Clair Obscur: Expedition 33 est un J-RPG qui se déroule dans une France fictive post-apocalyptique en proie à une sorte de malédiction. On incarne donc une équipe de personnages qui doivent surmonter de multiples épreuves dans un périple riche en surprises, à travers une expédition dont ils ne sont pas les premiers à prendre part.
Le jeu s'inspire beaucoup de Persona 5, du dire des développeurs. Je trouve qu'il se rapproche (involontairement ?) plus de Final Fantasy XIII dans sa structure, sa narration et sa mise en scène. L'aventure est assez linéaire et s'ouvre au fur et à mesure qu'on débloque des capacités de notre "monture", dans une world map tout droit inspiré des J-RPG des années 90. On retrouve notre aventure segmentée en zones à explorer dont la taille varie, qu'on peut rejoindre depuis ladite world map. Il y a des monstres à combattre, des objets à ramasser, on avance dans de beaux décors, et on en apprend plus sur notre aventure via des cinématiques efficacement joués et mise en scène.
Et on aborde le point que je trouve le plus intéressant : la direction artistique du jeu est vraiment très originale et agréable. La France est représentée de manière très poétique et mystique, et ses mythes et symboles sont très bien dilués dans l'univers sans pour autant donner un côté trop "chauvin" au jeu. Les ennemis sont remarquables et je n'avais vu des fulgurances de design pareil que dans des œuvres très niches, allant de l'école artistique slave aux idées fantastiques organiques de Métal hurlant. Les musiques sont variées et très inspirés, et les chants en français apportent un vrai plus à l'ambiance. Tout cet enrobage rend l'aventure d'autant plus intéressante à suivre pour découvrir le monde et son histoire. Un monde qui, finalement, à cause du concept même de l'histoire, montre très vite ses limites dans ce qu'il a à raconter.
Le monde est dépeint comme un champ de bataille de plusieurs dizaines de décennies, ce qui a permis aux développeurs de disséminer des éléments sur le monde afin de justifier et d'expliquer les multiples expéditions qui ont eu lieu avant la nôtre. Mais ce procédé n'est pas assez poussé, et le jeu ne fait que justifier son game design, sans créer assez d'éléments pour rendre l'univers plus dense qu'il ne l'est. On reste avant tout dans une fable poétique, ce qui, dans un J-RPG d'une quarantaine d'heures, rentre en contradiction avec le principe même "d'expédition" et de grande aventure. On suit des personnages qui ont un but, qui expriment des émotions, mais le monde autour de nous n'a pas vraiment d'importance. Il y a bien quelques autochtones, et un village, durant notre périple, mais c'est trop peu pour créer un univers consistant. Le jeu est plus construit comme un jeu d'arcade qu'un RPG, ce qui incombe de multiples zones annexes sans aucune narration, remplis de boss secondaires pour débloquer des cosmétiques, ou des compétences passives.
Je vais donner un exemple simple en divulgâchant : une des seules zones secondaires que j'ai retenues dans sa structure est la Grotte Sinistre. Il y a peu de lumière, seulement un plafond bleu de lucioles/substance flottante, de multiples endroits où tomber pour récupérer des objets, et un seul ennemi, assez puissant, qui nous amène à la grosse récompense de la zone : un NPC vendeur, qui s'avère être mort au moment où l'on tombe dessus. Mais une autre récompense est disponible plus loin. Cette zone raconte une histoire, pose une ambiance, et son level design est stimulant.
Le jeu se focalise trop sur ses personnages, sur son histoire et ses retournements, beaucoup trop mélodramatiques et factices à mon goût, afin de créer un rollercoaster d'émotions qui retombent rapidement pour passer à la cinématique suivante. Il manque quelque chose de tangible dans cette aventure. Je comprends où l'histoire a voulu aller, à partir de l'Acte 3, et je comprends aussi toute l'intention poétique du jeu, mais je n'ai pas été touché par cette histoire, finalement bien plus restreinte et logique que ce qu'elle veut faire croire. Ce sentiment est renforcé par le fait que les personnages, y compris certains de l'équipe, n'ont aucune influence sur l'aventure à part être force de frappe et de proposition, de temps en temps... Sans compter les "romances" du jeu, qui sont pour moi la faute de goût de trop du jeu. Le jeu n'est jamais aussi bon que quand il ne se prend pas trop au sérieux, et qu'il essaye de tisser des liens entre les personnages et l'environnement dans lequel ils évoluent. L'histoire passe les deux premiers actes à mettre en place des pierres qui vont créer le grand monument qui servira de retournement de situation final, mais le joueur avance dans le flou sans trop comprendre ce qu'il fait et pourquoi. C'est une carotte avec une responsabilité bien trop ambitieuse pour tenir aussi longtemps.
