Obtenu dans un bundle bien chargé, Caravan Sandwich n’était pas un jeu que j’avais prévu d’acheter mais qui, proposé ainsi, n’était pas non plus un refus pour moi. Disons que j’en avais entendu parler en bien et que c’était l’occasion de m’y essayer. Et bon…vu ma note, vous vous doutez bien que l’expérience a été désastreuse, mais ce n’est pas si grave. Quelque part je suis content que le jeu ait fonctionné et je peux au moins lui reconnaître une qualité indéniable : sa poésie fonctionne. Son univers chargé de mélancolie, ainsi que son histoire touchante méritent d’être soulignés. Mais voilà, au-delà de ça je dois bien avouer que ludiquement parlant le soft m’a été pénible. C’est fort dommage mais en même temps tout à fait explicable, voire justifiable.


Caravan Sandwich est d’abord un jeu woke, il faut le dire. Je ne suis pas du genre à crier au wokisme à tout bout de champs, mais là difficile de nier. On est plein dedans. Un wokisme qui s’impose lourdement, qui crie qu’il l’est à la moindre réplique. Toutes les cases sont cochées. En plus des pronoms non-genrés imposés à tout le monde, on a des personnages qui, lorsqu’ils mentionnent leurs parents, évoquent toujours des couples homosexuels. S’il y a des hétéros, il y a au moins métissage. Et dans ce monde évidemment, les femmes sont techniciennes, mécanos, débrouillardes, aventurière tandis que les hommes sont des papa cuisiniers qui restent au logis.


C’est too much. Et pourtant fort heureusement je n’ai rien contre les couples homos ni contre les filles mécanos. Sauf qu’ici, dans cet univers, j’ai eu du mal à y croire. Mal à croire que sur une planète déserte, un monde en déperdition à reconstruire où la survie et la débrouillardise sont le quotidien, tout le monde soit : attentionnés, non-binaire, végétaliens, débarrassés des affects primaires que les humains se trimballent depuis la nuit des temps. Et le point le plus embêtant pour être honnête n’est même pas tant cet univers bisounours, mais plutôt la manière dont il se traduit dans le gameplay et dans l’écriture.


Dans son vœu de bienveillance, Caravan Sandwich veut éviter au joueur toute frustration possible. Paradoxalement, il fait tout à fait l’inverse. Frustrant, il le devient à force d’avorter le moindre défi. Car le jeu se présente comme un petit monde ouvert sur la planète Cigalo, dans lequel on incarnera la jeune Sauge de retour sur notre planète d’enfance pour y rechercher notre sœur disparue. Concrètement, un open world narratif dans lequel on va régler des missions pour nos amis, arpenter des ruines pour retrouver des technologies oubliées et ramasser des bidules pour upgrader notre van, qui sera notre outil à tout faire. Et comme je le disais, on sent dès le début que le jeu cherche à être une expérience narrative bienveillante. Et là encore, je dis pourquoi pas ? Les wholesome games ça me botte bien. Sauf que bien souvent le jeu d’exploration « post apo » se heurte au jeu bienveillant.


Prenons des exemples.


On sera souvent amené à explorer des ruines, voire des tours et pylônes désaffectés. On va donc prendre de la hauteur, risquer notre vie. Sauf que les devs ont fait le choix d’un jeu sans mort, et qu’on pourra donc tomber et sauter sans aucun dégât. Combien de fois je suis monté à 20 mètres de haut et ai décidé de sauter pour rejoindre plus rapidement mes amis en bas ? Combien de fois j’en ai eu rien à foutre du soi-disant risque évoqué par mes amis parce que de toute manière je ne savais que tomber ne signifiait rien.


Autre exemple. Assez tôt dans l’aventure on apprend qu’on va pouvoir sortir de la ville-hub pour s’aventurer dans le désert. On apprend alors que notre père s’y est aventuré avant nous pour chercher l’aide de nomades, et qu’il est probablement en danger. D’ailleurs nos amis nous annoncent la chose comme une situation de crise. Sauf qu’en vrai, on sort de la ville avec notre van, et littéralement 15 mètres plus loin, on y trouve notre père déshydraté. Déjà bon…le mec était juste à 15m des portes et personne n’a été foutu de le trouver avant qu’on soit là. Soit. Sauf qu’ensuite, ce désert si dangereux, on va s’y balader tranquillement vingt heures durant sans jamais qu’aucun danger ne se manifeste. Et parfois même on y croisera nos amis ! à pied ! qui s’y baladent pépouze et nous disent « oh salut Sauge ».


