Exit 8
6.8
Exit 8

Jeu de Kotake Create (2023PC)

Perdez tout à fait mon âme épouvantée, Ou l'ôtez du dédale où vous l'avez jetée

Ah, les espaces liminaux, ceux qui délimitent la frontière entre l’ordinaire et l’étrange, un genre de vallée dérangeante mais appliquée aux décors, c’est une composition artistique tout à fait fascinante ! Que ce soit en photographie, en cinéma, en littérature ou en jeu-vidéo, rares sont les personnes complètement insensibles à cette sensation de froideur anormale d’un décor pourtant banal. Et depuis quelques années maintenant, les décors liminaux occupent bien les espaces culturels. Ce qui les a remis au goût du jour, c’est peut-être en partie la saison 3 de Twin Peaks, David Lynch étant maître incontestable de ce type de décor dans ses productions, mais de manière plus populaire sur internet, les creepy pastas liées à la fondation SCP et bien entendu, les backrooms dont les vidéos de Kane Pixels semblent avoir mises bien des gens d’accord. En termes de jeux-vidéos, P.T. aussi a pu jouer sur ce terrain-là. Premièrement, si vous n’avez pas fait le jeu encore, avant de lire davantage, ici ou ailleurs, prenez-le, passez une petite soirée dessus, seul.e, avec un bon casque sur les oreilles et une manette. Non vraiment j’insiste, c’est une expérience unique à 4 euros (remboursables si ça vous gonfle en moins de 2 heures) !


Exit 8 avance donc un décor liminal, sous-terrain, aux murs et sols carrelés de blanc, avec du lambris blanc-cassé au plafond où sont accrochés des néons. Une ligne jaune carrelée au sol montre un éventuel chemin. Le décor ressemble à une sortie de métro, mais en revenant sur ses pas, on aboutit perpétuellement dans ce même couloir où 3 portes sont à notre droite, avec 2 bouches d’aération, un panneau « sortie 8 » jaune suspendu au plafond, 2 posters « No smoking » sur le mur de droite, 6 posters publicitaires sur le mur de gauche, une affiche avec 2 grands yeux stipulant que nous sommes surveillé par quelques caméras disséminées au plafond. Toutes les écritures sont soit en japonais, soit en anglais, soit les deux. Et puis, il y a ce type, avec son attaché-case et son smartphone, qui vient toujours vers nous, marche tranquillement comme si l’on existait pas, et qui finit par regarder indéfiniment son téléphone.

Comment faire pour avancer ? On le découvre rapidement et empiriquement : lorsque l’on passera dans ce couloir, celui-ci aura deux configurations possibles. L’une « normale » (pour peu que ça aie un sens ici), celle que l’on découvre au début, ou alors potentiellement l’autre où une anomalie viendra en transformer l’apparence. Si le couloir n’est pas altéré alors on peut aller de l’avant et on se rend compte qu’on a avancé d’un niveau. Si l’on voit que quelque chose cloche, alors c’est marche arrière toutes et… on avance aussi d’un niveau. Si l’on se trompe ? Et bien dans le meilleur des cas c’est un retour au niveau 0 et dans le pire des cas… et bien… Bref ! Le jeu s’appelant « Exit 8 », mes trois neurones ont compris rapidement le nombre de niveaux à franchir pour terminer la partie.