Clair Obscur s'inspire aussi de gimmicks d'anciens J-RPG, comme retirer un membre important (mécaniquement parlant) de l'équipe temporairement, devoir accomplir des objectifs secondaires pour affaiblir un boss puissant avant de l'affronter, mais ces exemples qui sortent le joueur de la routine ne sont que des petites exceptions par-ci par-là, perdus dans des niveaux bien trop répétitifs et plats.
Note de développement :
Le jeu est ce qu'on pourrait appeler une prouesse de production, et les exemples (bankable) dans l'industrie se comptent sur les doigts d'une main. L'équipe principale représente une trentaine de personnes, ce qui fait peu, mais cette contrainte est relativement visible en jeu. Il y a très très peu d'assets et le recyclage est permanent, mais intelligent. Tout le travail de réflexion autour de la production d'un monde aussi riche avec peu de ressources est remarquable et montre les grandes qualités de la direction artistique du jeu. Il y a évidemment plus de 30 personnes qui ont contribué au développement, notamment une équipe coréenne pour l'animation, un orchestre, toute la QA/traduction par l'éditeur, et une équipe de Ebb Software (Scorn), très peu cité, sur l'optimisation du jeu en fin de production, ce qui explique la technique assez propre du jeu. Très peu de développeurs savent se servir de Unreal 5 correctement, et ce n'est pas le cas ici, même si je trouve le jeu bien trop délavé et bouffé par son HDR, ce qui affecte la lisibilité, surtout les objets. En-dehors de ça, on ne peut que féliciter cette équipe d'avoir mis autant de cœur dans le jeu.
Pour finir sur une note un peu plus positive, même si je trouve le jeu trop "arcade" dans sa structure globale, ce gameplay est probablement le point qui m'a fait aller jusqu'au bout de l'aventure. Système tour par tour classique, le gameplay brille par l'idée d'avoir un micro-gameplay dans chacun des personnages. Cela rend les affrontements fun et c'est même une idée intéressante de renforcer la personnalité de chacun, bien que ça soit un coup dans l'eau, comme dit plus haut.
Il y a plusieurs moyens d'esquiver les attaques, et la parade s'avère une bonne mécanique pour dynamiser les combats. De plus, cela ajoute un côté "tryhard" qui justifie aussi les multiples donjons secondaires et les dizaines de déclinaisons de boss tous plus dur les uns que les autres. Le jeu propose différents builds possible via les points de statistiques, classique des jeux de rôles, à attribuer à chaque niveau. Les armes possèdent, elles, des avantages de "scaling" en fonction de ces statistiques, comme chez les jeux From Software, pour prendre un exemple parlant. Le principe de "Picto", des artéfacts passifs, où l'on peut apprendre la compétence pour l'équiper sans avoir à garder cet artefact, rappelle les principes de job/compétence de toute la période Ivalice de Final Fantasy. Les effets sont assez variés et créatifs pour donner beaucoup de place au "theorycrafting". Si on combine toute ces mécaniques ensemble, on créer une boucle vraiment agréable, où l'on peut expérimenter des armes, des builds, des compétences, et se faire plaisir dans les combats.
Cependant ça ne fait qu'ajouter de l'huile sur le feu sur mon avis mitigé et mon expérience. Le jeu ne sait jamais trop sur quel pied danser, et c'est une belle synthèse de plein d'idées mise bout à bout, dans une production où beaucoup de choses ont dû être coupés. J'aurais presque préféré que le jeu mette de côté toute cette narration inutile qu'il ne maîtrise pas et qu'il aille au bout de son concept en proposant un vrai J-RPG complètement arcade en rajoutant des mécaniques systémiques, des niveaux bien plus travaillés et variés.
Est-ce que j'ai fantasmé un jeu que je n'aurais jamais durant toute cette aventure ? Peut-être. Je pense surtout que le prochain jeu de l'équipe ne peut qu'être meilleur, sur tous les points, et que le futur s'avère brillant s'ils dépassent les attentes déjà pharaoniques d'un public unanime.