Peu importent ses succès antérieurs : aucune franchise ne peut se remettre sans coup férir d'un double uppercut aussi cuisant que les échecs cinglants d'X-Men 3 : L'Affrontement final et X-Men Origins : Wolverine. Pour continuer à rivaliser avec ses concurrents directs Marvel, DC et le petit nouveau Sony (fort de sa mainmise sur Spiderman), la Fox allait devoir revoir sa stratégie. Exit, donc, le spinoff consacré à Erik Lensherr, alias Magneto, le mutant anti-héros capable de contrôler le métal. Plusieurs éléments du scénario de ce film avorté, à savoir sa traque des Nazis responsable du meurtre de sa famille, seraient au lieu de cela utilisés sur un nouveau projet, piloté par le jeune réalisateur anglais Matthew Vaughn.


Vaughn, on s'en souvient, n'est pas très étranger à la saga des X-Men puisqu'il a un temps travaillé sur X3, avant que sa liberté de ton ne le mette en porte-à-faux avec les hauts gradés de la Fox, qui lui préférèrent le yes-man Brett Ratner. La très mauvaise réception du film de Ratner, sans parler du suivant signé Gavin Hood, ont toutefois poussé la Fox à éjecter le calamiteux producteur Tom Rothman et à se montrer plus malléables avec Vaughn. Ce dernier allait donc pouvoir réaliser son film comme il l'entendait, c'est-à-dire dans l'esprit de ses précédents long-métrages tels Layer Cake et Kickass : déjanté, énergique et malin. Ce serait X-Men : Le Commencement, ou First Class en version originale.


En ce qui concerne le scénario, il s'agirait, comme le titre le suggère, d'un préquel en bonne et due forme, dans le même esprit que ceux de Star Wars quelques années plus tôt : narrant la jeunesse des vieux rivaux des trois premiers films, Magneto et le Professeur X, de son vrai nom Charles Xavier. Ou comment le Juif survivant de l'Holocauste et le scientifique et fils de millionnaires de la Nouvelle-Angleterre se sont liés d'amitié et ont fondé la première école pour mutants des USA avant de devenir des adversaires acharnés.


La tâche de Vaughn n'était cependant pas sans risques. Le travail de George Lucas sur sa "Prélogie" était loin d'avoir convaincu tout son monde, pour tout un tas de bonnes raisons, mais notamment parce que de nombreux fans n'avaient pas accepté l'idée que certains personnages mythiques de la Trilogie originelle étaient désormais interprétés par des acteurs guère capables de rivaliser avec leurs aînés, pour ne rien dire d'une écriture qui les a maintes fois desservi. Heureusement, First Class déjoue ces pièges avec brio.


James McAvoy et Michael Fassbender étaient alors de jeunes talents prometteurs, c'est certain, mais de là à enfiler les bottes de Patrick Stewart et Ian McKellen respectivement ? Pourtant, le résultat est bluffant : McAvoy et Fassbender ne ressemblent certes guère à Stewart et McKellen, pas plus qu'Ewan McGregor à Alec Guinness ou Martin Freeman à Ian Holm (autres exemples de re-castings réussis), mais ils ont suffisamment intégré leurs manières d'être et de s'exprimer pour nous convaincre en un rien de temps qu'il s'agit bel et bien des mêmes personnages, tout en évitant soigneusement de tomber dans l'imitation ou la parodie, grâce à leur capacité à insuffler suffisamment de leur propre performance.


Cet équilibre n'est jamais facile atteindre, mais l'un comme l'autre y arrivent quasi-instantanément. Leurs scènes ensemble sont un pur régal, grâce à un alchimie qui n'a rien à envier du tout à celle des vieilles canailles de la scène britannique que sont Stewart et McKellen. Conscients que la jeunesse de leurs personnages leur donne suffisamment d'amplitude pour s'emparer des personnages emblématiques du Professeur X et Magneto, McAvoy et Fassbender brillent aussi bien dans les séquences humoristiques, comme le recrutement et la formation des X-Men, que dans celles beaucoup plus intenses et sérieuses, voire carrément émouvantes, comme lorsque Charles Xavier exhorte son ami Erik à puiser dans ses souvenirs les plus heureux et non dans sa haine pour contrôler son pouvoir, dans ce qui est la plus jolie scène du film.


Ils sont bien aidés en cela par l'approche de Matthew Vaughn pour la direction de First Class. Simplement dit, Vaughn est l'anti-Bryan Singer : là où celui-ci traitait son sujet avec le plus grand sérieux, mettant l'accent sur la difficulté des X-Men à vivre avec leur mutation et à se faire accepter par le monde qui les entoure, le jeune Anglais l'aborde sous un angle beaucoup plus fun et léger, mais sans pour autant perdre de vue les enjeux dramatiques de l'histoire et de ses protagonistes. En fait, les X-Men de Singer sont des drames avec des pointes d'humour ; X-Men : First Class est une comédie avec de grands moments de tension et d'émotion.


