[Critique avec spoilers]


Génial, de par sa définition « qui a du génie » ! C’est le premier mot qui me vient en tête, juste après avoir terminé le jeu.


Clair-Obscur Expédition 33 m’a transporté. Joueuse de 30 ans et comptant le RPG parmi l’un de mes genres favoris, je fus très intriguée par le titre dont j’avais vu des images, promettant un RPG au tour par tour dynamique et, il faut le dire, novateur. Novateur non pas vraiment dans son gameplay, mais avant tout dans sa proposition résolument moderne d’accoler ce type de gameplay à un style visuel dit réaliste. Et puis, j’en ai mangé des RPG (de tous les sous-genres…) lents et répétitifs, pour lesquels on s’accroche après 50h de jeu pour la seule raison qu’on a grind de fou et parce qu’on aime son histoire et ses personnages. J’étais donc curieuse de voir ce que Clair-Obscur allait donner. En effet, ce jeu titille la fibre nostalgique de chaque joueur aujourd’hui trentenaire, sans pour autant n’être qu’une copie de ce qui a été fait auparavant. Le scénario, l’environnement, la direction artistique… Tout est habillement dosé, et surtout transpire la passion.

Ce qui frappe en premier, dans ce jeu, ce n’est pas les personnages mais la DA. Puis, à la fin du prologue, le tout s’équilibre. Au début émerveillée (oui !!) par les environnements sublimés par la musique, on arrive à la fin de ce prologue par être maintenant attachée aux personnages et on a hâte que la suite se dévoile. J’ai fait ce jeu en environ 35 heures et en deux semaines, ce qui est aujourd’hui un exploit car je termine difficilement mes jeux (vie d'adulte trentenaire donc manque de temps oblige…) ou du moins il me faut de longs mois pour en venir à bout et la hype finit fatalement par s’essouffler.


Expédition 33 explore habillement les thèmes du deuil, du rapport entre le créateur et son art (je persiste à croire que cela est quand même très méta par rapport au créateur du jeu, G. Broche, d’autant plus que je suis persuadée que Verso est modélisé à partir de ses traits…), de comment percevoir la réalité et si ce n’est qu’une question de perspective, mais aussi encore d’autres thèmes comme l’acceptation de la réalité et de soi, le rejet (personne n’en parle mais Aline, la mère, rejette sa propre fille Alicia…), la culpabilité, le transfert… En résumé : l’amour et la mort. Platon n’aurait certainement pas pu dire que ce jeu n’est pas universel car c’est clairement ce qu’il est ! Il peut sembler cliché de dire cela mais ce qui touche, transporte et nous regroupe tous, ce sont ces deux grands thèmes universels et comment ils sont amenés, explorés dans des œuvres.

Concernant l’histoire en tant que telle, il m’a semblé assez vite clair que cette réalité n’était justement pas réelle ! Je dirais qu’autour de 10 heures de jeu, le fait que les personnages soient dans un tableau m’apparut être clair. Ce qui m’a alors fasciné et poussé à jouer tous les jours et avec grand soin, fut d’en savoir la raison et quel en serait le dénouement. La mort inattendue de Gustave (mais si bien amenée, j’y reviendrai après !) n’a fait que titiller davantage ma curiosité et l’envie d’en savoir toujours plus, plus vite. Pour quelqu’un comme moi c’est-à-dire littéralement fascinée par la belle et bonne écriture (rien ne me captive plus que les œuvres bien écrites, je me répète on ne sait jamais... !), je n’ai jamais été déçue, car lorsqu’on est prêts à tuer son personnage (apparemment) principal, on est prêts à tout dans le scénario. Ce qui m’a frappé en premier est Verso, qui est un personnage passionnant à deux niveaux de lecture et j’ai d’ailleurs hâte de rejouer pour apprécier encore plus le soin apporté à ce personnage et à ses dialogues. Personnage excellement bien construit et mis en avant par Gustave. Je n’ai pas lu énormément de commentaires là-dessus, que ce soit ici ou sur Reddit, mais si Verso brille ce n’est dans un premier temps que grâce à Gustave. Il me semble impossible de ne pas voir le parallèle entre eux deux : Gustave est Verso mais Verso n’est plus et ne sera plus jamais Gustave car il connaît la vérité. Gustave, naïf et désireux de bien faire, protège Maëlle comme sa propre sœur, lui offre une famille, la protège jusqu’à se sacrifier pour elle. Comme Verso dans la vraie vie, celle à Paris. Et c’est ce sacrifice qui rend Gustave si attachant car, pour ne rien cacher, ce dernier m’agaçait quelque peu par son coté naïf et un peu stéréotypé du gentil héro le cœur sur la main (j’affectionne un peu plus l’écriture d’héros tristes et torturés sur le fil à la Squall de FFVIII, ou bien les raclures malheureusement profondément humaines à la Griffith de Berserk…) mais il brille par son sacrifice et par le lent, mais fascinant, parallèle qui se dessine peu à peu entre Verso et lui. Verso sait que Gustave ne peut exister lorsqu’il est là, puisqu’il est lui.

