Depuis une dizaine d’années, le cinéma se tourne de plus en plus vers le jeu vidéo pour dénicher de nouveau scénario susceptible de plaire au public adolescent ou adulescent, à croire qu’il est difficile d’imaginer, du moins dans les médias, que les adultes puissent jouer au jeu vidéo. Le résultat des adaptations est souvent bâclé (cf. la chronique Crossed sur JVC) et depuis, chaque déclaration sur une nouvelle adaptation frustre les fans qui s’attendent d’avance à un résultat médiocre. Pour autant, le fait que le cinéma se tourne vers le jeu vidéo n’est qu’un juste retour des choses. Le jeu vidéo n’a jamais cessé de tendre vers une expérience cinématographique, de tendre vers une posture active pour une histoire écrite pour les gamers afin qu’ils se sentent acteur de leur histoire. Heavy Rain avait réussi l’impensable en donnant une mise en scène particulièrement ingénieuse à un scénario malin et ultra-stimulant pour le joueur. Mais les jeux vidéo, c’est aussi une expérience cinématographique sur le plan narratif. Ce n’est pas pour rien que les adaptations s’enchaînent, de même que les projets actuels (Uncharted en stand-by, Assassin’s Creed en tournage, un nouveau Tomb Raider, World of Warcraft, etc.). Il y avait l’expérience du blockbuster explosif à tout-va façon Call of Duty, le film d’aventure façon Uncharted, le western à la Red Dead Redemption ou l’expérience multi-genre à la GTA. Mais avec The Last of Us, on touche à la grâce émotionnelle, on touche au summum des deux médias, on touche directement le joueur. Avec The Last of Us, il est vraiment difficile de concevoir qu’un joueur puisse se montrer insensible devant cette campagne solo, digne d’un grand film. Pas d’un blockbuster ou d’un film indépendant, mais d’un grand film qui arrive à osciller entre les deux et donnant un résultat d’une facture époustouflante.

Dans le jeu de l’expérience cinématographique, certains s’amuseront à comparer le film à d’autres productions déjà sorties. Le film le plus proche semble être 28 Jours plus tard (Danny Boyle, 2002) mais d’autres références vous viendront à l’esprit. Pour autant, The Last of Us ne propose pas une énième histoire sur fond de zombie. Il repose sur un background particulièrement bien pensé s’inspirant d’une véritable bactérie touchant les fourmis et l’équipe du jeu a imaginé que cela puisse se transmettre chez les humains. Dès lors, les monstres du jeu n’ont jamais paru aussi crédible et l’environnement jamais aussi dangereux. Aussi bien au cinéma que dans le jeu vidéo, jamais la sensation d’un environnement hostile et de l’aspect survival n’aura été aussi forte. Et ce côté infiltration inattendu, une idée de génie de la part des développeurs ! Il est possible à de très nombreuses reprises de passer des endroits tout en évitant l’affrontement. Bien que difficile, cela sera très souvent recommandé notamment en difficulté Survivant pour économiser au maximum vos quelques armes à disposition. Car, The Last of Us est loin d’un Dead Rising ou d’un Left for Dead, davantage armes illimitées et plus second degré. Dans ce monde contemporain, adapté de force à cette épidémie contagieuse, les armes se font rares et le plus souvent, les affrontements se font à l’arme blanche, à la batte ou au tube en métal, améliorés ou non. Même les infectés doivent être étudiés pour réagir de la meilleur des manières et éviter au maximum les pertes de munitions. Parfois, c’est au culot et aux poings que Joel doit foncer sur ses ennemis. Il y a certes des fusils (mitraillettes, snipers, etc.), des armes de poings, des fusils à pompes et même un lance-flamme, mais les munitions se font tellement rares qu’il vaut mieux les conserver au maximum. Cela sous-entend un apprentissage total du terrain, donc à travers le sixième sens de Joel. Que ce soit des coureurs (vous voient et vous entendent), des claqueurs ou des super-claqueurs (vous entendent seulement, l’intérêt est donc de jouer sur les déplacements en silence), Il faut prendre conscience du nombre d’ennemis dans les environs pour mieux les surprendre et les neutraliser. Il faut insister sur le mot ennemis car comme tout thématique d’un monde apocalyptique, l’ennemi le plus dangereux est l’homme. L’Enfer, c’est les autres comme dirait Sartre. Ainsi, et c’est un point des plus intéressants, à l’extérieur du camp, il vous arrivera fréquemment de tomber sur des clans armés et avec des intentions plus que malsaines, comme en témoignera Ellie. Concrètement, ils doivent représenter les 2/3 des ennemis du jeu et donc il faut savoir appréhender leur intelligence. Car oui, il faut noter une IA plus que correct avec des ennemis en sans cesse mouvement, prêt à se replier au moindre doute et surtout tout aussi prudent dans l’utilisation de leurs munitions. L'IA aurait pu être poussé un tout petit plus loin dans les réactions ennemis, notamment lorsqu'il vous arrivera de faire tomber un objet à proximité (chaque élément frôlé entraînera la chute de l'objet) car ces derniers n'y réagissent pas. Mais c'est pour chipoter. Même Ellie est un personnage essentiel et utile pour notre survie. Elle saura vous avertir d’un ennemi à proximité juste à temps ou en viendra même jusqu’à lancer des objets sur les ennemis pour les déconcentrer quelques secondes, le temps qu’il faut pour les neutraliser. Et lorsqu’elle saura se servir d’une arme, le duo de Last of Us n’en sera que plus redoutable et efficace.