En fait le jeu n’en a rien à foutre de sa propre cohérence. Et c’est comme ça tout le temps.


Dernier exemple. Une mission va consister à rejoindre un bâtiment dans lequel il y aurait d’anciens robots abandonnés. « Des robots dangereux, attention Sauge ! » nous préviennent nos amis. Pour une fois, ils ont l’air vraiment effrayés et moi j’étais excité de me dire qu’il y aurait du danger. En réalité, une fois arrivé sur place, on constate que les robots sont pacifiques. « Iels sont gentils, iels vont nous aider. » Des robots benêts qui nous donnent ce qu’on est venu chercher, sans rien en contrepartie. Un dialogue osef plus tard et la mission est terminée.

Je crois que c’est à ce moment-là que je me suis dit : « va niquer ta mère sale jeu ». À force de m’annoncer des enjeux, de me faire espérer de l’aventure pour, au final, désamorcer les tensions par des effets de manchette bidons, tu m’as eue à l’usure. Caravan Sandwich c’est ça. Un jeu qui se la joue étrange, mélancolique, aventureux, mais qui dans les faits ne consiste qu’en allers-retours laborieux entre des PNJs bien attentionnés. Dans ce monde, tout le monde il est gentil, même les méchants.


Que reste-t-il alors ? La liberté d’exploration ? la narration ?


Pas de bol, là encore les deux concepts se heurtent l’un l’autre. En effet, on est libre d’explorer des ruines mais bien souvent, on fera face à des portes fermées parce qu’on ne sera pas dans le bon chapitre et qu’on n’aura pas encore les outils dédiés. Ou parfois, à l’inverse, il m’est arrivé de trouver des objets avant qu’on me les demande, rendant ainsi les échanges assez absurdes. Et l’essentiel du jeu, lorsqu’on ne ramasse pas des merdouilles pour nos amis, consiste à ramasser des merdouilles pour améliorer notre van et passer au chapitre suivant. On reproche aux triple A leur collectionnite aigue, et bien Caravan Sandwich fait exactement la même chose.

A l’heure où les indés se réapproprient le monde ouvert pour en faire des choses intéressantes – A short hike, Alba, Tchia, Lil Gator Game, Sludge Life, Tiny Terry’s Turbo Trip …- Caravan Sandwich ne parvient qu’à transposer les tares des triple A dans un décor plus petit. Il ne fait pas différent d’eux, il fait la même chose avec moins de gameplay et une écriture merdique, sous prétexte de bienveillance woke.


Parce que oui, l’écriture aussi parlons-en.


Pour ma part je garderais l’histoire et l’univers qui m’ont été intéressants. Cette planète délaissée par une ancienne corporation, et ces personnages qui cherchent à y faire revenir l’activité pour retrouver une vie décente, mais qui se cognent au dilemme suivant : faut-il faire revenir l’activité pour retrouver notre vie d’avant ou mieux vaut-il accepter cette vie chiche et difficile, mais laisser cette planète en paix ? Il y a presque là un questionnement de fond, un questionnement qui interroge la gauche partagée entre combattre le capitalisme ou dealer avec lui.


Sauf que l’écriture elle-même est nulle, parce qu’elle ne sait pas sur quel pied danser. Partagée entre ses thèmes d’adultes et son attitude débonnaire, sa douceur dégoulinante. Je voulais skipper chaque dialogue tellement tout était consternant et puis….il faut le dire…mal écrit. En fait pour être honnête j’ai rarement vu un jeu aussi mal dialogué. Un jeu où toutes les tentions, toutes les incompréhensions et tous les non-dits se réglent en quelques mots gentils, quelques phrases complaisantes, parce que, toujours par principe de bienveillance, il ne faudrait surtout pas que les jeunes wokes de cette planète s’entendent mal, ne se comprennent pas, fassent naitre des tensions entre eux. Le jeu veut absolument construire une société idéale où tout se règle par la dialogue et chacun soit en paix avec l’autre. C’en est ridicule et ça plombe le moindre échange. Pour un jeu narratif ça la fout mal.


Bref, pour conclure j’ai trouvé que pour un jeu monde ouvert narratif, Caravan Sandwich ne réussissait ni dans l’un ni dans l’autre. Mauvais presque partout, bon seulement dans sa DA et dans l’univers qu’il érige maladroitement.

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