés ? Normalement, le personnage se veut assez subversif, tout au moins impliqué et concerné par ce qui se passe dans la société. Le premier volet, à ce niveau là, passait encore. Ici plus aucun recul sur la société, Diana Prince sert juste de guide touristique au nouvel arrivé dans les années 80 qui n'a jamais vu des escalators ou des pochettes-bananes.
Elle est même complètement déconnectée du reste du monde, se contente de plats regrets égocentriques (son amoureux, ce qu'elle souhaite le plus au monde), rétablit l'ordre, et fait la morale aux gens qui veulent une vie meilleure.
Il va de soi que la somme incontrôlée des désirs de grandeur ferait courir le monde à sa perte. Mais le film finit par se contredir en ne faisant plus la différence entre un souhait à faible conséquence et un souhait démesuré, le souhait le plus profond, et un souhait sans limites.
Et comment peut-on mettre sur le même plan les souhaits d'une personne vivant dans la misère matérielle, l'oppression, ou plus généralement la souffrance, et ceux de quelqu'un qui a une vie confortable et qui en veut toujours plus ? Sinon à être complètement à côté de la plaque ?
Force est de constater que ce qui à la rigueur aurait pu être une critique du "toujours plus" des nouvelles élites libérales-conservatrices dans les années 80 reste enfermé dans le paradigme des morales pour riche et n'a l'air que d'un paravent de plus pour dire que les choses sont mieux quand elles ne changent pas, que le monde est merveilleux, et qu'il faut se contenter de ce qu'on a comme un bon mouton paisible. Pour appuyer ça, Diana Prince digère un doeuil de 60 ans. Ouille !
On est achevé par une scène mièvre au possible que Milan Kundera qualifierait de summum du kitsch durant laquelle Diana s'émerveille de voir des enfants jouer, des adultes attendris devant des sdf, et se dit que tout ça c'est beau. Au secours !
Pourtant, il semble bien que la réalisatrice et scénariste de Wonder Woman 1984 ait voulu dénoncer l'hubris, les excès de l'époque, et notre "système de pensée guidé par l'excès". Ce mode de pensée est incarné à l'écran par Pedro Pascal, avec un certain brio, dans le rôle de Maxwell Lord, riche businessman volontairement inspiré de Donald Trump comme de tous ceux qui avaient nouvellement fait fortune dans le courant de la libéralisation économique des années 80, qui propage son modèle de vie via une émission de télévision et convoite le pétrole mondial si ce n'est ni plus ni moins l'influence la plus ample et moins contrôlée sur le monde. - avec toutes les conséquences sociales, géopolitiques et économiques qui en découlent.
Mais ne se limitant pas à cela Patty Jenkins n'a pu s'empêcher d'étendre son discours à toute la population, comme si tous les souhaits individuels étaient fondamentalement une menace pour l'ordre mondial. Et le film nous rend ça avec une religiosité certaine, la magie étant de mise, quitte, donc, à s'échouer sur une moralité déconnectée du réel, pleine de platitudes, que nous avons évoqué.
Même si le film ne se veut pas politique mais moral, autant dire qu'il passe à côté de son objectif.
Et puis pourquoi ne pas assumer sa dimension politique après tout ? Dans une déclaration contradictoire, Jenkins affirme qu'elle n'a "pas de message politique à envoyer au monde", mais "pense que le monde a besoin du même message politique". Dans le même état d'esprit contradictoire, Gal Gadot, l'actrice principale du film, a déjà affirmé dans un autre contexte, à l'occasion d'une réponse aux autorités israéliennes, que "ce n’est pas une question de gauche ou de droite, (...) il s’agit de dialoguer pour la paix et l’égalité". Autant, la paix peut se concevoir comme transcendant les intérêts politiques divers, autant l'égalité est historiquement une revendication de la gauche. Ce genre de contradiction se retrouve dans le film qui n'assume probablement pas jusqu'au bout son fond politique.


Enfin, s'il n'y a pas grand choses à dire de la mise en scène ou de la musique de Hans Zimmer, on peut se demander ce que fait cette copie littérale du mémorable "Surface of the Sun", appartenant à la bande originale du film Sunshine composée par John Murphy, dans une scène improbable de vol durant laquelle Wonder Woman explore de nouvelles potentialités de ses pouvoirs.


Le film est dans l'ensemble assez raté et peu ambitieux. Le jeu d'acteur de Pedro Pascal ne suffit pas à rattraper les dégâts causés par un scénario mièvre, des abérations récurrentes, et une Gal Gadot un peu absente (sans oublier son jeu parfois très limite. Elle donne l'impression de réciter ses répliques). Je mets donc 4.5 sans arrondir au dessus.

Greenbat85
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le 29 déc. 2020

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Greenbat85

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