Carrion
6.5
Carrion

Jeu de Phobia Game Studio et Devolver Digital (2020PC)

Après avoir joué à Stray, le récent simulateur de chat, et découvert que c'était quelque chose que je voulais depuis longtemps sans le savoir, je me suis dit : "Mais comment personne n'y avait pensé avant ?"


En terminant Carrion, ça me parait bien plus facile à croire. C'est quand même une idée passablement perchée. Et pourtant, je réalise qu'être un amas de bidoche sanguinolente hérissée de tentacules était un autre vieux fantasme inassouvi sur lequel je n'avais jamais posé les mots, alors que - sérieusement - c'est certainement notre rêve à tous.


Non seulement Carrion exauce ce souhait en nous mettant dans la peau d'un informe créature tout droit sortie du film "The Thing", de John Carpenter, mais il le fait surtout très bien.


o o o


Tellement bien qu'après quelques minutes de jeu, je suis en immersion roleplay totale, à ramper dans les canalisations pour surprendre des scientifiques sans défense, les ingérer dans une explosion de voracité et de fluides corporels, sous les yeux de leurs collègues terrifiés.


Quand les militaires s'en mêlent, ça demande un peu plus de doigté : un grognement guttural pour les attirer à droite, un coup de dent dans la bouche d'aération, je pointe un tentacule avide dans la direction du soldat le plus proche et l'attire vers son trépas en me remettant vite à l'abri. Si je me prends malencontreusement un coup de lance-flammes dans l'opération, j'ai intérêt à trouver rapidement un point d'eau, au risque de me consumer en quelques secondes. La vie de blob n'est pas de tout repos.


Je me suis réveillé dans une cuve et vais devoir muter à mesure que j'approche du cœur d'un complexe scientifique de mieux en mieux défendu. Au gré de mes gloutonneries, j'alterne entre trois formes plus ou moins agiles ou massives, qui donnent accès à des capacités de plus en plus létales. Le blob souple et agile des débuts laisse bientôt place à deux tonnes de crocs et d'appendices acérés qui se trémoussent avec une vélocité surprenante, à la force de mes pseudopodes. Il est toutefois possible de larguer du lest pour revenir à un style plus agile et furtif, quand les circonstances l'exigent.


o o o


Le jeu n'a pas grand-chose à raconter et n'en a pas besoin. Les quelques séquences flashback où vous jouez un humain ne sont pas essentielles, mais ne m'ont pas non plus dérangé. C'est la narration environnementale, dans des décors agréablement variés, qui fait le gros du travail. Mention pour les musiques mystérieusement sinistres de Cris Velasco qui créent une ambiance formidable.


J'ai beau être généralement hermétique au charme du pixel art (sûrement parce que je suis né pendant son apogée et que je me souviens du game design abject qui l'accompagnait trop souvent), Carrion est magnifique. Sous son aspect rétro, le jeu est techniquement impressionnant, avec ses éclairages dynamiques et une physique de blob absolument bluffante. La créature flasque et sans forme se déplace exactement comme on pourrait l'imaginer en regardant les films qu'elle référence et surtout, c'est un vrai bonheur à prendre en main.


On aurait pu craindre un gameplay bancal ou trop expérimental, mais les sensations de jeu sont parfaites. En plus de répondre au doigt et à l'œil, la créature ne ressemble à rien que j'ai pu incarner jusqu'alors. On contrôle uniquement les tentacules en pointant la direction dans laquelle les projeter, et la physique parfaitement calibrée fait le reste.


Notre blob glisse, rampe, grimpe, ou se faufile dans des espaces étroits en essayant de ne pas perdre de morceaux, mais c'est surtout la sensation de se balancer au bout de longs pseudopodes qui donne un côté aérien et incroyablement dynamique aux déplacements. Je n'avais pas pris autant de plaisir depuis Ori 2 et ses enchaînements de dash, double saut et rebonds en slow-mo.


Les combats sont heureusement du même calibre. Même sous la forme la plus massive de la créature, quand on commence à mesurer plus de dix mètres de long, les contrôles sont suffisamment précis pour que les affrontements les plus tendus ne soient jamais frustrants, et qu'on ne s'en prenne qu'à soi-même quand on finit carbonisé ou criblé de plomb.


o o o


À ce stade, vous pourriez légitimement de vous demander pourquoi je ne lui colle pas un gros 10. Et c'est là que je dois malheureusement aborder le sujet qui fâche : la structure des niveaux. Carrion reprend le principe d'un Metroidvania. Vous êtes lâché dans un environnement relativement ouvert dont les niveaux s'enchaînent à peu près linéairement, mais restent interconnectés. Il arrive toutefois de devoir revenir sur ses pas pour débloquer un passage auparavant inaccessible à l'aide d'une capacité débloquée entre-temps.


