Dans son roman La Peste, Albert Camus écrivait: « Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l'ignorance... Le vice le plus désespérant est celui de l'ignorance qui croit tout savoir et qui s'autorise alors à tuer. L'âme du meurtrier est aveugle et il n'y a pas de vraie bonté ni de bel amour sans toute la clairvoyance possible. »
En effet, le jeu français A Plague Tale: Innocence n'échappe pas à ce présent de vérité générale puisqu'il nous emmène dans le récit merveilleux d'Amicia et de son jeune frère maladif Hugo, avec qui elle entretient au début de l'histoire que très peu d'interactions du fait de son état de santé fragile. Très rapidement, tout deux connaissent un drame familial qui les force à fuir des hommes de main sanguinaires, venus chercher le jeune frère et menés par un Vitalis avide de pouvoir et de morts. En parallèle, ils sont également confrontés à un mal, un fléau mortel venu des catacombes: des milliers de rats porteurs de la peste noire remontant en nombre, qui semblent non seulement montrer assez vite un lien avec l'antagoniste du récit, mais également avec le jeune Hugo, dont la maladie se révèle plus particulière qu'il n'y paraît.
Dans une atmosphère sombre et particulièrement travaillée, le récit déploie des épisodes de plus en plus poignants et chargés d'émotions jusqu'à la finalité qui arrive comme une apothéose. Nous sommes particulièrement attachés aux deux jeunes personnages, dont l'innocence du début, dans des images colorées, merveilleuses et bucoliques, contraste avec l'ambiance particulièrement lugubre, noire et rouge sang, qui gagne peu à peu l'univers de nos deux jeunes héros.
L'esthétique du jeu, particulièrement soignée, montre également toute la violence de cette partie historique du Moyen-âge féodal français, avec ces cadavres putrides et morbides à foison qui s'amoncellent au fur et à mesure, toujours en nombre, sur le chemin d'Amicia et Hugo. On ne peut alors rester insensible face à cette histoire qui se révèle être un véritable conte à ses débuts, avec ce commencement de l'enfance somme toute pastorale vers ces péripéties noires qui extirpent les deux jeunes héros de leur foyer familial merveilleux pour les projeter brutalement dans le monde cruel de l'âge adulte, avec sa noirceur, ses vices et ses corruptions.
Amicia, dépeinte dès le début comme une jeune fille indépendante, désireuse de se battre comme un homme et de faire ses preuves, doit très vite s'affranchir de son confort et de la protection de son père pour tuer, dans le but de protéger son frère. Elle apprend ainsi à être une grande soeur dans tous les sens du terme pour un frère qu'elle a très peu connu jusqu'alors, au détriment de sa propre innocence. De son côté, Hugo, encore enfant, découvre de manière brutale et violente un monde extérieur inconnu. Son innocence, sa naïveté et sa joie enfantine contrastent ainsi énormément avec le monde qui l'entoure, celui des adultes, et deviennent comme une sorte de souffle salvateur pour la jeune Amicia, qui jongle entre moments de repos innocents et moments d'extrême violence.
Tout culmine alors vers le vieux Grand Inquisiteur Vitalis Bénévent, présenté comme un gourou fanatique et sectaire d'une Église française moyenâgeuse, qui dessert ses propres plans dans le seul objectif de gouverner le monde, peu importe comment. Il représente ainsi cette ignorance, cette croyance aveugle rendue folle, au détriment du Savoir, de l'humanité et du Bien. Peu importe le nombre de cadavres semés ça et là, temps qu'ils lui permettent d'étancher sa soif de pouvoir et de contrôle.
Nous sommes donc bien dans un véritable conte, ironique, avec ses bons et ses méchants merveilleux, mais tous évoluant dans une atmosphère perpétuellement fantastique: cette peste, cette realité presque vivante, évolue chaque nuit grâce à des rats se présentant comme étant son allégorie, vorace et dévoreuse.
Ainsi, le mal est aussi bien présent sur Terre, en son sein, qu'en l'Homme, et cette concomitance ne peut échapper à la logique de cause à effet qui s'impose à nous, joueurs et spectateurs, et nous fait réfléchir. Il nourrit l'ignorance et le savoir qu'est la lumière est la seule à pouvoir le contrer.
« Et puisqu'un homme mort n'a de poids que si on l'a vu mort, cent millions de cadavres semés à travers l'histoire ne sont qu'une fumée dans l'imagination. »