" Tu veux vivre, ou tu veux mourir ? Parce que si tu veux mourir, moi je peux rien faire pour toi. "

Yves Saint Laurent est un biopic. Un biopic homologué Comédie-Française et Pierre Bergé. Un biopic construit, un biopic classique, un biopic qui marche. Les caractéristiques habituelles y passent, et le film remet au jour un grand oublié des arts du spectacle, à savoir le jeu de l'acteur. Il faut croire que Guillaume Gallienne et Pierre Niney, les deux sociétaires du Français dont le rôle-titre est le plus jeune, jouent plus au cinéma qu'au théâtre. Mais dans la voix d'Yves Saint Laurent, fragile et éreintée, dans son regard bas, dans le vieillissement de son corps enfantin, dans sa transformation en figure christique et en vieillard élégant avant l'heure, Pierre Niney époustoufle. Les plans serrés sur l'acteur sont assez nombreux, et nous font sentir au mieux tout ce qu'il traverse. Regarder les veines apparentes et les rides des mains, à la fin du film, de celui qui dessine toute sa vie laisse le spectateur se demander si c'est bien l'acteur original ou si c'est une doublure, au moins pour montrer ces mains-là devant la caméra. À la fois jeune rêveur inconscient qui a entre ses mains l'empire du monde, monstre de travail et icône adorée éreinté par les ans, Pierre Niney est un grand. Guillaume Gallienne se pose, pour une fois, en grand sage, en doyen, en père, jouant pendant tout le temps du film le rôle de celui qui a survécu. Et les deux qui tiennent l'affiche ont ce talent pour lancer des répliques, peu nombreuses finalement, qui marchent toutes tant elles se distinguent. Vous voyez, c'est le genre de film où la moitié des répliques est contenue dans la bande-annonce ; ce qui fait qu'on les attend, et qu'elles arrivent toujours, subtilement, en adéquation avec les images. C'est un film pas trop bavard, et que ce soit " Le génie, tu l'as ; moi je me charge du reste ", ou " Si c'est pour dire des conneries pareilles, tais-toi ", en privé ou devant les journalistes, tous les dialogues ont l'air d'être des punchlines qui restent en tête, ont une belle langue, et se citent, même décontextualisées.

Mais voilà. Si la langue des répliques a une belle musicalité, si le jeu des acteurs est éminemment théâtral sans être académique, si le travail de recherche est fascinant, et si les costumes sont les objets d'une véritable recherche spectaculaire, car peu de mannequins aujourd'hui peuvent porter les robes originales conservées et utilisées pour le film, si la musique au piano d'Ibrahim Maalouf est d'une infinie tendresse et d'une tristesse mesurée et si les images de Saint-Laurent prisonnier de sa chambre de malade psychiatrique, ou baroudeur christique sur les routes désertiques, ou éternel provocateur junkie au faîte de sa gloire au milieu de la foule qui l'acclame, aucun des éléments ne s'accorde (merde, j'ai été obligé de faire une phrase poupée-russe, j'avais pourtant bien commencé, il me fallait ma marque de fabrique, c'est parce que je suis passionné). Tout, et en particulier les images, vaut pour ce qu'il est. Certes, ça marche, car ça fabrique de l'émotion peut-être, de la beauté aux yeux du spectateur sans que cela ne soit jamais agressif. Il y a, dans cette fabrique de la beauté, une notion de génie, un essai du réalisateur, un peu aléatoire, de faire des images. L'ouverture du film parle pour lui : " On ne sait pas d'où vient un goût, un instinct. Personne ne vous l'apprend ". Il y a, à partir de cet essai, une étrange confusion entre le théâtre, le cinéma, et la photographie.

Le biopic d'Yves Saint Laurent, dans sa forme, est placé entre plusieurs supports dont on a beaucoup de mal à se sortir. Il est recherché, il est dessiné, une part de sa vie est là. Mais, si on le prend comme un biopic pur et simple, ce qui déçoit, c'est le peu de mise en scène. La matière est brute, et très peu d'éléments l'habillent pour lui donner du sens, comme le ferait un biopic, à mon sens, de référence, Cloclo. Cloclo est extrêmement précis et détaillé dans son propos, et les techniques cinématographiques sont maîtrisées, de manière à créer des images pertinentes avec la réalité. Et pour YSL, de la part d'un film qui se révèle plutôt théâtral, n'opérer qu'un équilibre très bancal entre le fond et la forme, c'est un peu limite. Mais entre les metteurs en scène et les photographes qui se trompent en faisant ce qu'il font à la place du cinéma, on n'est pas à ça près. Après tout, réaliser un film est déjà un acte de courage admirable, car il n'y a que peu de place pour l'instinct, pour l'idée saisie sur le vif, pour l'image et les mots à utiliser au moment où ils nous viennent, comme un besoin compulsif. Et, irrémédiablement, cette alternance et ce petit balancement qu'on fait vivre au spectateur se ressent sur le propos. Parce que c'est sacrément homosexuel tout ça. Et ce n'est pas charmant, ce n'est pas subtil ; que ce soit de disputes un peu facilement grossières aux scènes d'orgie, il n'y a pas d'enjeu derrière. Pourtant, lest relations sont tellement appuyées que ça deviendrait presque le propos du film, et que, si on ne faisait pas l'addition de tous les mécanismes théâtraux qui sont maîtrisés, le biopic d'YSL deviendrait vite une histoire d'homosexuels. Et puis, de la part d'un acteur qui s'est illustré avec Les garçons et Guillaume à table un mois plus tôt, en terme de ponts entre les œuvres, on a pas fait moins subtil depuis Albert Camus. Si le chef-d'œuvre qu'est La Vie d'Adèle (je vais faire des parallèles à ce film dans toutes mes critiques, c'est affreux), histoire d'amour pure, a lui aussi été rabaissé à une histoire d'homosexualité, l'amour a l'air absent d'YSL. Et l'œuvre en elle-même du créateur est éclipsée, ne laissant voir essentiellement que ses influences, et sa gloire. Il faut, je crois, opérer un changement dans le sujet, pour ne pas être déçu du film en tant que biopic d'YSL. Alors, c'est un film parfaitement dessiné qui se présente à nous, quoiqu'abstrait puisque le sujet même est très vaguement évoqué. Mais s'il fonctionne, c'est en tant que film de rêve, en tant que héros qui ne vit que pour et par ses uniques passions, pour poursuit ses rêves et qui suit ses étoiles, qui passe par les meilleurs et les pires instants de la gloire, qui vit, et qui en meurt.

À moins qu'il y ait encore une erreur dans l'affiche et que, pour lui permettre d'être plus précis, et vu l'implication du personnage dans le film, ce soit le biopic pur et simple de Pierre Bergé. Ouais. Ça doit être ça en fait, le biopic de Pierre Bergé.
Ashen
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le 12 janv. 2014

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Ashen

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