C'est une structure qui me déplaît généralement, même quand elle est parfaitement implémentée. Ici, la navigation entre les niveaux se fait par des entrées circulaires qui se ressemblent toutes, et vous téléportent à divers endroits de la map. Des panneaux "Exit" vous dirigent naturellement vers ces portails, si bien que tant que le jeu reste linéaire, vous n'aurez pas de mal à atteindre votre destination, mais quand on vous fait revenir en arrière, c'est un énorme bordel et il est très facile de se paumer pour une durée indéfinie.


Lavant-dernier niveau, "The Bunker", est un exemple frappant, car le portail de fin de niveau vous mènent dans un grand espace qui communique avec plusieurs autres zones. J'ai commencé à m'y aventurer et le temps de comprendre que j'avais raté un ou deux virages, j'étais revenu 4 niveaux en arrière et n'avais aucune idée de comment retourner au bunker. J'ai finalement dû reprendre une sauvegarde et refaire la dernière section du bunker, pour me remettre sur les rails, et c'est grâce à une vidéo youtube que j'ai découvert quelle direction prendre pour découvrir le dernier chapitre du jeu.


C'est d'autant plus dommage que le jeu parvient souvent à vous mener subtilement dans la bonne direction, alors même que ses énigmes utilisent vos trois formes à plein régime et ne sont pas avares en backtracking (ce qui n'est pas non plus au goût de tous). En réalité, si vous ne voulez pas débloquer 100% des upgrades, vous n'avez que très rarement besoin de revenir dans les niveaux antérieurs, et j'aurais préféré que ce soit une option de New Game+, par exemple, plutôt que bordélifier inutilement la progression.


o o o


Malgré ce gros bémol, Carrion reste mon expérience ludique la plus singulière de l'année et un jeu exceptionnel que je ne manquerai pas de recommander aux amateurs de bons films d’horreur avec des tentacules en latex.

Si vous êtes un jour demandé ce que ça ferait d'incarner The Thing et d'enserrer vos proies hurlantes dans des grappes de tentacules pour les attirer inexorablement vers vos multiples gueules hérissées de crocs, ce jeu est fait pour vous.

Ezhaac
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Ezh Game Awards 2020 et Ezh - Joués en 2023

Créée

le 27 déc. 2023

Critique lue 2 fois

Ezhaac

Écrit par

Critique lue 2 fois

D'autres avis sur Carrion

Carrion
majbleu
8

The Thing Le jeu (non-officiel)

Carrion est un genre de metroidvania assez singulier. Il nous met dans la peau d'une créature dont nous ne savons à peu près rien sinon qu'elle est tenue prisonnière d'un laboratoire dont elle...

le 31 juil. 2020

4 j'aime

2

Carrion
MadreMiaaa
4

Concept effleuré

Il n'y a pas grand chose à retirer de Carrion d'autre que l'évidence du concept et la manière de se mouvoir de la Chose. Le jeu est tellement timide dans ses mécaniques et son level design qu'on...

le 28 juil. 2020

4 j'aime

Carrion
DrLoutre
7

Le jeu indé pour les amoureux d'Alien et The Thing

Bon, on va pas se mentir : Jouer le gentil, c'est sympa mais un poil redondant. Alors parfois jouer le méchant, ça offre une perspective intéressante. C'est la proposition de Carrion, à ceci près...

le 28 juil. 2020

4 j'aime

Du même critique

Martyrs
Ezhaac
9

Expérience traumatique

Peu de films ont su me retourner comme l'a fait Martyrs. Je vais éluder le débat stérile sur la légitimité du thème de la torture au cinéma et partir du postulat que la vocation première du film...

le 21 juin 2010

85 j'aime

4

Vidocq
Ezhaac
8

Paris gothique en numérique

Le film qu'il vaut mieux ne pas aimer quand on veut briller en société, tant il se traine une réputation usurpée de nanar. Alors c'est le moment de m'empoigner les couilles et de les poser sur ce...

le 16 janv. 2011

64 j'aime

16