Bon, je ne suis sans doute pas la personne idéale pour un avis impartial envers Baldur's Gate 3. J'ai observé ce projet depuis ses débuts, énamouré par son ambition de créer une aventure Donjon & Dragon (D&D) immersive et accessible. C'est bien simple, c'est le premier jeu sur lequel je bondis dès sa sortie depuis Left 4 Dead (2008).
L'enthousiasme est en partie dû à Larian Studio que l'on considère comme l'un des meilleurs créateurs de RPG occidentaux depuis Divinity Original Sin 2, une réputation suffisamment bien établie pour que Wizards of the Coast lui donne la permission de développer une suite au grand classique Baldur's Gate 2 (2000-2001).
Une suite jusqu'à un certain degré en tout cas, dans le sens où nous sommes à nouveau plongés dans le monde fantasy de Féerune, et de la région de la Porte de Baldur en particulier, avec quelques liens scénaristiques par rapport à ses prédécesseurs. Pour le reste, le jeu s'avère être une itération naturellement fort éloignée de son ancêtre, en particulier de par son gameplay tour par tour, basé sur une édition différente du système de jeu D&D (la 5ème, relativement abordable).
J'avais mes réserves quant à la capacité de Baldur's Gate 3 de tenir toutes ses promesses. J'étais particulièrement sceptique quant à l'approche cinématique adoptée pour cette oeuvre, qui consiste à donner une mise en scène à toutes les conversations auquel prend part le joueur, doublage et 'motion capture' à l'appui. En effet, étant donné le caractère chronophage du procédé, et la mulitiplication des scènes disponibles suite à la liberté donnée au joueur, je ne pensais pas que la qualité serait à la hauteur pour un contenu aussi abondant. Pourtant, je dois dire que Baldur's Gate 3 sort gagnant de ce pari : il en résulte une narration très dynamique, une expérience palpitante, capturant facilement notre attention pour mettre en avant son récit, sauf lors de quelques plans ratées et des angles de caméra parfois mal-foutus. Le jeu m'a rappelé plus d'une fois Dragon Age Origins, mais plus modernisé.
Baldur's Gate 3 a cette capacité de nous absorber dans son monde, et de nous donner l'impression de vivre une vraie campagne D&D, grâce à ses jets de dés, les interventions de sa narratrice pour poser l'ambiance, et la volonté des développeurs de laisser autant que possible les mains libres aux joueurs. Minauder, escroquer, sympathiser ou bourrer dans le tas ? Il ne tient qu'à nous de choisir, et de découvrir les répercussions, parfois sur le long terme, de nos triomphes et de nos échecs critiques.
La découverte des environnements est un autre pan essentiel, et encore une fois le jeu frappe fort. Le moteur de Divinity Original Sin 2 retravaillé pour cette oeuvre atteint un seuil de qualité particulièrement élevé, y compris pour les personnages fort bien rendus. Fouiller un temple macabre oublié, découvrir la beauté d'un col de montagne verdoyant, arpenter une cité maudite, sonder un plan astral mystique ... explorer Baldur's Gate 3 est une joie renouvellée avec chacune de ses zones, qui offrent continuellement de bonnes surprises nous donnant envie d'avancer et de fouiller chaque recoin. Ouvrir tous les conteneurs qui pullulent si vous êtes seul peut lasser cela dit, attention pour les compulsifs.
La variété se retrouve aussi dans les combats. Ceux-ci ont été créés comme des puzzles à résoudre, avec des mécaniques particulières, souvent basés sur le bestiaire très fourni de D&D. Il en résulte des affrontements fort prenants, qui permettent des utilisations spécifiques de type de sorts ou de classes : échaffourées dans le noir où les assassins excellent, bataille contre une horde de morts-vivants où votre clerc peut dominer avec aise, évasion de prison durant lequel l'illusionniste démontrera tous ses talents subtils, sans compter les affrontements épiques incontournables contre les boss de fin... Baldur's Gate 3 est parsemé de combats mémorables.
