Dans une news lue je ne sais plus trop où à propos des techniques de management discutables de CD projekt, un développeur critiquait la méthode de développement en disant que les jeux restaient trois plombes en pré-production avec des idées balancées à droite à gauche, avant que les développeurs soient forcés de rusher la phase de production comme des malpropres, parce qu'il faut bien finir par sortir quelque chose. Pas mal des problèmes de Cyberpunk 2077 sont selon moi le reflet de cela. Un jeu vidéo avec un immense travail en amont, mais où les morceaux ont été assemblés à la va-vite et n'ont pu toujours être adaptés correctement en fonction des évolutions inévitables qui surviennent lors du développement d'un jeu. La ville, le chara-design, les idées de quêtes, tout ça, c'est génial, mais c'est quand il a fallu rendre les choses concrètes qu'il y aura parfois un truc qui partira de travers (pas toujours cela dit).


Ainsi, Night City est sublime. Fruit de milliers d'heures de travail, les détails de ses ruelles n'ont d'égal que l'immensité écrasante de ses méga-structures. Grâce à son ambiance visuelle et sonore, simplement parcourir la ville est un plaisir en soi (quand y a pas de glitch). Mais à la manière d'une jolie maquette, faudra pas trop y toucher sous peine de voir l'édifice s'effondrer. Les passants ne sauront réagir à absolument aucun imprévu, d'une bagnole au milieu de la route à une fusillade au coin de leurs oreilles. Le système de police est quasi inexistant, aussi, c'est d'autant plus dommage que le level design de la ville aurait permis de bien belles course poursuites. Après, dans un jeu comme ça, c'est pas le plus important, mais c'est quand même assez symptomatique d'une production qui n'a pu prendre le temps de mettre en place le non essentiel, important pour apporter du liant à l'ensemble, mais tout en ayant un absurde sens du détail dans d'autres domaines (surtout visuels), genre vous pouvez choisir la couleur de vos dents, mais pas changer de coupe durant le jeu, les intérieurs des véhicules sont hyper détaillés, mais y a pas de rétros et la conduite est passable au mieux, des centaines de lieux de loisirs uniques mais pas moyen de faire un mini jeu ou une activité annexe,... En bref, une gestion des priorités assez étrange.
D'ailleurs l'open world se révèle aussi un peu décevant dans sa construction. Vous voyez the Witcher 3 ? Ben pareil, des marqueurs sur la map, une bien trop grande dépendance au GPS et au HUD (alors qu'il y avait clairement le moyen d'épurer un peu, pour le coup, la navigation est banale et imparfaite), ils ont pas été se creuser la tête bien loin. Après ça marche, parce que le contenu est de qualité (sauf pour les marqueurs bleus un peu moisis pour la plupart), mais on pouvait en atteindre plus de la "nouvelle génération des jeux en monde ouvert".
Mais même si j'aime bien le contenu de la map, je la trouve étrangement remplie. Dans le sens où les quêtes scénarisées sont un peu mise de côté. Explorer l'univers et les personnages via les quêtes était la grande force de the Witcher 3, et c'est celle de Cyberpunk, mais il y en a peu et le jeu laisse la place à des petites interactions pas bien mémorables et surtout des contrats, assez bien contextualisés pour enrichir l'univers (grâce aux incessantes interventions téléphoniques de vos fixers), mais qui sont le plus souvent une excuse pour s'infiltrer dans des endroits et tirer sur des trucs. Je les trouve assez chouettes, c'est cool de jouer les mercenaires, mais on reste sur notre faim niveau quêtes (certaines vont pas assez loin d'ailleurs), c'est sans doute mon plus gros reproche au jeu, d'autant qu'il y a tellement de potentiel et que l'écriture reste la plus grande force de Cyberpunk, même si moins constante qu'elle l'était dans the Witcher 3.
Sans entrer dans les détails spoilant, j'ai bien aimé les thèmes abordés, les personnages et la direction prise pour le scénario. Mêmes si pas toujours très subtils, les dialogues frappent justes, et la mise en scène impeccable (quand un PNJ buggé vient pas tout foutre en l'air) rendra certaines scènes vraiment mémorables, soutenues aussi par une musique géniale dans ses meilleurs moments (globalement, niveau présentation, ça envoie du pâté quand il n'y a pas de bugs). Faut quand même souligner que votre appréciation du scénario dépendra grandement de celle du personnage de Johnny Silverhand (que j'aime beaucoup), et que le jeu adopte parfois un ton un peu trashouille, que je trouve justifié le plus souvent, mais pas toujours. Dernière précision importante, si poser votre cul sur une chaise et écouter des dialogues assez longs vous dérange, c'est pas votre jeu.


