Tout a commencé avec un exutoire.
C'était en 1997, DMA Design offrait aux joueurs leur premier vrai terrain de jeu, leur premier grand défouloir, en la présence de Grand Theft Auto. Ils étaient libres de faire tout ce qu'ils voulaient, autant de fois qu'ils le voulaient, libres de massacrer les piétons, la police, de voler des voitures, les revendre, effectuer des carnages pour obtenir le fameux "Guranga". Pas de scénario, pas besoin, le plaisir était immédiat et le succès instantané.
Seize ans plus tard, GTA sort sous le nom de « Five » son septième épisode principal. Que s’est-il passé entre-temps ? En 2001, la série passait en 3D pour offrir encore plus de possibilités, plus de fun, plus de réalisme. On nous faisait revenir dans les trois zones du premier GTA à travers trois jeux de grande saveur, où se mêlaient hommages aux films de gangster et gameplay s’orientant de plus en plus vers la liberté totale. En 2008, premier retour à zéro en replongeant les joueurs dans la ville de Liberty City, avec la volonté cette fois de raconter une histoire intense, avec de véritables enjeux, tout en cherchant à dénoncer quelques problèmes sociaux notamment la drogue et la mort du rêve américain. Mais cette ambiance sombre ne suffit pas à satisfaire la majorité des joueurs, souffrants à juste titre de la régression de la liberté par rapport au précédent opus et d’un certain classicisme dans les missions proposées. L’exutoire était devenu moins fort.

En 2013, GTA 5 doit prouver que la série en a encore dans le ventre et sait se renouveler. Malheureusement, à trop vouloir contenter ses fans, Rockstar North montre à la fois ses forces et ses faiblesses.

Je dois avouer que moi aussi, bien qu’ayant apprécié GTA 4 plus que la moyenne, j’attendais le retour de la liberté, le retour de l’exutoire, le retour du « jeu » en tant que tel.
A ce niveau, autant dire que malgré quelques imperfections, j’ai été comblé. Quel bonheur de s’aventurer entre deux missions à la découverte de cette immense carte, de ces nombreux décors magnifiques et variés, de devenir un touriste un peu fou explorant ce pays inconnu en dévalant les collines à une vitesse improbable (car la route c’est pour les tocards, voyons). Faire ce que je veux, tout ce que je veux, sans craindre pour ma propre vie ou sans craindre de répercussion, c’est la magie du jeu, et GTA 5 m’en donne la possibilité. J’avance, je fuse sur la route sur fond de soleil couchant magnifique… Tiens un tracteur, c’est génial ! Je redeviens tel un gosse jouant avec ses petites voitures l’espace de cinq minutes, à bord de mon véhicule de fermier, puis je m’ennuie c’est trop lent. C’est pas grave, un vélo à côté du mont Chiliad, ça a l’air génial de le gravir à velo :O Puis tiens, des avions, et si j’allais faire du slalom entre les hélices des éoliennes ? Challenge accepted ! Et puis tiens, essayer de semer la police à flanc de montagne ça a l’air carrément jouissif !
Bref, un plaisir immédiat, satisfaisant les fantasmes de joueurs avides de se défouler, de se déchainer virtuellement, vivants alors tout un tas d’aventures inutiles mais au combien satisfaisantes…

… du moins durant les premières heures de découverte, celles de l’appropriation de l’univers par le joueur. Mais si cela suffit à créer un très bon bac à sable, est-ce suffisant pour créer un bon jeu ? Le monde ouvert est peut-être tout joli tout beau, le joueur n’a pas la possibilité de s’y créer sa propre aventure : il doit donc retourner sur les rails imposées par le jeu. Et c’est là que le bât blesse.

Si l’on sent l’incroyable volonté de Rockstar North d’amuser son joueur à travers la centaine de missions, principales et secondaires, que comporte GTA 5, le studio a beaucoup plus de mal à intégrer toutes celles-ci au sein d’une narration cohérente et intelligente. Alors oui, il y a plusieurs éclats de « génie », où les missions viendront nous offrir des aventures incroyables, impossibles, improbables, qui procureront un plaisir de jeu certain. Des missions plus tranquilles également, qui personnellement ne m’ont jamais déplu. Des missions plus intimistes, développant l’amitié entre les personnages principaux et les relations familiales grâce au personnage de Michael. Mais il est beaucoup plus triste et frustrant de constater que le tout est relié grâce à un fil conducteur quasiment inexistant.
Le jeu raconte uniquement la vie de trois gangsters, allant de méfaits en méfaits, combattant leurs ennemis, mais sans réels enjeux. Ce qui servira de trame principale est le passé de Michael et Trevor, qui sera révélé petit à petit. Cependant cette trame arrive assez tardivement dans l’histoire, et on nous donnera très vite les clés pour en comprendre le dénouement évident… le tout pour déboucher ensuite très rapidement sur une conclusion manquant à mes yeux cruellement d’ambitions narratives. Le problème étant que cette trame est très intéressante mais qu’elle est résumable en trois phrases, et que très peu de missions du jeu y seront directement liés… et pourtant celles-ci sont les plus passionnantes.
A côté de cela, comme je l’ai dit, le jeu suit les aventures des trois personnages, de leurs crimes et tout cela… c’est sympa, très sympa même à jouer, mais cruellement plat narrativement parlant. Et surtout, sans rien spoiler, j’ai du mal à voir en quoi la fin du jeu conclut l’histoire qu’on m’a raconté (en tout cas avec la fin que j’ai choisi – la C). Je comprends en quoi la vie de gangster d’un des personnages peut s’arrêter, mais je ne vois pas du tout pourquoi les deux autres n’arrêteraient pas. Et donc, puisqu’on nous racontait leur petite vie de viles fripouilles, il est presque frustrant de ne pas aller jusqu’au bout.
(Enfin c’est toujours mieux que de finir bûcheron vous me direz).