De fait, si Vaughn commence de façon très familière en reprenant quasiment à l'identique la séquence d'ouverture de X-Men dans le Vernichtungslager, il ne se laisse pas trop encombrer par le travail de ses prédécesseurs. La continuité en prend un coup puisque le Professeur X déclarait jadis que "Erik et moi nous sommes rencontrés à dix-sept ans" alors que McAvoy et Fassbender frisent clairement la trentaine, mais cela n'a pas vraiment d'importance à l'échelle d'un film qui fait ce qu'X-Men Origins : Wolverine aurait DÛ faire : remonter dans le temps et réinscrire ses protagonistes dans le réel en leur faisant influer sur des événements historiques.


Passées la Seconde Guerre Mondiale et la traque des Nazis en Argentine ("Je suis le monstre de Frankenstein", encore une scène d'anthologie!), Magneto, Xavier et leurs amis se retrouvent donc acteurs et co-responsables de la crise des missiles de Cuba en 1962, point d'orgue de la Guerre Froide. L'exécution de ce concept aussi simple que génial est aussi prenante que sa prémisse le suggère, mais si elle tend à se prolonger de manière inutile et lourdingue après la mort du grand méchant.


En parlant de grand méchant, j'en profite pour évoquer le reste de l'équipe, à commencer par Kevin Bacon, tout simplement délicieux en Sebastian Shaw, tortionnaire aux manières exquises. Le blanc-bec Nicholas Hoult campe un Hank "Beast" McCoy tout à fait satisfaisant et Jennifer Lawrence se retrouve dans la peau bleue d'une Mystique à la fragilité jusque là insoupçonnée. Comme les films précédents, First Class regorge en outre de mutants aux pouvoirs divers et variés, ce qui donne lieu à une galerie fort divertissante.


X-Men : First Class est à mes yeux, d'une manière générale, le plus agréable de tous les films de la série. Bien servi par une bande-son flamboyante et appropriée de la part d'Henry Jackman (cinquième compositeur en cinq films!), il est idéal pour se détendre sans s'abrutir ; en cela il ressemble à un bon nombre de James Bond. À ce sujet, on voit facilement que Matthew Vaughn faisait du gringue à la société de production EON : entre le lounge à l'intérieur du sous-marin de poche, le plan de Shaw quasi-identique à ceux des grands méchants d'On ne vit que deux fois et Demain ne meurt jamais et sa veste Nehru en fin de film, First Class a un furieux goût de 007 typiquement 60s ! Tout cela n'aura (hélas) pas suffi à séduire Barbara Broccoli et Michael G.Wilson, mais au moins Vaughn pourra-t-il bientôt se consoler avec l'excellent Kingsman !


Quant aux X-Men, malgré un succès modéré pour First Class, la Fox peut souffler : les voilà de nouveau sur les rails. L'essai des nouveaux joueurs McAvoy et Fassbender était réalisé, il allait maintenant falloir le transformer. Mais pas avant de redonner des couleurs à l'autre cador de la franchise, un certain mutant doté de griffes...

Créée

le 4 avr. 2020

Critique lue 98 fois

2 j'aime

Szalinowski

Écrit par

Critique lue 98 fois

2

D'autres avis sur X-Men : Le Commencement

X-Men : Le Commencement
Sergent_Pepper
7

Retro sixties on the sunset trip

Hollywood n’est jamais à cours d’inspiration quand il s’agit de réactiver une franchise juteuse. Cinq ans après la conclusion calamiteuse de la première trilogie, on demande au petit jeune qui monte,...

le 19 mai 2016

55 j'aime

X-Men : Le Commencement
real_folk_blues
3

X men : Le comment se manquer en beauté (recette)

1. Faites monter la sauce genre ça va envoyer du pâté parce que les deux précédents c'était de la merde. 2. Mélangez avec de l'égo de Brian Singer le temps de dire la phrase: "les deux précédents...

le 17 juin 2011

55 j'aime

32

X-Men : Le Commencement
Gand-Alf
8

Le club des damnés.

Le grand manitou de la Fox n'ayant pas accordé à Bryan Singer le délai nécessaire pour faire son "Superman returns" puis le troisième "X-Men", le bébé avait été confié au yes-man Brett Ratner pour un...

le 30 mai 2014

43 j'aime

4

Du même critique

L'Empire contre-attaque
Szalinowski
10

Le film le plus humain de la saga

Empire strikes back contient ma scène préférée de toute la saga Star Wars. Non ce n'est pas l'apparition des quadripodes sur Hoth. Ce n'est pas non plus la grotte de Dagobah, ou Yoda qui soulève le...

le 26 mai 2015

15 j'aime

2

Babylon Berlin
Szalinowski
8

Guten Morgen Berlin, du kannst so schön schrecklich sein...

N'ayant jamais lu aucun des polars à succès de Volker Kutscher, je n'ai pourtant pas attendu la bande-annonce très réussie de ce qui était alors annoncé comme "la série allemande la plus chère et la...

le 11 avr. 2019

14 j'aime

Atlantique, latitude 41°
Szalinowski
8

Nearer My God To Thee

Je dois faire partie des trois péquenauds au monde (les deux autres étant mon huissier et mon chien) n'ayant jamais vu le Titanic de James Cameron. À l'époque, ni la perspective des effets spéciaux...

le 5 févr. 2021

12 j'aime

9