Lentement, mais sûrement, la mode des remasters enrichis s'impose, les studios comprenant qu'il y a de la thune à faire avec l'intérêt grandissant des joueurs pour la préservation des vieux jeux (voir le mouvement Stop Killing Games) et les visites guidées interactives des œuvres d'anciennes gloires de l'industrie (en témoignent les travaux de Digital Eclipse sur Jordan Mechner et Jeff Minter). On est en train de perdre de vue le concept de réédition autrefois proposé par des services comme GOG, qui s'occupait "simplement" de rendre compatibles avec les systèmes modernes de bons vieux jeux autrement laissés dans leur jus. Ainsi, pour jouer à Tomb Raider aujourd'hui, on ne lancera plus l'original sous Dosbox, mais plutôt son remaster proposé par Aspyr, qui propose la prise en charge des résolutions actuelles, une maniabilité fonctionnelle aux deux sticks et la possibilité de switcher à tout instant entre les rendus visuels original et modernisé. Même topo pour les Soul Reaver, System Shock... quand d'autres éditeurs vont s'attacher à proposer avec leurs rééditions des documents d'époque, scans de manuels, croquis et autres anecdotes de développement, comme le firent par exemple Disney avec son Afternoon Collection, Konami avec ses Castlevania période NES/GB, ou encore Namco avec Pac-Man Museum. En 2025, rien à dire, la soupe du remaster est plutôt bonne.


C'est dans ce contexte propice à la nostalgie-sploitation (?) que débarque ainsi Croc, ancienne gloire du platformer 3D de l'ère PlayStation qui connut aussi le succès sur PC. Le jeu fut une création d'Argonaut, un studio britannique qui fit ses premières armes en collaborant avec Nintendo sur Starfox en 1993, et qui finit malheureusement par s'éteindre au début des années 2000 après une succession de projets compliqués et de flops commerciaux, avec pour dernière production originale l'impopulaire Malice sur la première Xbox (les vieux vieillissent). Plutôt connu des joueurs ayant eu une PlayStation entre les mains, Croc demeure le plus gros succès "original" d'Argonaut. Il fallait donc à son remaster un écrin à la hauteur de la légende, et bonne nouvelle, cette version ne déçoit pas, en s'inscrivant pleinement dans cette mode un peu muséale prototypée par Digital Eclipse. Croc : Legend of the Gobbos est dans l'absolu un jeu con comme la lune, avec des niveaux riquiqui, des mouvements réduits, et des objectifs simplissimes qui évoqueront vaguement une version ultra-simplifiée de Rayman 2 avec ses bonshommes à délivrer de leurs cages et ces petits twists mignons de gameplay ; et on est en droit d'attendre un travail un minimum propre.


Pour quasi 30 balles, cette "Platinum Edition" a tout intérêt à être riche ; et elle l'est, fort heureusement. On retrouvera donc déjà dans cette édition la prise en charge de toutes les résolutions modernes, un lissage graphique tout propre et une jouabilité entièrement repensée. Croc se jouait à l'origine à la croix multidirectionnelle, comme les autres platformers 3D de l'ère pré-analogique comme Tomb Raider. Les auteurs du remaster se sont ainsi inspirés du travail récent d'Aspyr sur ce dernier, en ajoutant un schéma de contrôles au double stick. A la différence des remasters de Tomb Raider, toutefois, cette jouabilité ne s'active pas dans le menu des options ; elle est utilisable en permanence en posant ses doigts sur les sticks, autrement inutilisés par le gameplay original (logique). On retrouve également par défaut la gestion de la caméra avec le stick droit, et la possibilité de switcher à tout instant entre les graphismes "original" et "moderne" d'une pression sur une touche dédiée. Bref, on est dans la lignée de la vague actuelle de remasters, à la différence près que la nouvelle maniabilité est réussie ; si réussie, même, que s'en servir revient à tricher comme un goret, car le défi de l'original reposait en grande partie sur les commandes tank du croco. On ne fera donc qu'une bouchée des nouveaux défis contre-la-montre.


Le prix exorbitant de ce remaster ne serait néanmoins pas complètement justifié si ce n'était la fameuse "Crocipedia", une véritable mine d'or pour laquelle un travail de documentation considérable a été abattu. C'est bien simple, on a droit à tout. Les classiques croquis préparatoires et bande originale répondent évidemment présent, mais particulièrement enrichis par rapport aux standards habituels. Niveau dessins, on a droit à des dizaines, des centaines de concepts totalement planqués ou jamais vus. Niveau musiques, le jeu nous offre gracieusement des remixes expérimentaux créés par des pros pour l'occasion du remaster, et des versions de travail des pistes les plus emblématiques. Niveau vidéo, le jeu justifie son poids de 35 Go par des dizaines d'interviews de membres de l'équipe de développement trente ans après, qui recontextualisent leur travail, décrivent leur carrière ou l'impact du jeu sur son époque. A peu près l'intégralité de l'équipe de développement y passe, individuellement, avec son petit micro-casque, sa voix timide et sa prise de son dégueulasse. On a même des journalistes qui se prêtent au jeu. C'est vraiment la partie des ajouts la plus intéressante, et aussi la plus adorable, avec une écrasante majorité des interventions se déroulant dans leur jus, sans artifice de mise en scène, dans laquelle on sent vraiment l'authenticité de personnes pas du tout habituées à s'exprimer en public.


Cette édition dégueule aussi de biographies plus ou moins étonnantes, en nous révélant par exemple que l'illustrateur principal du jeu est aussi un acteur professionnel dont les films ont été récompensés dans différents festivals. On pourra découvrir une publicité télé japonaise avec un Croc géant en peluche. Quasiment toute la vie privée de monsieur Duchmol, créateur des assets de cailloux de 1993 à 1994, nous est dévoilée par des pavés de texte. C'est n'importe quoi, mais c'est justement ça qui est bon. Sans forcément apporter de réponses sur ce qui a fait de ce Croc un jeu aussi classique et indémodable pour les joueurs de ma génération, ce remaster s'attache à une exhaustivité documentaire qui restitue parfaitement l'époque, et permet de replacer les aventures du croco dans cet insouciant contexte qu'était la fin des années 1990. "Stop Killing Games", qu'ils disent donc ; eh bien, en attendant qu'une meilleure alternative soit trouvée, payer pour jouer à des versions enrichies des jeux de notre enfance, qui assument pleinement leur dimension muséale et nostalgique, est plutôt un bon plan. On pourra même préférer casquer pour une version boostée comme celle-ci, plutôt que de se contenter de l'original sous Dosbox. De mon côté, je n'aurai plus qu'une chose à dire : "yazoo" !

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le 18 oct. 2025

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