Aucun personnage n’est mis de côté dans l’écriture ce qui est génial car, ô combien de RPG commettent cette grossière erreur de refuser de s’épandre sur les personnages secondaires de l’équipe et qui, par conséquent, deviendront vite ceux qu’on ne jouera plus jamais et qui finissent lvl 10 quand ton équipe principale finit lvl 99 pour aller battre le boss final. (Hmhm Final Fantasy ou Fire Emblem…) J’ai bien sûr eu quelques préférences mais j’ai trouvé tous les personnages attachants, et ma révélation tardive a été Monoco (et Noco) lorsque j’ai compris ce qu’ils étaient réellement dans la vraie vie et ce fut si touchant de lire ou comprendre réellement la portée de certains dialogues. Puis Lune et Sciel, si humaines et attachantes. Esquie, adorable, intriguant et mignon ! Maëlle, si anodine au départ (pour vous dire : je ne voulais pas la jouer au début !) et puis cette lente, mais si bien écrite, ascension du personnage et ce, jusqu’au paroxysme lors de ce combat contre Renoir devant le manoir Dessendre. (J’ai dû refaire ce combat 15 fois d’ailleurs, du try hard comme au bon vieux temps !) Je n’ai vraiment rien à dire de négatif sur l’écriture, si ce n’est pour juste mentionner qu’il m’est arrivé de trouver parfois le tout légèrement poussif sur le pathos et la musique dans certaines scènes. Mais j’interprète cela comme la retranscription un peu maladroite de la passion des personnes derrière ce jeu, qui veulent nous faire vibrer autant qu’eux.


Il semble impossible de ne pas parler également de la musique. Moi-même diplômée après 15 ans de musique et avec des espoirs de création quand j’étais plus jeune, j’ai vite abandonné l’idée quand j’ai mesuré la difficulté et surtout le talent qu’il faut pour composer. Je n’ai qu’une chose à dire : Lorien Testard, quel talent ! Même si certaines influences sont palpables (je suis désolée, mais je n’arrive pas à ne pas entendre l’enchainement de ces notes à la Final Fantasy X dans je ne sais plus quel morceau de cette bande originale de 8 heures !!!), je reste époustouflée par la qualité de l’OST ! Rien n’est à jeter et tout peut s’écouter sans rien connaître du jeu et c’est là, selon moi, la marque d’une grande composition. Je range cette bande originale aux côtés de celles de Keiichi Okabe, Yoko Shimomura, Uematsu, Rei Kondoh et j’en passe… Les maîtres japonais, car il faut l’admettre ils sont passés maîtres dans l’art de l’OST de jeu vidéo depuis un bon moment, se sont peut-être fait dépasser par leur élève français ! Cela me fait sourire, jamais dans ma vie de gameuse je n’aurais cru être autant impressionnée par un jeu français, voilà c’est dit. J’ai hâte d’entendre les compositions de Lorien Testard en concert, j’ajoute ce petit rêve juste en dessous de celui de voir un concert des musiques de la licence Nier. C’est pour dire !