De manière générale, j'ai trouvé le gameplay de ce troisième opus extrêmement fun, un bon équilibre entre prise en main relativement facile, même s'il faut un peu de temps pour se familiariser avec certaines mécaniques, et richesse de contenu. Présenté face à sa douzaine de classes disponibles, leurs sous-classes et leurs habilités par centaines, on se retrouve avec un bac à jouets bien fourni qui a de quoi rendre heureux tous les types de joueurs.
On pourra décrier un certain manque de profondeur, inhérent à l'édition D&D 5, qui rend les premiers niveaux particulièrement simplistes, mais la montée en puissance des héros s'avère très plaisante et il y a somme toute assez de complexité pour rendre le jeu tactique comme il se doit, assez en tout cas pour que les jets de dés, qui dictent la réussite des attaques, ne soient jamais une source de frustration récurrente. En outre, le studio Larian arrive à complexifier son gameplay via un arbre de talents unique, ainsi que la présence de nombreux objets magiques aux effets variés, qui ouvrent la voie à des archétypes assez uniques, dont certains sont encore sûrement à découvrir. Si on ajoute à cela l'option de se multiclasser, et la possibilité de se respécialiser facilement, on peut dire que le champ est libre pour toutes sortes d'expérimentations. En revanche, toutes ces possibilités résultent en une difficulté qui pourra paraître bien trop aisée pour les vétérans de RPG, et moi-même je conseillerais aux non-amateurs de ne pas hésiter à choisir la difficulté maximale qui offre du challenge sans contraindre à une optimisation rébarbative.
Parmi les réels points négatifs à soulever concernant le gameplay, je note une caméra parfois frustrante quand il s'agit de naviguer dans la verticalité du champ de bataille, les déplacements du groupe qui ne tiennent pas suffisamment compte des terrains dangereux (flammes, pièges, acide, etc.), la gestion des coéquipiers quand ils se reposent au camp (pour changer leur équipement par exemple), et enfin un inventaire un peu pénible à ranger (je conseille d'utiliser les bourses pour mieux compartimenter flèches, parchemins, etc.). Je pourrais ajouter à la liste quelques bugs, comme les clics sur un emplacement d'équipement qui parfois n'ouvrent pas de liste, ou les sauts qui parfois se plantent dans le décor, mais cela reste des défauts mineurs qui disparaîtront peut-être. Le ressenti essentiel envers le gameplay demeure franchement positif : on prend autant de plaisir à parler avec les intervenants que de les tataner.
Qui dit RPG dit groupe d'aventuriers. L'équipée se centre bien sûr autour de votre personnage, que vous pourrez créer via la 'création de personnage' bien fignolée et complète (mais pas exhaustive), à moins de choisir d'incarner l'un des compagnons disponibles (les personnages dits 'Origins'). Il existe également la route 'Sombres pulsions', plutôt unique même si peut-être pas recommendable pour une première partie (mais c'est débatable).
Je dois dire que les héros centraux sont fantastiques, une bonne surprise. Chacun d'eux possèdent une personnalité bien trempée (à part Wyll de ce que j'ai vécu), et il en va de même pour les présences secondaires (Dame Aylin !), bien que les interactions de ces derniers sont plus limités. On ne s'ennuie jamais de leurs dialogues, de leurs drames et de leurs badineries, ce notamment grâce à un doublage d'excellente facture (le doublage, uniquement en anglais, est globalement phénoménal). Il y a bien quelques étrangetés à dénoter au niveau des interactions, quelques étapes d'amitié brûlées pour un rentre-dedans subit désarmant, l'une ou l'autre absence de réaction pendant certains moments clés, des conversations perdues si on ne bivouaque pas au bon moment, ... mais cela n'empêche pas leur histoire personnelle d'être toujours convaincante. Des histoires qui par ailleurs possèdent plusieurs embranchements à suivre.
L'importance de nos choix et les permutations possibles ont été le principal argument de vente pour ce projet, LA caractéristique qui devait définir le plus Baldur's Gate 3. Et effectivement, le jeu offre un superbe effort dans les itérations possibles à travers les trois actes de son intrigue. Nos choix et résultats, mais également race et classe, vont déterminer un nombre hallucinant de dialogues, de résolutions de quête, de zones accessibles ou non, etc. Pour citer quelques exemples à titre personnel, mon périple m'a conduit à passer outre quatre compagnons disponibles, une région entière qui équivaut à 15-20 heures de jeu, et je suis certain que malgré mon caractère minutieux, de nombreuses surprises m'attendent dans de futures campagnes...