Justement, il est temps de parler du duo qui compose ce jeu et qui, à coup sûr, va marquer l’histoire du jeu vidéo. Pourquoi ? Parce que jamais une relation n’a semblé aussi réelle, aussi complexe, aussi déstabilisante, aussi émouvante, aussi frustrante et aussi ambiguë. L’ensemble du scénario repose sur le développement de cette relation dans un background apocalyptique. Dès lors, la tache forcée Pour Joel se révèle finalement être une rédemption pour un homme qui n’a cessé de penser à soi-même et de privilégier le travail à sa fille. Un homme qui n’a pas su la protéger, un homme extrêmement égoïste qui donne tout sens au titre de cette critique. Rarement le cinéma ou le jeu vidéo n’aura mis en avant un personnage aussi antagoniste, aussi anti-héros que l’est Joel. L’ensemble de l’intrigue rend l’idée d’une trilogie encore plus intéressante d’un point de vue narratif. Le caractère désinvolte de Joel ressort dès la première séquence. Cette dernière sonne comme une véritable expérience cinématographique, et renvoie à nouveau à nombre de films de zombies/infectés, dont l’Armée des Morts, le plus récent à venir à l’esprit. Une séquence où la tension est palpable, et où le chaos monte crescendo représentant l’Homme ne devenant que l’ombre de lui-même, laissant place à la foule comme un seul individu qui se mue peu à peu en survivant, sommet de l’individualisme. Dès lors, par le biais d’une ellipse, le personnage de Joel est de retour à l’écran quelques années après le chaos, et c’est dans une cité fermée qu’il tente de survivre, protégée et sévèrement contrôlée par l’armée. Toujours cette idée que dans le chaos, l’homme ne voit que la solution dans le contrôle total et le conditionnement à une soi-disant liberté. Il est vaguement question de convois d’armes, de munitions, d’objets utiles pour les citoyens à l’intérieur de la cité. Il est question de militants Lucioles qui auront un impact sur tout le jeu. La rencontre entre Joel et Ellie va se faire par le biais de cette organisation. Une rencontre qui va les amener dans un « Dead Road-trip » à travers les Etats-unis pour espérer trouver un remède à l’infection. Ellie est un personnage essentiel pour l’intrigue, mais aussi pour l’Humanité. L’égoïsme de Joel n’en sera que plus problématique.

Mais déjà, trop de choses sont dévoilés (c’est faux, le scénario regorge d’éléments toujours plus intrigants et toujours plus surprenants) et le soin sera laissé au joueur de découvrir l’ensemble d’un scénario, proche de la consensualité par moment, voire du stéréotype, mais l’émotion qui s’en dégage est une véritable bouffée d’air frais et de nouveauté pour le jeu vidéo. Un jeu de ce calibre qui s’évertue à rendre l’expérience émouvante n’en est que plus admirable. Au-delà de ce scénario, il y a un gameplay génial qui repose donc souvent sur l’infiltration. La manière de créer des armes, le combat, les déplacements sont toujours plus intuitifs. Mais à l’heure actuelle où le jeu vidéo est une expérience qui s’admire, qui se doit d’être la plus visuellement grandiose pour la rétine des gamers dont le premier point d’approche pour un jeu est ses graphismes, The Last of Us ne déçoit pas. Là-dessus, Naughty Dog pousse la configuration de la PS3 a son paroxysme. Il ferait presque office de jeu de lancement pour la PS4. Les environnements sont tout simplement grandioses, fourmillent de détails, à l’instar d’Uncharted 2/3 qui poussaient déjà très loin la console, et surtout ne montre jamais de clipping ou d’aliasing. Les visages sont comme à l’accoutumée chez Naughty Dog extrêmement bien représentés. Les décors larges, variés et impeccables esthétiquement. Il n’y a pas grand-chose à redire pour un jeu de ce calibre et surtout sur cette génération de console actuelle.