Pour l’aspect plus technique (gameplay, level design, animations…) j’ai adoré ce tour par tour. Dynamique, avec des mouvements de caméra fluides, un système de Lumina certes difficile à appréhender au début mais si passionnant et qui récompense toujours son joueur, des animations géniales… On ne s’en lasse jamais ! Au début, le côté un peu chargé en termes d’écriture et description pourrait rebuter mais il est nécessaire pour qu’ensuite on puisse saisir toute la complexité et l’ingéniosité de ce qui est proposé. Bien que ce ne soit pas purement inédit, Expédition 33 a le mérite de proposer quelque chose de jouissif en alliant ce système avec la parade et l’esquive. Grande fan de Berserk et de son esthétique, mais frustrée de ne pas être très douée aux Souls, j’ai adoré ce système d’esquive et parade. Il m’est même arrivée de recommencer un combat pour ne faire que de la parade et pour kiffer sur les animations des contre-coups ! Expédition 33 permet aussi aux novices de découvrir le tour par tour (j’ai du mal à l’admettre mais aujourd’hui c’est quand même clairement un système désuet, les jeunes ne peuvent pas comprendre notre frustration à nous, ceux de 30 ans et plus, de grinder pour réussir son énième combat à base de menus à dérouler) et, par conséquent, de donner sa chance à d’autres titres avec ce type de gameplay. Quelque chose que j'ai aussi adoré, fut de lire les patterns des ennemis. Ça demande de la dextérité par moments, mais c'est ce qui fait tout le challenge de certains combats et c'est génial ! Cet aspect risque sûrement de déplaire à certains (certainement pas habitués à galérer ou même à essayer quoique ce soit sur un jeu... Désolée d'être désagréable mais aujourd'hui certains joueurs ne veulent aucun challenge ni aucune difficulté sur leurs jeux) mais tant pis ! Sandfall a fait le pari de ne pas faire certains choix (pas de mini map, des patterns à apprendre et à anticiper, pas de sigles sur la world map...) mais c'est pour le mieux !

Je tiens aussi à souligner que la présence des mini jeux des Gestrals m’a rappelé des heures sombres passées sur certains RPG à faire des mini jeux au game design douteux pour obtenir un objet totalement random ou pété… Des petits clins d’œil ainsi sont dissimulés ou savamment adaptés dans ce jeu et c’est une vraie madeleine de Proust.

Enfin, je tiens aussi à mentionner que je n’ai pas eu un seul bug ou crash du jeu. (Steam / PC avec une config quelque peu vieillissante) Et ça aussi, c’est la preuve (ultime !) du soin apporté à ce titre.


Je pourrais tergiverser pendant des heures car parler du processus créatif et de l'interprétation de l’histoire de Clair-Obscur Expédition 33 est fascinant mais je vais m’arrêter sur cette dernière remarque : pour la première fois depuis longtemps, dans une production vidéoludique récente, je n’ai pas de points négatifs à mentionner. Cependant, je ne peux pas mettre 10 car les deux fins (que j’ai toutes les deux aimées car touchantes et déchirantes à leur propre manière) m’ont laissées sur ma faim…

Je ne sais pas clairement ce que j’aurais aimé y trouver de plus, peut-être qu’en réalité c’était juste l’amertume de quitter ce monde si chatoyant, réel et beau, tout en clair-obscur…

A l’instar de Maëlle. Méta jusqu’au bout, ce jeu !!


En définitive, c’est un véritable bijou vidéoludique ! Merci de nous faire rêver ! (Et c’est français !)

Bravo !

Mizunokisu
9
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le 17 mai 2025

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