Une bonne note mais point dénuée de critiques.


C’est à un système diplomatique intelligent et subtil que doit Europa Universalis son statut de meilleur jeu de stratégie sur le marché. Loin de la balourdise des Total War ou autre Civilization, il s’agit d’un système bien pensé, dont la complexité apparente n’empêche ni les plans au long terme ni les retournements d’alliances et de situation. Il repose en vérité sur une mécanique très simple : le jeu force le joueur et l’IA à dire quelles terres il ambitionne de conquérir et quels pays sont ses rivaux. Ce qui n’est pas si important pour le joueur mais vital pour l’IA car le joueur n’est plus le seul désormais à pouvoir prévoir : l’IA le fait également et sait très bien quand attaquer et quand s’abstenir, à qui s’allier et contre qui se liguer, selon les ambition territoriales, les rivalités et les alliances des uns et des autres. Le joueur, jusqu’ici simple receveur d’information en devient maintenant un producteur comme les autres et s’intègre bien mieux dans le jeu diplomatique mondial.


Mais toute la complexité des mécaniques de jeu, salutaire à bien des égard tant elle approfondit les moyens d’action et de régulation des actions du joueur, ne parvient pas à cacher paradoxe profond. Après plusieurs heures de jeu, un vide ce fait jour. Toute ces mécaniques développées, tout cela pour au final ne faire que colorier une partie de la carte du monde en bleu. Cela peut paraître trivial et crétin, les lecteurs les plus aptes à la dérision me diront même que c’est là la loi du genre. Certes, mais il n’en reste pas moins que le monde sous mes yeux n’existe pas, c’est un monde mort. Les dirigeant ne sont jamais que des collecteurs de points, les généraux seulement des noms données à des tableaux de compétences, désespérément muets. Les peuples n’existent pas, si ce n’est que par quelques révoltes sporadiques vite écrasées, ou par quelques cultures autochtones qui disparaissent en appuyant sur un bouton.


La guerre représente le but de toute politique et se vaut pour elle-même. C’est pourquoi on trouve tant de gens qui montrent la taille de leur empire et jusqu’à quelle extrémité du globe s’étend leur domination, sans faire plus attention à la cohérence de leurs frontières ou à toute forme de crédibilité. Ils s’étendent parce ce que c’est la seule chose à faire, voilà tout. D’ailleurs une mécanique aussi pacifique que le commerce dépend entièrement des terres que vous possédez et que vous avez donc dû conquérir, comme si Venise et les Pays-Bas avaient dû être des empires immenses pour pouvoir être des centres mondiaux de commerce et d’échange.


Son grand frère, Crusader Kings II, avait quelque chose d’original et d’unique. Toutes ses villes, ses duchés et royaumes, ses guerres et alliances étaient la résultante de deux choses : d’histoires familiales de dynastie concurrentes, avec leurs titres et leurs terres ; et de la reproduction d’une organisation politique et sociale aujourd’hui disparue : la féodalité. C’est de là que tient tout le succès de CKII et c’est là qu’Europa Universalis tient son échec car ce dernier ne tente pas de reproduire la société de l’époque mais seulement ses conditions géopolitique. D’où la désespérante impression de jouer à une simulation d’accumulateur de points. Une belle simulation, douée et subtil, mais une simulation au fond superficielle et veine. Je n’y ai vu ni grand empereur ni grand empire, ni le labeur des esclaves transformé en commerce fructueux, et lorsque l’on m’indique que ma guerre vient de faire deux cent mille morts de chaque coté, je n’y crois pas une seconde.


On aurait pu penser par exemple que chaque province ait une taille de population. Que cette population varie selon les épidémies, les famines, les guerres, les surplus de récoltes. Et si une nation se met à coloniser, elle se vide d’une partie de sa population au détriment de la colonie. De sorte que, comme dans la réalité, on aurait vu des nations populeuses mais où la situation alimentaire est précaire coloniser bien mieux le Nouveau Monde. A l’inverse, l’exploitation de terres immenses mais peu peuplées aurait pu être rendu possible soit pas le déplacement de ces populations de métropole, soit de la réduction en esclavage des locaux, soit de la déportations des Noirs vers l'Amérique. On aurait vu ainsi des choix se refléter concrètement sur la situation économique et militaire, à la fois sur les nations colonisatrices que sur leur colonies, sur le commerce mondial, etc. Et quand je parle de conséquences, je ne parle pas de cliquer sur des boutons pour avoir des bonus et quelques trop rares malus, mais bel et bien de choix qui entraîne des conséquences sur la manière de jouer et non pas simplement sur des pourcentages appliqués à tel ou tel chose. Le simple exemple de l’esclavage qui est totalement absent : les esclaves sont traités comme des ressources à valeur marchande que produisent certaine provinces et c’est tout. Pas de comptoir commercial, pas de route à protéger, pas de dépendance aux puissances africaines qui pourraient vous en vendre. Juste rien. Ce principe simple de population n’existe pas, parce que le jeu est d’abord un jeu de guerre avant d’être un jeu de stratégie dans sa signification la plus profonde. On ne peut même pas augmenter les impôts, pour vous dire à quel point le jeu peut-être superficiel.


EU4 est un jeu sans conteste réussit, meilleur que ses concurrents direct grâce à des mécaniques de jeu bien pensées mais malheureusement, désespéramment, vides de sens.

Xenum
8
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le 4 janv. 2019

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