De la difficulté de la préservation du jeu vidéo

J'ai eu un iPhone entre les mains pour la première fois en 2009, et déjà à l'époque une icône avec un petit oiseau rouge attirait mon regard. C'était mon premier contact avec le jeu vidéo sur smartphone, à une époque où ce marché ne semblait pas avoir la force nécessaire pour renverser l'industrie. 14 ans après, rendons-nous à l'évidence, les consoles portables ont quasiment disparu et ont bel et bien été remplacées par ce médium, comme le pressentaient certains visionnaires de l'époque.
Quant à moi, sans jamais m'être sérieusement penché sur la série des oiseaux vénèrs, elle est toujours restée dans un coin de mon esprit.

Si la plupart des succès sur téléphone de la fin 2000-début 2010 ont aujourd'hui disparu (Doodle Jump, Fruit Ninja, Temple Run, Farmville…), Angry Birds a réussi à se maintenir dans la culture populaire, à grand renfort de suites (avec plus ou moins de succès) ou de films, au point où un mini-jeu de Super Smash Bros. 4 était basé dessus, et la licence a fini par être rachetée par SEGA cette année !
Même si j'aime bien découvrir des licences de l'éditeur au hérisson, ce n'est pas cette nouvelle qui m'a poussé à me lancer dans la trilogie, mais plutôt une vidéo de Scott The Woz où il décrivait cette version du jeu comme la seule manière de jouer à plusieurs épisodes de la série (Seasons et Rio) délistés des boutiques en ligne depuis des années. Dans le cas d'Angry Birds Rio qui est un jeu à licence, une réédition est probablement impossible, on n'aura donc sûrement plus aucune autre option dans le futur.

En vrai, la gestion de la licence par Rovio serait un sujet passionnant à aborder, l'éditeur adore délister de vieux jeux qui marchent pour mettre en avant ses nouveaux jeux (qui bident) et a même été jusqu'à renommer le premier jeu Red's First Flight (sans préfixe Angry Birds) afin de le rendre moins facilement trouvable sur le moteur de recherche de l'AppStore, mais on va se contenter de parler de la Trilogy pour le moment. Une compilation des trois premiers jeux de la franchise donc… Sortie à une époque où cinq jeux existaient, on passe donc à côté d'AB Space et du spin-off Bad Piggies. Certainement les deux épisodes les plus originaux et innovants en termes de gameplay parmi les cinq premiers, pas de chance.
Si vous allez lire des topics postés à l'époque sur les forums, ce n'est pas ce manque qui faisait parler de lui. Les forumeurs étaient plutôt occupés à tacler la licence en général (en 2012, on est en plein ère du débat "casu vs hardcore gamers", activité passionnante s'il en est) et surtout à se plaindre du prix d'un jeu qui ne les intéressait visiblement pas. Rendons à César ce qui lui appartient : 30 à 40€ pour trois jeux qui coûtaient individuellement moins d'1€ sur l'AppStore, c'est effectivement de l'arnaque.

11 ans après, le jeu coûte moins de 5€ d'occasion (sauf sur Wii U, on y reviendra), et le fait qu'il contienne deux jeux supprimés lui donne désormais une bonne raison d'exister. Alors, est-ce que cette replongée dans le phénomène médiatique de l'époque valait le coup ?
Oui et non. C'est Angry Birds, donc la formule est strictement identique d'un jeu à l'autre, et seule une poignée de différence permet à chaque épisode d'être un peu unique. Angry Birds Classic a le plus grand nombre de niveaux et contient des cinématiques animées, Seasons est plus court mais difficile et a des thématiques de niveaux plus originales, et Rio change radicalement son esthétique pour coller au film en plus d'introduire trois races d'oiseaux supplémentaires et quelques combats de boss, une première dans la série.
Au total, la compilation comporte plus de 600 niveaux, ce qui vous occupera un bon moment, surtout si vous visez les 3 étoiles dans chaque niveau (ce qui n'apporte rien, à ma connaissance).

