Faisons fi des phrases faciles dans lesquelles se complaisent mes collègues spécialisés dans l'extermination textuelle; Beyond: Two Souls n'est pas une expérience inintéressante. Nous pourrions passer des heures à discourir sur les valeurs intrinsèques de ce genre d'aventure narrative presque interactive sans entrevoir ce qui semble échapper à la plupart de ceux qui se prétendent pourtant critiques. Ce produit n'est pas un jeu vidéo. Et ce n'est pas grave du tout.
Vous et moi savons bien que David Cage est ce bizarre game-designer qui ne sait pas vraiment "designer" un jeu. Dès qu'il est question de quitter la cinématique pour attaquer un moment de gameplay... Tonton David cale. Surpris, un peu paniqué, l'homme de Gruttola cherche alors un artifice afin de se sauver la mise. Souvent, il se rabat sur sa version maison du QTE inventé autrefois par Yu Suzuki. Et ce n'est pas grave non plus. Il a cependant un talent rare pour écrire des scénarios à embranchements, créer des instants, donner une valeur émotionnelle à certains moments d'une séquence narrative. Est-il capable d'user de ressorts vidéoludiques pour les véhiculer jusqu'à nous? Pas vraiment, mais c'est aussi son approche balbutiante qui rend sa démarche charmante.
Two Souls est avant tout une histoire ambitieuse racontée sans grand talent à travers un jeu de marionnettes dont les fils technologiques ne sont que trop apparents. L'artifice de la capture de performance - forme faciale de la mocap - est encore trop faible pour réellement soutenir la création d'une œuvre narrative de ce type. L'on sent à chaque instant que la PS3 - certes poussée dans ses derniers retranchements - peine à habiller ces animations des effets nécessaires à masquer leur faiblesse. Les décors sont pauvres, les visages anguleux, à peine sortis et déjà dépassés. Et pourtant, à travers ces ébauches, l'on tente de vous narrer près de trois décennies de la vie d'une femme. Paf, rien que ça. Posons donc les bases, il est temps de s'y mettre. Vous incarnez Jodie Holmes une jeune femme dotée de pouvoirs proches de ceux de Carrie qu'elle peut mettre en action dans le monde réel par son lien télépathique avec une entité télékinétique nommée Aiden. Au fur et à mesure que s'écoule la structure narrative Tarantinienne de l'œuvre vous découvrirez comment ces pouvoirs lui sont venus, ce qu'ils représentent et comment ils vous aideront à influencer quelque peu le déroulement des opérations. L'idée étant que si vous avez pris plaisir à l'aventure; vous pourriez être tenté(e) de vous y replonger pour essayer un autre parcours un brin différent. Oui, je sais, ils sont optimistes chez Quantic Dream.
C'est d'ailleurs leur force, Two Souls est le genre de projet où l'on sent que l'équipe espérait désespérément que le tout finirait par faire sens à la fin du voyage. Ils n'étaient que l'équipage et ils ont fait confiance à leur capitaine un peu frappadingue. Malheureusement, même si l'on met de côté tout l'aspect vidéoludique de la chose et que l'on considère que ceci est autre chose, cette tentative reste moins réussie que ne l'était Heavy Rain. L'histoire qui vous y était proposée se voulait moins dirigiste. Plus large. Mieux articulée. Ici, l'on est visiblement dans un univers riquiqui où seuls deux des acteurs proposés comptent. D'ailleurs, ne vous attendez pas à voir Willem Dafoe très souvent durant le cours de l'aventure; le gars coûte un peu trop cher pour ça. Pire que tout, certains passages du scénario vendus comme des moments d'ultime profondeur psychologique semblent avoir été écrits par un enfant de six ans qui vient vaguement d'entendre parler vite-fait de la notion de mélodrame. Ils sont certes rares, mais suffisent à jeter un doute sur la capacité de l'auteur. C'est simple : l'on ne passerait pas tant de faiblesses à un film et David Cage le sait. C'est aussi pour ça qu'il tente inexorablement de faire d'une œuvre active qui se vit du bout des doigts une expérience visuelle à laquelle l'on réagit. Après tout, si le résultat est inadéquat; il peut toujours rejeter la faute aux limitations du média qu'il prétend faire "évoluer" par ses méthodes régressives.
Malgré ces défauts rédhibitoires, il reste assez de charme à cette tentative malhabile de réaliser la synthèse du jeu et du film que pour donner envie aux plus curieux de se jeter dans ses eaux. Vous ne risquez pas d'y perdre pied, c'est pas très profond.