Quatre cascades de sueur entre mes cinq doigts. Ça y est. Je pose le pad inondé de transpiration. Les doigts pris dans un torrent de convulsions. Ce (quatrième) combat final fut le théâtre d'un champ de bataille sur la surface de la manette. J'ai alors ressenti de petites bouffées d'air chaud quitter ma gorge asséchée. Incroyable! Voici donc le dernier fer forgé par From Software, leur premier titre que j'essaie.


Le loup a perdu son troupeau. Un jeune garçon pris dans le tourbillon de la guerre de l'ère sanglante de Sengoku reste là. Sur un champ de cadavres. Un shinobi lui tendra la main. Un maître lui donnera sens à la vie. Dans un pays à feu et à sang, chaque grand recherche LE moyen de dominer le Japon. Ce ne sera pas une arme à lame. Non plus à poudre à canon. Il leur faut quelque chose qui outrepasse la mort.


Ainsi, devenu un guerrier de l'ombre accompli, Loup se retrouve à courber l'échine face à Kuro, son nouveau maître et héritier divin du Sang du Dragon. Ce titre aussi long que l'apprentissage du jeu renvoie à son pouvoir. Le jeune seigneur a la capacité unique de nier la mort. Une force céleste qui a séduit de nombreux ennemis. Le capturer signifiera pour beaucoup la domination du pays. Et c'est dans une certaine province engloutie dans la boue de la guerre que se jouera la poursuite du seigneur Kuro. À Ashina. Véritable théâtre de conflit ayant existé, Sekiro joue le jeu de mêler Histoire et mythologie. Une mythologie non moins cruelle que nos européennes.


Sekiro, ou plutôt Sekirou selon le dernier kanji, est le titre porté par le protagoniste. "Le loup à un bras". Ce dernier deviendra son bras le plus faible. La machine de guerre qui remplacera son membre perdu le transformera en couteau japo-suisse. Capable de franchir les obstacles topographiques, les hauts forts et murailles en tout genre, la prothèse shinobi est aussi une arme redoutable. Laissé pour mort, sa seule pensée tout le long du jeu est dédiée à son maître. Le pays qu'il devra affronter dépasse l'échelle humaine. Le Japon mythologique passera par là. Autant dire que mourir va de soi. Encore et toujours mourir.


Sekiro n'est pas impossible. Le bras cassé que je suis est pourtant arrivé au bout du chemin. Par contre, ne voyez pas mon coeur comme une recommandation du jeu de ma part. J'ai failli décorer l'un de mes quatre murs avec un trou en forme de manette Xbox One. Plus d'une fois. Enfin, j'aurai eu besoin de plusieurs manettes. La difficulté n'empêche pas le plaisir. Le sel de Sekiro provient de son long et corsé apprentissage. Ne jamais oublier que la défense puisse surpasser l'attaque. Attendre peut tuer. Garder ses distances peut tuer. Prolonger les combat peut tuer. Il suffira parfois d'une seule ou de deux erreurs pour finir par mordre la poussière.


C'est ici qu'intervient le petit coup de pouce de From Software. Un vachement petit pouce. La résurrection, la pièce jetée par le seigneur Kuro, permet de revenir à la vie jusqu'à quelques fois au combat. Plus l'ennemi aura de phases, plus il y aura de chances de revenir à la vie. Mais From Software ne regarde pas sans réagir et reviendra vous foutre des claques sur la nuque. Mourir trop souvent ne vous fera pas seulement apprendre par coeur le kanji qui s'affichera à l'écran. À force de toquer à la porte du royaume des morts, vous finirez par provoquer ce que l'on appelle la Peste du Dragon. Un malus finalement pas si catastrophique qu'il en a l'air. Pas besoin de mise en quarantaine. Vous perdrez plus souvent vos points d'expérience, vos sous et ça n'ira pas plus loin.