Mais l'une des choses qui me font dire que leu jeu a été bricolé en des délais moins que raisonnables, c'est de voir à quel point les histoires, principales ou secondaires, ont parfois la plus grande peine du monde à intégrer vos choix. Je vais pas non plus exagérer, il y aura parfois des choix importants avec des conséquences (y compris au sujet des fins, très réussies), mais trop souvent, le jeu ne prendra pas beaucoup en compte votre avis, ou ne vous le demandera même pas (bon là je pense surtout à une grosse quête secondaire où je voulais fumer tout le monde, mais ne pouvais pas). En fait, ce qui me dérange au moins autant que le manque de choix significatifs, c'est à quel point le jeu à du mal à cacher cette lacune: certaines réponses vont par exemples provoquer une réaction chez un pnj, qui balancera une ligne de dialogue sur un ton différent avant de revenir sur les rails avec le ton précédent, pas bien finaud. Vous aurez aussi, parfois, des changements plus cosmétiques qu'autre chose, buter des boss ou non changera pas vraiment la suite du jeu par exemple. Comme un parfait indicateur de ce problème, j'ai rarement vu autant l'option de dialogue "je n'ai pas le choix" dans un RPG... La courte durée de l'histoire aurait pu être compensée par une plus grande ingérence du joueur, mais là ce n'est pas le cas. On est non seulement extrêmement loin des promesses initiales du genre "même votre tenue influera sur la réaction des pnj" (qui puait un peu l’esbroufe quand même), mais aussi assez loin d'un the Witcher 3, à la progression qui finissait toujours au même point certes, mais dont le soin apporté aux dialogues et aux choix permettait d'au moins toujours avoir l'impression de suivre l'histoire de manière fluide avec des choix proposés au bon moment. Là on se sent un peu serré dans les bottes de V, c'est dommage. Le temps passé à critiquer noirci pas mal le tableau, j'ai encore une fois beaucoup aimé la narration du jeu, mais ce manque d'ingérence est frustrant et assez décevant, je m'attendais à ce que CD projekt tienne mieux ces promesses à ce niveau.


