D'ordinaire, je ne suis pas forcément sensible aux jeux narratifs, aux "walking simulators", comme on dit chez les initiés. Dear Esther m'a profondément ennuyé, et The Vanishing of Ethan Carter m'a agacé. Il faut dire que l'exercice est délicat : raconter une histoire et faire passer quelquechose par le biais d'une jolie promenade agrémentée d'interactions, suffisamment variées pour ne pas lasser, suffisamment complexes pour agrémenter, mais pas trop quand même pour ne pas rebuter. Journey, mon GOTY 2012, y arrivait très bien. What Remains of Edith Finch (WROEF) aussi. Avertissement avant de continuer : il est très difficile, voire impossible, de parler de WROEF sans spoiler. Le plaisir de la découverte étant fondamental pour une bonne appréciation de l'expérience, si vous comptez vous adonner à ce jeu, allez tout suite lire la conclusion et achetez-le. La note vous donnera un aperçu de mon avis, extrêmement positif, sur ce titre. Si vous êtes juste curieux, ou que vous êtes trop feignant pour consacrer deux heures à ce chef d'oeuvre du genre, la suite de la critique est en spoiler accessible.


WROEF raconte l'histoire de la famille Finch, une famille américaine qui semble maudite : depuis plusieurs générations, tous ses membres meurent dans des circonstances tragiques, la plupart du temps très jeunes. Cette histoire est vue à travers les yeux de la dernière représentante de la famille, Edith. Après la mort de sa mère, Edith revient dans la maison de son enfance, non pas pour toucher un héritage mais plutôt pour faire un pèlerinage et éclaircir les histoires familiales, jusqu'ici tenues secrètes par sa mère. Munie d'une clé dont elle ignore l'utilité (elle n'ouvre pas la porte d'entrée), Edith va explorer les différentes chambres, chacune étant transformée en mausolée miniature évoquant celui qui l'occupait. En effet, chaque chambre est propre à un, et un seul, membre de la famille Finch : pour tenter de conjurer la malédiction, l'arrière grand-mère, Edie, refusait que plusieurs personnes occupent la même pièce. La maison est donc complètement biscornue, remplie de pièces additionnelles et de passages secrets ajoutés au fur et à mesure de son évolution. Le simple fait d'évoluer dans cette singulière masure et d'être le témoin extérieur de l'histoire de cette famille peu banale est déjà formidablement évocateur.


Mais WROEF ne s'arrête pas là : chaque chambre va raconter les circonstances du décès de son occupant. Et pas uniquement avec une cinématique : non seulement ces séquences sont (la plupart du temps) jouables, mais elles sont également toutes distinctes : le gameplay est différent à chaque fois et parvient à impliquer les actions du joueur dans la narration. Un véritable tour de force, qu'il serait assez vain de décrire tant l'expérience nécessite d'être vécue pour être comprise. Mais je vais essayer quand même : impossible de rester insensible à la mort de Lewis Finch, toxicomane en rémission qui sombre dans un univers imaginaire qui le conduira au suicide. Son histoire est non seulement touchante, mais sa folie grandissante est transcrite en gameplay à travers deux actions à effectuer simultanément : une dans le monde réel, et une autre dans sa fantasmagorie. La mise en scène (l'imaginaire prend progressivement le pas sur le réel) ainsi que la jouabilité de l'ensemble, parfaitement étudiée, mettent dans le mille et touchent en plein coeur.


Clairement, WROEF est donc un jeu qui ne laisse pas de marbre. Mais aussi et surtout, il réussit de manière éclatante là ou beaucoup de ses concurrents surnagent à peine : il utilise le média jeu vidéo pour faire quelque chose qui ne peut être transcrit que par ce biais. Bien qu'ayant un objectif narratif, il ne peut pas y avoir d'équivalent filmique ou littéraire de WROEF. Pour passer son message, il se devait d'être un jeu vidéo. C'est le genre même de titre à citer en exemple pour démontrer la richesse, souvent insoupçonnée, de ce média.

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le 24 août 2017

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