Baldur's Gate 3 offre à chaque joueur un parcours unique, et il est d'ailleurs impossible d'explorer tout son contenu en une fois, ni même une dizaine si l'on prend en compte toutes les variantes possibles (romances, Origins, ...). Cependant, bien que Baldur's Gate 3 soit une prouesse en terme de réactivité face à nos choix, tout particulièrement durant le premier acte, je dois avouer une certaine déception : il reste pas mal de choix majeurs, ou semi-majeurs, sans véritables conséquences, beaucoup de directions qui nous ramènent sur le même chemin. C'est tout particulièrement le cas pour la trame principale et surtout tout ce qui touche à notre 'gardien'.
Si l'histoire de Baldur's Gate 3 n'est pas dénuée de défauts, c'est vraiment ce 'gardien' qui constitue pour moi la plus grosse tâche du tableau scénaristique. Heureusement, le joueur pourra tout de même apprécier sans difficulté la narration, qui a ses moments de grandeur (en particulier durant l'acte 2). J'ai particulièrement aimé la manière dont les divinités interviennent dans cette épopée.
Pour continuer sur les sujets qui fâchent, je dois également parler du troisième et dernier acte du jeu, qui souffre un peu de la comparaison avec les précédents. Non pas que cette dernière tranche du jeu soit mauvaise ; elle réserve encore énormément de contenu (selon le nombre de personnes encore en vie), beaucoup de surprises, parmi les meilleurs passages même. Cependant, les petites faiblesses qui étaient timidement présentes auparavant, les petits bugs plus distrayants qu'ennuyeux jusque-là, se font davantage ressentir. Durant l'acte 3, je suis tombé plusieurs fois sur des quêtes bâclées (dont une majeure), tout comme les épilogues qui sont bien trop vite expédiés. A cela j'ajoute moins de réactivité, davantage de chit-chats absents, ou bien des comportement qui ne s'enclenchent pas (alors que bien présents dans les fichiers), des situations incohérentes par rapport à mes décisions. Bref, un degré de finition notoirement moindre.
Ces mauvaises expériences, très aléatoires, laissent lieu à une gêne, et à certains moments, on vient à se demander si l'on joue correctement, s'il ne manquerait pas ci et là quelque chose, si ce qui vient de se passer était sensé se dérouler ainsi. Cette sale impression n'est que ponctuelle mais Baldur's Gate 3 qui se dressait tel un colosse aussi robuste que monumental la majeure partie du temps, se brise quelque peu sur son socle en fin de course.
Malheureusement, ce sentiment se renforce d'autant plus que la dernière partie du jeu manque d'optimisation technique, au point que vous risquez probablement de devoir abaisser vos graphismes si vous souhaitez préserver un gameplay fluide (Edit 2024 : l'optimisation semble avoir été revue, plus de problème à signaler de ce côté).
Malgré l'accumulation de ces problèmes, le sentiment dominant en fin de partie, après plus de 120 heures passées dessus est pour moi celui d'un enthousiasme quasi immaculé, qui se traduit par une immense envie de recommencer, et de tenter un nouveau personnage, une origine, une classe différente, un changement d'approche/alignement, s'essayer au coop, etc.
En conclusion, Baldur's Gate 3 s'en sort avec les éloges, en offrant une aventure D&D captivante, taillée sur-mesure, engageante grâce à une expérience cinématique convaincante, et plaisante grâce à sa jouabilité réussie. Le jeu n'atteint pas le rang de chef-d'oeuvre à cause d'un manque de consistance en fin de campagne, mais avec un peu de peaufinement supplémentaire et des gros patchs de débuggage en règle, plus rien ne devrait l'empêcher de prétendre à ce statut d'ici quelque temps. Et même si je suis plus circonspect, le jeu a vraiment le potentiel de devenir l'un de mes jeux préférés si son troisième acte devait être suffisamment retravaillé (par là j'entends : pas seulement les épilogues). En attendant, Baldur's Gate 3 n'est pour moi rien d'autre que l'un des meilleurs RPG de tous les temps, rien que ça...