Par rapport aux deux premiers épisodes HD, il y a un vrai déclic qui s’opère avec Etrian Odyssey III.
Le premier m’avait accroché par son austérité hypnotique, ce plaisir étrange de tracer une carte à la main et de survivre au millimètre, mais il souffrait d’un équilibrage brutal et d’un manque de folie. Le deuxième, plus dense, plus intelligent dans ses classes, trébuchait à force de recycler ses assets et de pousser un grind qui étirait la patience. Le troisième, lui, m’a enfin donné le sentiment de jouer à une suite qui prend compte de tous ce qu'on pouvait reprocher aux précédents opus.
Dès l’introduction, on sent une différence de ton.
Armoroad, sa cité engloutie, ses légendes maritimes... On quitte la simple forêt pour un monde qui respire l’océan et la découverte. Quoi de mieux pour le début d'une aventure!
Et surtout, il y a ce système de navigation en mer. Pour la première fois, on sort du labyrinthe, on construit son navire, on explore l’océan, on affronte des créatures dans des combats navals. C’est une respiration bienvenue, un élargissement de l’aventure qui casse la monotonie et donne un rythme plus varié. Rien que ça, c’est déjà une petite révolution dans la formule.
Mais le vrai coup de maître reste le système de sous-classes.
Là où EO I m’avait frustré par ses neuf classes trop déséquilibrées, et où EO II enrichissait sans transcender, EO III explose les possibilités. Chaque personnage peut se réinventer en fusionnant ses compétences avec une sous-classe, et le plaisir de créer des combinaisons uniques devient une obsession. J’ai passé des heures à imaginer des synergies improbables, à tester, à corriger, jusqu’à sentir que ma guilde n’était plus une simple copie mais une création personnelle. L’équilibre s’en ressent, il y a toujours des classes plus fortes que d’autres, mais l’éventail est si large qu’on se sent libre, pour la première fois, de vraiment façonner sa stratégie.
Les nouvelles classes, d’ailleurs, portent en elles cette audace. Le Farmer, qui n’a presque aucune utilité en combat mais brille en exploration, ou le Prince/Princesse, dont les buffs automatiques deviennent vitaux, sont des archétypes qui tranchent radicalement avec les guerriers et soigneurs classiques des deux premiers jeux. On quitte les sentiers battus, et ça donne à l’ensemble une personnalité nouvelle.
La difficulté, toujours impitoyable, m’a semblé plus juste que dans les deux premiers volets. Dans EO I, l’équilibrage absent transformait chaque étage en roulette russe. Dans EO II, le grind devenait un boulet qui cassait la dynamique. Ici, les murs existent, mais ils s’escaladent avec méthode. Les retraites, qui permettent de recommencer un personnage avec des stats héritées, ajoutent une dimension long terme à la progression. Et le fait qu’il y ait plusieurs fins, en fonction des choix, donne une valeur narrative inédite, même si l’histoire reste minimaliste.
Pour une série qui ne brillait pas par son scénario, c’est déjà un pas important.
Il reste évidemment des ombres au tableau. Le grind est toujours là, parfois trop présent, et la narration demeure une esquisse plus qu’un récit. Le remaster HD, s’il sublime les musiques de Yuzo Koshiro et affine les sprites, montre aussi ses limites. L’ergonomie ne suit pas toujours, et le fameux mode “Picnic” enlève presque tout le sel du challenge. Mais ce sont des défauts que j’ai acceptés, car ils n’entament pas la richesse de l’expérience et qui sont de toute façon présent dans les deux précédents opus et d'ailleurs bien plus.
Au final, Etrian Odyssey III HD m’a donné ce que j’attendais depuis deux jeux, un vrai accomplissement. Là où le premier brillait par sa pureté mais manquait de souffle, et où le deuxième s’empêtrait dans ses propres lourdeurs, le troisième réussit à réinventer la formule tout en restant fidèle à son identité. C’est le premier opus de la trilogie qui m’a semblé complet, audacieux, gratifiant. Celui qui transforme la cartographie obsessionnelle et le grind méthodique en une aventure vaste, profonde et, enfin, généreuse.
Pour le coup, ça reste quand même un jeu qui se fait en mode automatique plusieurs heures, en écoutant un livre audio, ou un podcast par exemple. Mais certainement l'un des plus agréables que je connaisse dans le genre.