Venti Mesi
Venti Mesi

Jeu de We are Müesli (2015PC)

Venti Mesi : une alliance parfaite entre Histoire et jeu vidéo ?

      De par ma formation en Histoire et ma passion pour le jeu vidéo, je me suis intéressé à la possibilité d’allier les deux. Par ailleurs, l’histoire de l’Italie fait partie de mes intérêts personnels. Dans ce cadre, j’ai découvert un petit jeu indépendant, *Venti Mesi*, créé par deux personnes : **Claudia Molinari** (game désigneuse) et **Matteo Pozzi** (écrivain) qui ensemble, ont formé en 2011 un groupe ou studio de développement vidéoludique, **We Are Müesli**, situé à Milan. Le jeu est sorti fin 2015 dans le cadre des commémorations des 70 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Comme l’indique le titre, Venti Mesi, l’histoire s’étend sur vingt mois, de septembre 1943 à avril 1945. Il s’agit d’une expérience unique que je souhaite vous présenter. 
*Venti Mesi* est un Visual novel (ou roman vidéoludique) où l’histoire prime sur le gameplay. Le jeu défile presque comme un film

(ce qui prendra sens à la fin du jeu).


Le point fort du jeu, selon moi, réside sur le respect des sources. Il se base, d’une part, sur de vrais discours (sources orales) par exemple : le discours de Mussolini du 18 septembre 1943 ou encore, un discours sur Radio Londres en italien en 1944 annonçant des parachutages de vivres, d'armes et d'hommes... Et d’autre part, il se base sur des documents d’archives (sources écrites) parfois exposés explicitement : des journaux (par exemple le numéro du matin du Corriere della Sera, du 9 septembre 1943 qui reprend le discours prononcé la veille à la radio du maréchal Pietro Badoglio alors président du Conseil des ministres d'Italie après la destitution de Benito Mussolini le 25 juillet 1943) ou autres documents politiques officiels. Un rappel contextuel historique est nécessaire pour comprendre pleinement le jeu :
L’homme d'État italien, Badoglio va, suite au discours radiophonique mentionné précédemment, signer un armistice avec les Alliés de la Seconde Guerre mondiale. Le problème était que les Allemands étaient déjà présents en Italie à ce moment-là. Ils ont vu cet armistice comme une trahison et ont occupé avec force le pays. Le 13 octobre 1943, Mussolini est libéré par les Allemands et remis à la tête du pouvoir. C’est la formation du gouvernement de Salo (ou République sociale italienne) dont le terme n’est pas sans rappeler au lecteur cinéphile le film de Paolo Pasolini (Salò o le 120 giornate di Sodoma). Ici rien de directement cru. On se place davantage dans le quotidien psychologique des Italiens pendant la Seconde Guerre mondiale et plus spécifiquement les deux dernières années du conflit. Le jeu évoquera ensuite la libération de Rome le 5 juin 1944, puis la chute du fascisme concomitante avec la chute du roi Victor Emanuel, les changements du gouvernement avec l’avènement de la République italienne… Ces changements politiques étaient difficiles pour la population alors clivée (notamment les royalistes contre les républicains).


      Suite à ce rappel contextuel, je vais vous exposer les **caractéristiques** de ce jeu:

Tout d’abord, concernant les graphismes, je trouve que le design est original. Les personnages et les décors sont simples : on dirait des découpages dans des cartons. Le style est un peu symbolique, mais rappelle surtout certains dessins s’apparentant au cubisme (le visage, en particulier les yeux…). Les couleurs ont également de l’importance. Elles sont plutôt chaudes, opposées à la froideur de la guerre et aux atrocités qui se sont opérées au cours de celle-ci. La simplicité efficace est propre au jeu indépendant et fait aussi sa richesse. Il s’agit pour moi d’un coup de cœur. On retrouve une esthétique similaire dans un autre jeu du studio : The Great Palermo qui s’intéresse à la culture (notamment culinaire) de la ville de Sicile.
Ensuite, concernant la durée de vie, je dirai qu’il faut consacrer au moins 4 heures au jeu en lisant attentivement les dialogues et en faisant des choix. C’est assez linéaire, car même si plusieurs choix s’offrent à nous, le résultat final ne change pas. Il y a 20 courts chapitres qui se présentent essentiellement comme une discussion ou un monologue. Un chapitre correspond à un moment de l’histoire, une allumette qu’on brûle. La durée de vie augmente rapidement étant donné qu’elle nécessite de se renseigner pendant ou après le jeu, ou d’avoir des connaissances sur le sujet.
Enfin, quelques mots sur la musique du jeu qui se veut principalement dramatique, souvent au piano. Les effets sonores sont également très importants et nécessaires étant donné la sobriété graphique. À ce sujet, je présenterai un moment qui m’a marqué dans le jeu, les bombardements au moment de la libération du pays avec l’accentuation sonore lors de l’explosion.


      Outre ces éléments caractéristiques, ce qui fait la grande **force du titre** est, avec le **respect des sources** évoquées précédemment, l’**aspect immersif et mémoriel** du jeu. On évoque le souvenir d’une guerre et ses effets sur la population à l’époque : le doute pour l’avenir, pour la sécurité, l’emploi (le revenu suffisant pour faire vivre sa famille) et finalement la crainte de devoir quitter le pays. Et effectivement, ces craintes étaient fondées, car au lendemain de la guerre, l’Italie connaîtra une importante vague d’immigration au Nord de l’Europe ou hors de l’Europe : 


« ce continent est perdu » disait l’un des personnages du jeu.



On nous place donc au cœur des habitants du pays pendant le conflit. Si l’échelle est surtout portée autour de la population, le jeu mettra tout de même en scène Mussolini à Milan (seul personnage historique animé dans le jeu). Malgré la simplicité de la mise en scène, on comprend très bien ce qu’il se passe : la fin du « duce », qui commence au lendemain de la libération de Rome. Il doit faire face à ses erreurs et assumer ses choix qui le conduiront à la pendaison, dans des conditions assez pitoyables, le 25 avril 1945 à Milan. D’autres scènes sont marquantes : la torture des partisans, les camps de prisonniers... Elles insistent sur l’inhumanité des bourreaux et rappellent à quel point le conflit fut long et horrible.
In fine, ce jeu témoigne de la capacité qu’à le 10e art à transmettre des connaissances historiques et de sauvegarder la mémoire. Une dédicace touchante envers toutes les personnes qui ont connu ces faits et se sont battues pour que « demain soit meilleur ».


      Le jeu est gratuit donc je vous invite à l’essayer soit par **curiosité**, soit en priorité pour les amateurs de jeux historiques originaux et pour les passionnés de l'histoire de l'Italie comme moi. Je terminerai en mentionnant le fait que le jeu semble se baser sur livre *Storie della Resistenza* de **Gallo Domenico**, paru en 2013. En effet, une majorité des citations sont tirées du dictionnaire des partisans anonymes (*Il dizionario del partigiano anonimo*) qui sont quelques pages retranscrites dans le volume mentionné. Pour en savoir plus, voici quelques liens qui m’ont été utiles pour la rédaction de cette critique :

Sources :



Voir aussi :



  • COLTRO Gabriele, I crimini di Salò. Venti mesi di delitti della Repubblica Sociale nelle sentenze della Corte d’assise straordinaria di Padova, Firenze, goWare, 2020.

  • LE MOAL Frédéric (dir.), Histoire du fascisme, Paris, Perrin, 2018 (« Hors collection »).

Julien4041
9
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le 1 févr. 2022

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