Si un monde virtuel s'écroule et qu'il n'y a personne pour l'entendre, le bruit existe-t-il ?

Voici un de ces jeux vidéo qui me font penser que le terme "jeu vidéo" est en train de devenir obsolète. "The Stanley Parable" n'est pas un "jeu" au sens premier du terme. Il n'est pas fun. Il n'a pas de gameplay non plus. Et ce n'est pourtant pas un film interactif. Non, rien à voir avec un "Heavy Rain" ou un "Walking Dead". L'oeuvre de Davey Wreden ne pouvait être adaptée sur aucun autre média. Parce que la notion d'interactivité est paradoxalement au centre de ce "jeu" qui en est dépourvue.

Je propose de parler plutôt d'"art numérique" pour qualifier ce genre d'"expérience", pour reprendre le terme de toute une frange de gamers lorsqu'ils se retrouvent face à ces OVNIS qui balayent toutes leurs petites habitudes ludiques d'un revers de main inique. Le terme d'art n'est pas ici un jugement de valeur pour signifier qu'un soft comme "Stanley Parable" est au-dessus de tous ces misérables jeux lambdas où on appuye sur des touches pour tuer plein de monstres ou pour résoudre des énigmes. Bien au contraire, je veux seulement mettre l'accent sur le changement de paradigme: pas de fun en vue, uniquement de la réflexion métaphysique. Et le moins qu'on puisse dire c'est que le titre de Davey Wreden m'aura fait cogiter.

L'interaction proposée ici repose uniquement sur la relation que vous allez entretenir avec le narrateur, cette voix-off si cinématographique qui commente vos faits et gestes... AVANT que vous les accomplissiez. Et là, bien sûr, vous allez me demander ce qui vous oblige à accomplir ce que l'on attend de vous. C'est précisément sur cette question fondamentale que repose toute l'industrie vidéoludique depuis ses tous débuts et l'aventure de Stanley ne se privera pas d'analyser ce rapport si complexe que le joueur entretient avec ses illusions de liberté. Mais pas que... Comme toute oeuvre intelligente qui se respecte, il sera question de plusieurs niveaux d'interprétation conduisant à des mises en abîme si vertigineuses que, quelques instants au moins, j'ai connu avec "Stanley Parable" un de ces flashes de suspension intellectuelle caractéristique des haïkus ou encore des paradoxes bouddhiques menant à de micro-révélations.

Il y a quelque chose dans ce "jeu" qui a joué avec ma vie, et ce quelque chose m'a montré la vérité: si nous acceptons si souvent de devenir des esclaves, devant nos ordinateurs ou dans notre vie réelle, c'est parce que nous sommes désespéremment en quête de sens. Un univers infiniment libre et guidé par le hasard est une tragédie sans héros.
Amrit
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le 12 sept. 2013

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