Mais vous ne passerez pas tout votre temps suspendus aux lèvres de PNJ un brin vulgaires, y a aussi la bagarre. Si on peut un peu oublier les rêves d'immersive sim (en même temps à cette échelle c'est compliqué), le jeu trouve un équilibre que je trouve plutôt juste. Entre la pauvreté de Watch Dogs et la profondeur de Deus Ex, entre la mollesse de Destiny et la patate d'un bon gros FPS, il y a Cyberpunk 2077. Le level design est parfois assez superficiel (genre furtif à gauche, bourrin à droite), mais est dans l'ensemble bien fichu. On est pas dans un jeu avec des tactiques à 12 étapes, mais on dispose d'assez d'outils pour exécuter des plans sympas, dans les limites imposées par le jeu; vous ne pourrez pas faire exploser une porte ou pousser une ennemi à l'ouvrir, par exemple, le jeu ne prévoit son ouverture que si vous le faites à sa manière. Mais il y a de quoi faire, on peut pirater les gonzes, retourner les systèmes de sécurité contre eux, révéler la position des ennemis avant de les sniper au fusil anti-matériel,... Grâce à cette relative richesse, le jeu parvient à apporter de la variété dans ses contrats, suffisamment pour qu'on ait pas une impression de copié-collé si présente dans les autres gros jeux du genre. Y a parfois des objectifs secondaires qui poussent à une certaine approche, c'est une chouette idée malheureusement sous exploitée (la plupart du temps ce sera juste "ne te fais pas repérer"). Les fusillades en elles mêmes sortent aussi pas mal du lot. Les flingues ont de la patate et sont chouettes à utiliser, on a pas juste l'impression de mollement gratouiller les barres de vie (sauf pour les boss) grâce à de bons feedbacks, le piratage apporte un peu de stratégie et quand l'IA se donne la peine de fonctionner, elle se démerde pas trop mal (en infiltration elle est très simpliste en revanche). Au final le jeu en a assez sous le capot pour tenir la bonne cinquantaine d'heures que vous demandera le gros du contenu (mais on roule sur le jeu à la fin, c'est un peu moins intéressant), avec assez d'options pour laisser au joueur une certaine marge de manœuvre. Pour un jeu comme ça, j'en demande pas plus, mais c'est pourtant assez dingue de voir combien de jeux en monde ouvert n'atteignent pas ce standard et tartinent leur map de contenu sans trop se demander si on en aura marre au bout de 15 heures. Après, y a pas mal de gros mais: déjà, c'est bien évidemment perclus de bugs. Le plus dérangeant étant ceux liés aux IA. Ensuite, le piratage est assez sous exploité. Concernant les interactions avec les ennemis et systèmes de sécurité, ça marche bien, mais celles concernant l'environnement se résumeront dans l'écrasante majorité des cas à provoquer une diversion. Vous voyez là encore une promesse de l'E3 s'évaporer sous vos yeux ébahis, mais ce qui me dérange surtout, c'est que ça aurait pas été très compliqué à implémenter. Un ordi piégé, une flaque électrisable ou un conteneur suspendu et voilà, on a déjà de quoi faire frire un ou deux méchants. Mais non, dommage.
Enfin, le combat au corps à corps est assez nul. C'est marrant de pirater un gus avant de foncer dessus avec une pelle, mais sinon y a vraiment pas d'intérêt, au mieux on s'en servira pour un duel contre un cyberpscho ou pour voir si le katana découpe comme il faut. Mais quand on retourne jouer sérieusement, on chope le revolver et puis c'est tout.
La progression dans l'arbre de compétences vous retournera pas le cerveau, c'est surtout des avantages passifs, et j'ai du mal à en avoir quelque chose à faire, mais les implants compensent un peu. C'est pas vraiment un jeu à builds, on peut jouer un peu de tout et ça fonctionne (à noter qu'on est pas dans Fallout, alors impossible de résoudre toutes les situations à coup de parlotte, et le jeu alterne entre missions ouvertes et bastons inévitables).


Au final, Cyberpunk 2077 est un bon jeu. Quand on voit les promesses et l'ambition, il y a de quoi être déçu. Mais à son meilleur il est assez génial, grâce à son ambiance visuelle et sonore, sa mise en scène et son écriture, le tout soutenu par un gameplay compétent. Il reste un jeu qui en fait trop à certains endroits, pas assez à d'autres, et qu'importe le nombre de patchs qu'ils recevra, les stigmates d'un développement difficile et mal géré seront toujours un peu visibles, ces derniers étant parfois présents au cœur même de l'expérience. J'espère que CD projekt apprendra de ses erreurs, de management comme de communication (parce que ça se la racontait quand même à fond), pour aborder la suite de manière plus humble et surtout plus saine pour les développeurs. Au delà de ça, c'est ptetre juste un chouette jeu, mais un chouette jeu avec des néons, des mégabuildings et Keanu Reeves en rockeur déglingo, c'est déjà pas si mal. Et ce sera quand même mieux quand il sera bien fini.

val990
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le 23 déc. 2020

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val990

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