Changement dans la continuité

Avec Disney, vous savez dans les grandes lignes à quoi vous attendre. Ils gardent le même fond, les mêmes qualités et les mêmes défauts mais ils savent s'adapter avec leur temps et faire preuve d'un recul bienvenu sur leur patrimoine. Tant mieux car à côté, le spectateur devient de plus en plus exigeant, étant friand de nouveautés et ne pouvant plus se contenter de la même formule prémâchée, enfance bercée par le studio ou non. D'autant que depuis 20 ans, le cousin Pixar offrait de belles alternatives et prouvait encore récemment avec Vice-Versa qu'on peut proposer un film qui parle à toutes les générations avec un produit aussi soigné sur la forme que sur le fond.

A bas les préjugés bordel !

Zootopie semble le faire aussi bien au vu de son accueil extrêmement favorable, y compris au sein de Sens Critique, et sans remettre en question tout ce que le film fait de bien, les limites du long-métrage m'ont également sauté aux yeux. Et par limites, j'entends les manies de Disney qui n'a jamais brillé par sa subtilité au moment d'adresser un message, ce qui est flagrant dans la première partie. Non pas que le dit message sur les préjugés, la tolérance et tout ce qui s'y rattache soit passé de mode (au contraire, j'y reviendrai) mais c'est toujours désagréable quand il est martelé de la sorte, si bien que certaines scènes sont au mieux juste prévisibles, au pire pénibles par leur aspect forcé. En même temps, avec un "underdog" qui doit prouver sa valeur en compagnie de ce qui apparaît comme son opposé, face à une autorité fermée d'esprit, vous vous attendez à voir ces mêmes scènes, la formule est connue de tous. Mais comme je l'ai dit, on attend davantage désormais.

De plus, je vois beaucoup saluer les échanges entre notre duo. Non pas que Judy et Nick ne soient pas sympathiques et intéressants et qu'ils n'ont aucune bonne réplique (là aussi, que du contraire) mais dans un premier temps, ils répondent là aussi à un mécanisme bien huilé entre le héros déterminé envers et contre tout et l'acolyte cynique qui cache sa sensibilité. Or comme Disney garde ses munitions pour plus tard, je me suis surpris à ne pas l'apprécier autant que vous, en particulier Nick, inutilement désagréable au départ. Là encore la seconde partie rééquilibre le tout mais j'en garde une légère frustration. Enfin, si le potentiel comique est bien présent, je le trouve malgré tout sous-exploité dans le sens qu'avec toutes ces bonnes idées, je suis certain qu'ils auraient pu en caser d'autres. Peut-être que je deviens trop exigeant à mon tour...

Let it go and try everything

C'est là que je me permets une petite parenthèse car dans le même temps, j'ai défendu La Reine des Neiges, pourtant moins bien vu par notre communauté pour peu à prou les mêmes raisons qui m'ont laissé sur ma fin pour Zootopie : la prévisibilité, les manies de Disney, etc... Or si je comprends tout à fait ce sentiment, je pense que l'ami Frozen est surtout victime de son succès inversement proportionnel à sa qualité puisqu'on estime qu'il ne mérite pas sa place de N°1 dans le business Disney là où d'autres contes de fée le méritaient davantage (qui a dit La Belle et la Bête ?). Or s'il est surestimé de ce point de vue et s'il est sans aucun doute davantage calibré pour le grand public/la population ciblée par Disney que Zootopie, il en devient sous-estimé à cause de sa réputation alors qu'il contient suffisamment de qualités. On ne peut nier sa beauté graphique, ses chansons entraînantes, ses personnages attachants et aussi cette honnêteté du studio qui s'amuse de ses clichés passés.

Et justement, que Disney réactualise ses ficelles c'est une chose mais qu'il se moque ouvertement dans une scène de son plus gros succès dans son dernier long-métrage d'animation trois ans après en est une autre. Et c'est à la fois ce qui me réjouit et m'attriste à propos de Zootopie : ils sont parfaitement au courant de ce qu'ils font, alors pourquoi au milieu de toutes ces bonnes idées, ces touches d'humour, ce commentaire pertinent vous arrivez encore à nous donner ces moments qui ne passent plus en 2016 ? C'est d'autant plus ironique que dans un film évoquant on ne peut plus clairement les préjugés et les images préfabriquées, Disney tende le bâton pour se faire battre !

Little big rabbit

Car oui ce film est bon, je ne peux décemment pas dire le contraire et c'est justement parce qu'il renferme un immense potentiel que je me suis senti floué sur certains points. Comme d'habitude avec Disney, c'est foutrement beau, ses personnages sont grandement sympathiques et la VF habille bien le tout mais c'est surtout dans le fond que Zootopie est intéressant et va plus loin que la plupart des films de son catalogue. Déjà, la satire de notre monde avec les animaux ne pouvait qu'amener d'excellentes blagues, des petites touches visuelles au comique de situation qui me plaisent toujours autant. Je regrette de m'être (involontairement) spoilé la scène du paresseux tant elle est hilarante et évidente mais heureusement il y avait de quoi faire, les références au monde moderne sont également bien utilisées.

Mais surtout, même si le point de départ de notre histoire est connu de tous et mène donc aux scènes éculées que je regrette, l'histoire prend une tournure très intéressante non sans quelques retournements sympathiques niveau intrigue, et à travers cette dualité entre prédateurs et proies, elle adresse un très bon commentaire sur notre société, jetant aux oubliettes un éventuel manichéisme, malgré le trait un peu forcé de l'un ou l'autre personnage. La parabole est évidente mais elle a le mérite d'être bien exploitée, non sans faire écho à des époques pas si lointaines de notre histoire. Pour le coup, le film s'adresse aussi bien aux enfants qu'aux adultes et la morale de fin ne paraît pas artificielle. Un bon exemple de l'évolution de Disney qui a su donc s'aligner sur un succès comme Vice-Versa.

Lapin pas crétin

Tous ces bons points font que je m'en veux presque de l'avoir critiqué ainsi mais je me dois d'être honnête et vous donner mon sentiment. Or j'ai eu le sentiment d'avoir eu un film hybride entre Disney et Pixar (je sais que les deux sont une même entité aujourd'hui mais vous avez compris) et c'est bien dommage tant Zootopie est rempli de qualités. Je n'ai juste pas réussi à être autant happé que je l'aurais voulu mais je me dois de juger un film sur ce qu'il est, pas ce que j'aurais voulu qu'il soit. Et intrinsèquement et objectivement, Zootopie est très bon. Disney s'en sortira toujours vingt ans après vous verrez...