Mais les lames doivent s'entrechoquer. Plus que tout. Durant ces combats aussi beaux que punitifs, trois barres devront attirer votre attention. La signature de Sekiro, les barres de posture. Celle du Loup à un bras et celle de votre proie. Parer à la frame près remplira la barre du gibier. Parfois, le kanji du danger vous alertera. Que vos cerveaux soient prêts pour trois solutions face à cette puissante frappe. Fuir, sauter sur la tête tel Mario sur le Goomba ou bien le contre Mikiri, qui lui ne fonctionnera que lors des coups d'estoc. Loup élancera sa jambe et écrasera l'arme ennemie au sol, baissant considérablement la posture adverse.


Mais laissez un peu tranquille votre touche L1 de parade. Ne pas attaquer prolongera le combat dans le temps. Ce qui signifie plus de risques à venir, des réflexes qui s'atténueront et surtout des items en moins. Pire: jouer la défense aura beau abaisser la posture ennemie, elle se régénérera aussitôt que Loup reculera. La règle d'or dit alors: attaquez pour blesser, et non seulement jouer de la parade. Blesser fatiguera l'adversaire. Ainsi, sa posture peinera à remonter. Dans Sekiro, vider la barre de vie ennemie n'est pas prioritaire. Le sang coulera plus vite en vidant la barre de posture de votre victime.


Il vous faudra une montagne de cadavres pour maîtriser pleinement l'art de l'escrime shinobi. Vos propres dépouilles avant tout. C'est qu'après avoir été brûlé, transpercé, broyé, fusillé, mordu, déchiqueté, empoisonné... et calmé, que le Bouddha du gameplay vous tendra la main. Vous comprendrez les nuances de frappes, les pas d'esquives salvateurs, la grande valeur des objets trouvés. Tout repose entre vos mains. Ne craignez pas l'ogre en haut des marches menant au château. Ce n'est que le Goomba qui cache le Bowser. Au final, vous finirez par grincer des dents. Même le plus patient des maîtres zen poussera son cri de rage. Mais jamais le jeu ne saura vous prendre en otage. Il n'est pas injuste. Pour atteindre le nirvana du boss final, il vous faudra synchroniser avec le rythme des frappes. Chaque boss a son propre métronome interne. Le mémoriser se fera au prix de votre sang. Dans un certain sens, ces grosses pointures ne sont que des pistes de Dance Dance Revolution en mode difficile (ou Beat Saber?).


Aussi fabuleux qu'est son gameplay, ce loup de jeu se retrouve coincé par une caméra des enfers. Parfois surnommée "véritable boss ultime" de Sekiro, cette horreur causera la mort du shinobi plus d'une fois. C'est en tombant dans un puits gardé par un ninja d'élite que j'en ai fait ma plus amère des expériences. Les quatre murs de l'arène repousseront votre vision. Souvent, un brusque mouvement de l'ennemi débloquera complètement la visée et vous le perdrez de vue. Et d'un coup s'affichera le kanji de la mort à l'écran. Plus l'endroit est confiné, plus dur sera le boss. Je vous conseille d'avance de régler la vitesse de déplacement de la caméra à 3-4 points de plus. Définitivement la plus profonde cicatrice laissée par le jeu.


D'autres soucis notés durant mon périple. La musique ne m'a pas touché. Je ne connais que de loin les sublimes thèmes des Dark Souls. Mais je les garde en tête. Ici, je retiendrai seulement le point final du jeu, à savoir le morceau des crédits (End of a Vicious Struggle). En tant que musiques d'ambiance, l'objectif est atteint. Mais le coeur est loupé. Troisième erreur rencontrée: l'intelligence artificielle. "Artificielle" n'a jamais été autant juste. S'accroupir c'est être invisible. A croire que le monde entier de Sekiro porte des lunettes cassées. Cette IA est en quelque sorte le "mode facile" du titre, permettant de poignarder le premier venu et de le tuer sur le coup. Ils vous offrent leur dos avec une marque "buffet à volonté". Si Sekiro 2 il y a, c'est vraiment LE point à corriger.