Si la narration est si plate, c’est essentiellement à cause d’un manque impressionnant de sentiment de progression. Dans les précédents opus, on partait de rien, on gagnait nos sous progressivement, on montait en grade, ça nous permettait d’acheter des trucs, de bâtir son empire dans Vice City ou de prendre le contrôle de quartier dans San Andreas, on obtenait accès aux autres zones de la carte petit à petit… Bref, l’intensité naissait de cette progression, absolument grisante.
Dans GTA V, Michael est déjà riche et Trevor dirige sa compagnie de trafic d’armes, il est donc difficile pour eux de gravir des échelons. Ce point de vue, inédit dans la série, est néanmoins intéressant. Franklin, lui, débute mais rencontrera très vite Michael… et ainsi gravira dès le début les échelons que l’on gravissait avant au sein d’un jeu entier.
Mais le plus gros problème c’est surtout qu’on ne gagne JAMAIS d’argent dans les missions normales, qu’il y a un sentiment de stagnation incroyable tant nos personnages restent bloqués au même stade pendant tout le jeu. De même, ils seront confronté quasiment tout le long aux mêmes personnages les manipulant, ce qui au bout d’un moment sera redondant car on a envie de passer à autre chose. On peut reprocher beaucoup de choses à GTA IV, mais sa progression était portée d’une main de maître, Niko progressait petit à petit dans la mafia New Yorkaise (enfin Liberty Cityaise), se créait un nom, devenait influant, c’était génial à vivre. Je comprends qu’ils aient voulu changer un peu la formule, mais il y avait certainement d’autres astuces pour donner au joueur un sentiment de progression.

Alors oui, les événements de GTA V sont plaisants à suivre, notamment grâce à de superbes dialogues, mais on ressent réellement un manque cruel d’ambition dans la narration. Contrairement à Trevor, celle-ci restera très sage et ne prendra pas de risques.
Finalement, les seules ambitions du titre sont la possibilité d’incarner les trois personnages, de créer une grande map, d’ajouter plein de véhicules, des fonds marins, une faune, d’ajouter une famille dans l’histoire… et euh, voilà. GTA fait du GTA, il le fait bien, mais il reste sage. Il fait d’ailleurs essentiellement du « San Andreas 2 », en un peu moins bien en comparant les qualités des jeux en fonction de leur date de sortie. Il n’innove pas spécialement, il le fait juste sur la fin de cette génération ce qui le rend sensiblement différent et encore plus grisant dans son terrain de jeu évidemment. Au-delà de ça et des points cités plus haut, il n’a pas l’ambition de se créer sa véritable identité. Il ne parvient ni à être aussi délirant ni aussi sérieux que par le passé, et reste le cul entre deux chaises, ce qui parfois laisse un sentiment déroutant. Les situations proposées par le jeu sont très souvent tirés par les cheveux, impossible, comme par exemple le vol de l’avion-cargo trop à l’arrache, l’infiltration dans le bureau du FIB des bombes en poche, ou cette immense casse à Paleto Bay qui fait dans le too much vraiment fun. Avec tout cela, on s’amuse oui, mais il est difficile de croire ces situations possibles.

Il ne reste que l’exutoire. Cet exutoire qui a fait naître la série, qui la fait perdurer, et qui étant tant réclamé par les fans pour ce cinquième/septième opus. Cet exutoire qui semble avoir été la principale préoccupation de Rockstar North dans le développement, tant la carte et les missions sont pensées pour le défoulement mais non pensées pour le scénario. Jouer pour jouer, c’est bien. Mais jouer pour être immergé, c’est excellent également. Dans ces deux derniers épisodes principaux, GTA aura à chaque fois développé l’un sans trop développer l’autre… Ce qui est pour moi un sacré échec pour ce GTA V qui avait l’énorme possibilité d’être excellent des deux côtés.

Au final, malgré mes nombreux regrets, j’ai passé plus de 40 heures étalées sur plus d’un mois sur ce GTA 5, sans jamais m’ennuyer, allant du plaisir simple jusqu’à la passion dans de trop rares séquences. Loin d’être un mauvais jeu, mais aussi loin d’être un chef d’œuvre, il ne mérite pas à mes yeux plus de 7 pour sa campagne solo. En revanche, force est d’avouer que la carte est un terrain de jeu impressionnant, et que ce plaisir très primaire a considérablement élevé mon plaisir de jeu, ainsi que ma note finale. Un jeu à conseiller pour s’amuser sans se prendre la tête, pour le simple plaisir de jouer, de faire des trucs de fous… on redevient enfant.

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le 24 oct. 2013

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