Critique originale parue sur chronicart.com
Derrière son titre foutraque, Danganronpa: Trigger Happy Havoc cache un jeu qui ne l'est pas moins. Représentant d'un genre très populaire au Japon mais méconnu chez nous, le jeu de Spike Chunsoft est un visual novel, cousin du point'n click où selon une suite de plans fixes, il faut faire avancer une histoire à coups de dialogues avec d'autres personnages. Transporté dans un huis clos à la croisée de Battle Royale et Douze Hommes en colère (les films), le joueur incarne ainsi un lycéen censé intégrer l'école la plus prestigieuse du pays, mais qui en place se retrouve prisonnier d'un jeu macabre avec quatorze autres camarades. Pour s’évader, pas d’autre choix que de tuer une autre personne. Après chaque meurtre, un procès est organisé, à la fin duquel le groupe vote pour désigner un responsable. Si le vrai coupable est démasqué, il est exécuté; sinon, ce sont les autres.
À partir de ce canevas alternant meurtres et exécutions sur un ton grotesque (un ours fixe les règles et pousse les participants à s'entretuer), Danganronpa fait le récit d'un jeu dont le moteur intensif tient à la fois d'un mystère qui se dénoue au fil de l'intrigue (qui tire les ficelles ? Quel secret cache le lycée ?), mais surtout d'un sentiment constamment exacerbé de méfiance. A chaque chapitre, c'est un nouvel élément qui vient perturber la confiance des uns envers les autres (chantage, menace de révéler un secret honteux, existence d'un traître...), de sorte que poussé à s'attacher pour être mieux trahi, le joueur voit cruellement se rompre les liens établis jusque là. Une rupture aussi double, car au premier jeu des trahisons succède celui des procès, révélant cette fois le coupable dans une succession de petits jeux variés: taper en rythme sur des touches pour contredire un adversaire, jouer au pendu pour révéler un indice clé, shooter sur des contradictions dans les témoignages avec des éléments du dossier etc.
À la manière de Phoenix Wright, Danganronpa se détache du visual novel classique en intégrant la juridiction à une forme ludique et nouvelle. Si le génie du jeu de Capcom consistait alors à reprendre les codes et affects de Street Fighter pour transcender ses joutes judiciaires, Danganronpa s'oriente lui de façon plus primitive et complexe vers le jeu musical, articulant son expérience comme une oeuvre toujours fluide et rythmée, en relance constante entre le récit et sa musique, autrement dit entre le héros prisonnier et le joueur entrainé. A la jointure de ce double jeu, Danganronpa mène enfin vers une ultime bifurcation qui signe son élégance, quand un personnage demande au joueur de lui faire confiance et ne pas lancer d'objection, quitte à se sacrifier. Tout en maintenant sa question originelle -peut-on ou non croire en un autre que soi-, c'est alors une figure fondamentale qui apparaît : celle du bartlebysme, rappelant que toute libération réelle passe par un refus des règles.