Et la prothèse finira par rouiller. Elle aura beau vous offrir un éventail d'outils meurtriers, seuls une poignée vous seront véritablement utiles (pétards et shurikens, je vous regarde). Et rendre leur utilisation très limitée vous fera hésiter. Vous chercherez le bon moment pour les placer, sachant qu'il n'existe que deux items pour récupérer des emblèmes spirituelles (la "monnaie" de votre prothèse), dont l'un est extrêmement rare. Sachant que par la suite Loup aura accès aux arts Ninjutsu, vous finirez par ne plus savoir où jeter vos emblèmes. Votre lame sera constamment en train de frapper de toute façon. Et c'est avec elle que vous donnerez le coup de grâce. Un dernier crachat de ma part: le système de Terreur. Un statut infligé par certains monstres typés fantômes. C'est simple. Faites-vous mitrailler par les attaques de ce type et c'est une barre de Terreur qui se remplit. Est-ce que cela vous empoisonnera? Ou brûlera? Non. Vous mourrez. La barre de vie encore pleine. Ces combats sont affreusement ennuyeux, et effectivement effrayants. Parer ne suffira pas, il faudra fuir la moindre onde de choc sous peine de finir terrorisé alias mort.


J'ai aimé mourir des mains de From Software. Des tueurs prometteurs. Mon premier contact avec le studio de Hidetaka Miyazaki fut fatal et j'en suis tombé amoureux. Sekiro est difficile. Un danger mortel pour votre manette. Mais les soupirs poussés après avoir terrassé les monstres d'Ashina valent tous les sacrifices. Un grand jeu d'épée, une ode à la détermination.


迷えば 敗れる, そう言ったでやろう.

Créée

le 29 avr. 2020

Critique lue 410 fois

6 j'aime

5 commentaires

Mottainai

Écrit par

Critique lue 410 fois

6
5

D'autres avis sur Sekiro: Shadows Die Twice

Sekiro: Shadows Die Twice
Joo-Hwan
9

Sekiwan no Ookami (隻腕の狼)

Les entendez vous ? Les 7 trompettes de From Software sonnent à l'unisson annonçant avec elles l'arrivée de la mort. Sa faux est aiguisée tel un sabre de grande qualité et ses apotres pullulent aux 4...

le 2 avr. 2019

49 j'aime

37

Sekiro: Shadows Die Twice
YvesSignal
10

De gifles et de crocs

Trente-deux heures. Il m'aura fallu trente-deux heures pour arriver aux crédits de Sekiro : Shadow Die Twice. Trente-deux heures en deux jours, pour être plus précis. Je viens de vivre une tranche de...

le 27 mars 2019

45 j'aime

22

Sekiro: Shadows Die Twice
helldraco
4

Résumé du ressenti en temps réel (spoiler: je m'ennuie)

On va se la faire en temps réel, avec évolution du score et traversée du périple. :D Addendum: je vois des déchets humains qui ne peuvent s'empêcher de venir insulter alors je vais être direct. Tu ne...

le 22 mars 2019

33 j'aime

45

Du même critique

Gris (Original Game Soundtrack) (OST)
Mottainai
8

Un requiem pour la route

C’est drôle à dire comme ça, mais vous est-il déjà arrivé d’entendre une mélodie lors d’un rêve ? Moi, je viens tout juste de me lever après une longue nuit blanche, et me voilà assis devant mon PC à...

le 23 mars 2019

10 j'aime

Celeste
Mottainai
9

Une montagne sur le cœur

2 000 mètres et autant de façons de mourir. Un minuscule grain de pixels avec une bouillie toute mignonne contre un amas d'écrans qui cherche à briser le mental du joueur. Celeste est une ode au...

le 4 oct. 2019

9 j'aime

Hollow Knight
Mottainai
10

Un insecte pour les gouverner tous

J'ai trouvé un 10/10 sous mes semelles. Qui aurait cru qu'un si petit caillou à 15 malheureux euros serait en réalité une pierre des plus précieuses? Hollow Knight fait comprendre que la taille ne...

le 26 juin 2020

7 j'aime

4