Et puis que demandez de plus ? Et bien un mode en ligne bien sympathique. Et c’est effectivement le cas. Si les modes de jeu sont peu nombreux (Raid sur les provisions = Match à mort par équipe & Survivant = Match à mort par équipe en 4 manches gagnantes), il faut reconnaître que les affrontements avec les autres joueurs sont extrêmement stressants. L’aspect survie est bien mis en avant, et à l’inverse d’un Call of Duty, jouer en équipe sera essentielle pour la victoire. Il est primordial de se déplacer en groupe pour ne jamais se laisser submerger par l’équipe adverse et au contraire les surprendre en les prenant par derrière ou sur les côtés. Pour donner une idée de l’aspect survie, battre deux ennemis d’affilés sera une situation rare mais d’autant plus jouissive. Il faut donc être très tactique et même le plus aguerri des joueurs ne pourra, ou alors par une chance incroyable, vaincre à lui tout seul l’équipe adverse. Du coup, les combats semblent réalistes et plus stressants. L’attention est primordiale et il faut jouer avec son adversaire, l’observer et le prendre à revers. Si cela sous-entend un comportement observateur, donc plus lent, moins rythmée, il n’empêche que l’expérience jeu n’en est que plus stimulante et la victoire se savourera avec une joie non dissimulée. Le seul regret viendra de l’avantage considérable pour les joueurs présents depuis longtemps en ligne qui auront un avantage bien plus considérable que les novices (armes, compétences, etc.).

Mais alors ce jeu n’a pas de défauts ? Si, mais très légers. Tout d’abord, l’aspect construction des armes aurait dû être un peu plus étayé. The Last of Us est très loin de Dead Island mais joue sur quelque chose de plus crédible. Chacun jugera de l’appréciation du nombre d’armes à construire. Par ailleurs, les développeurs n'ont pas hésité à réaliser un jeu qui se rapproche énormément de la saga Uncharted. C'est bien simple, certaines séquences et mécanismes de la trilogie sont présents dans ce jeu et notamment cette séquence dans le jeu où il faut fuir la "police" et rappelle vraiment une séquence d'Uncharted 2. La comparaison sera donc flagrante et un léger manque d'originalité se ressentira donc sur ces séquences identiques entre les deux jeux. Mais le défaut le plus gros, le terme est relatif, provient de son scénario qui joue assez souvent avec les stéréotypes et les situations un peu cliché. La première moitié du jeu ne surprend pas vraiment et le joueur, avec un minimum de réflexion, s’amusera à prévoir le destin de certains personnages. Néanmoins, la deuxième moitié de jeu vaut son pesant d’or dans l’histoire du jeu vidéo et notamment son final qui se conclue de la manière la plus brute et la plus épique qu’il soit, si bien que le joueur sortira de cette expérience un sourire malicieux aux lèvres et les yeux remplis d’images inoubliables. Une expérience qu’il voudra réitérer le plus vite possible. A noter une durée de vie très appréciable : Entre 12 et 16h, voire 20h si l’exploration de toutes les zones et les recoins des niveaux est votre dada. Sans oublier une bande-son poétique, très légère et subtilement dosée pour ne jamais entacher l’expérience de jeu par des morceaux dramatiques à tout moment. The Last of Us joue sur l’émotion et propose donc des mélodies douces et agréables à l’oreille. Pas une BO dantesque mais une suite de compositions toutes plus appréciables les unes que les autres.

Avec The Last of Us, Naughty Dog confirme qu’ils sont en train de devenir un studio aussi mythique et apprécié que Rockstar. The Last of Us sonne comme un Red Dead Redemption, un sommet de l’histoire vidéoludique en termes d’émotions. Le jeu n’a jamais autant touché à nos émotions ces derniers temps qu’avec le dernier bébé de Naughty Dog. Sony leur accorde toute leur confiance et ça se comprend tant le travail intense et minutieux des développeurs se ressent sur l’ensemble des aspects du jeu vidéo. Un grand jeu mais surtout un classique pour le jeu vidéo et les consoles de salon. The Last of Us est assurément une pièce vidéoludique à ne manquer sous aucun prétexte !
Softon
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le 26 juil. 2013

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Kévin List

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