Du coup c'est tout bon, on a deux jeux "inédits" et un classique du jeu vidéo sur une même cartouche. On met une bonne note ?
Non, ce n'est pas aussi simple que ça. Les jeux Angry Birds sur téléphone ont en effet été mis à jour très fréquemment jusqu'en 2016, mais ça n'a jamais été le cas pour cette compilation, qui est restée bloquée en 2012. Par exemple, Angry Birds Rio a connu un gros ajout de contenu à la sortie du film Rio 2, mais la version présente dans la Trilogy ne contient que les niveaux basés sur le premier film.
Le cas le plus extrême est celui de Seasons, puisque sur les 32 chapitres qu'a obtenu le jeu au fil des mises à jour, la Trilogy n'inclut que les 7 premiers !
Au final, les jeux ne sont pas correctement préservés, et quelqu'un comme moi qui ne s'est pas renseigné avant d'acheter ne profite donc que d'une petite partie de ces jeux perdus.

Mais il y a pire que ça : votre expérience de jeu varie énormément en fonction de la version à laquelle vous jouez. Si Rovio annonçait 19 niveaux inédits au lancement de la compilation, cela ne concerne que les versions sur consoles de salon, la version 3DS ne contient même pas ces niveaux, qui étaient pourtant le principal argument de vente de la Trilogy !
Pire : des DLC contenant quelques chapitres supplémentaires de Seasons et Classic sont sortis la première année, mais uniquement sur 360 et PS3. Encore une fois, la 3DS a été complètement oubliée, alors que des jeux avec des DLC commençaient pourtant à paraître en 2012 (New Super Mario Bros 2 et Fire Emblem Awakening, pour ne citer qu'eux).
Un an plus tard sont sorties les versions Wii, Vita et Wii U, et ces versions incluent les DLC gratuitement. Ces mêmes DLC ayant été délistés des stores PS3 et 360 en 2015, ces versions sont donc celles qui incluent le plus grand nombre de niveaux à ce jour, cela explique peut-être le prix relativement élevé de la version Wii U (environ 25€ à l'heure actuelle) qui compile donc le meilleur contenu et le meilleur gameplay (écran tactile oblige).

Bref, j'ai joué à la pire version, celle qui cumule le plus faible contenu et une résolution d'écran très faible qui rend beaucoup de niveaux larges très peu lisibles. Même si la 3DS a l'avantage d'avoir un gameplay à l'écran tactile, plus précis à mon sens que de jouer aux sticks, et qu'on peut y jouer partout, ces deux points forts sont également présents sur la version Vita.
Mais bon, même en admettant que j'y ai joué sur Wii U ou Vita, je n'aurais de toute façon pas connu l'expérience complète et il m'aurait manqué une bonne moitié de chaque jeu, sortie dans des MàJ post-2012.

Alors, même si ce voyage dans le passé était amusant, que le gameplay est toujours efficace et que la physique du jeu est solide (c'est le minimum dans ce type de jeu vous me direz, mais c'est bien ce qui a fait le succès du premier jeu en 2009 !), j'ai du mal à recommander la Trilogy, même pour 5€. Les jeux originaux n'ont pas été préservés dans leur intégralité, il faudra donc se tourner vers des versions Android craquées pour pouvoir jouer aux milliers de niveaux que combinent ces trois jeux. Une triste preuve que même le format physique n'est pas parfait quand il s'agit de préserver le patrimoine vidéoludique… Surtout quand l'éditeur s'amuse à saborder son propre navire !
Espérons que SEGA emmène la licence dans une autre direction, plus respectueuse de son patrimoine, et de préférence qui ne soit pas vendue à 40€.

Oh, et j'ai oublié de préciser que les données ne sont pas effaçables sur 3DS ! J'ai dû retirer la cartouche en pleine sauvegarde pour corrompre les données du précédent utilisateur et pouvoir commencer une nouvelle partie. Cette version n'a clairement pas été traitée avec respect par Rovio-Activision.