Là où le jeu est en réalité très fort malgré ce concept simple, c’est dans les sensations qu’il invoque à chaque micro-changement ou bouleversement du décor qu’il va orchestrer, apparemment aléatoirement. Le meilleur moment en tant que joueur.se étant bien sûr la première découverte de ces changements. Ceux qui interviennent relativement discrètement (disparition d’une porte, la poignée de l’une d’elle se retrouve au milieu, un poster a l’air fondu, un panneau est à l’envers, les néons sont posés en branle…) mettent en proie aux doutes, et il arrive ce qu’il doit arriver au bout de quelques minutes : un genre de petite obsession pour les détails, à s’imaginer que telle ou telle chose a bougé bien entendu, une paranoïa, s’empare de nous. Bien sûr, il n’y a pas tant de choses que ça à observer, mais pour avoir fait les couloirs facilement une centaine de fois (je ne plaisantais pas pour les trois neurones vous savez?), il y a toujours un doute qui va rester avant de découvrir si l’on passe au niveau suivant ou non. Cela vient aussi de la narration : il n’y a littéralement pas d’histoire. Ainsi, on se raconte ce que l’on veut, ou ne veut pas, pour expliquer la situation de notre personnage : Pourquoi sommes-nous là ? C’est qui ce vieux à la mallette ? Qu’est-ce qu’il y a derrière ces portes ? Etc. Le but d’Exit 8 n’est certainement pas d’apporter des réponses, à aucun moment, mais au contraire, de s’assurer que l’on en aura le moins possible ! C’est aussi très efficace, et souvent sous-estimé, pour intimer et entretenir efficacement un sentiment d’effroi (c’est d’ailleurs pour cela que l’adaptation en long-métrage pour les backrooms m’inquiète pas mal, en espérant qu’elle n’insistera pas sur les explications pseudo-scientifiques trop longuement). Et puis, il y a ce que j’appellerai ici les bouleversements (les deux hommes en costumes, la vague déferlante, les lumières qui s’éteignent l’aération qui sue du sang noir, la porte entrouverte…) Sans compter les passages où l’homme d’un seul coup a une marche accélérée, ou qu’il se met à sourire ou à nous regarder, et d’autres problèmes de peau au visage... Je me suis surpris à être stupéfait, même sensiblement anxieux après m’être fait surprendre une seule fois par lui. Si au début je lui rentrais dedans sans réfléchir aux conséquences, systématiquement par la suite je longeais les murs pour l’observer comme une bête monstrueuse et scruter son comportement, son apparence, prêt à détaler comme un lapin. Sans dire que l’on sombre dans la terreur -il ne faut pas exagérer- c’est un vrai sentiment de malaise et d’urgence à se barrer de là qui est venu me saisir parfois. D’autant que les contrôles, à savoir se déplacer, regarder et sprinter sont simples, impossible de faire de fausse manipulation. Quand un bouleversement majeur intervient, notre personnage ne peut momentanément pas sprinter, ce qui ne rassure pas vraiment (Incarne-t-on Zambla ?).

Il s’agit d’un tour de force encore plus impressionnant à mon sens, avec le son qui est minimaliste : les bruits de pas, le grésillement des néons et un genre de cliquetis que je ne suis pas parvenu à identifier (qui semble intervenir pour valider ou invalider le passage au niveau suivant mais rien de sûr). Contrairement à des grosses productions horrifiques ou d’épouvante, pas de musique, pas de surenchère. Par conséquent, le moiiiiiiiiiindre petit changement, comme l’ajout d’un nouveau son, un rythme différent aux bruits de pas, un grésillement etc. ne sent absolument pas bon ! Exit 8 m’a parfaitement bien formaté à son environnement étriqué, et il n’est pas plus satisfaisant ni rassurant qu’il fonctionne alors normalement ou pas. Le soulagement de trouver la sortie est certes dû au plaisir d’avoir battu le jeu, mais la sensation d’être dans un insupportable dédale est forcément arrivée après quelques temps quand j’avais compris grosso-modo le principe de ce qu’étaient les anomalies mais qu’à chaque tentative il semblait qu’une nouvelle venait s’immiscer dans mon expérience et m’empêcher de partir, un vrai bon gros tonneau des Danaïdes, d’où j’ai eu relativement du mal à m’extraire.

Exit 8 est un jeu particulièrement intéressant à arpenter de fait, réalisé par une petite équipe et qui ne coûte que très peu, il m’a occupé tout de même trois heures et demie. Graphiquement, l’Unreal Engine fournit un décor simple mais très propre et efficace, j’ai regretté que le personnage de l’homme à l’attaché-case soit un peu raté visuellement, notamment les cheveux qui font peine à voir. D’un autre point de vue, en reconnaissant et mémorisant les 25-30 anomalies, cela réduit la puissance narrative du titre et transforme le jeu vers un simple « cherchez l’erreur ». Mais ce serait très hypocrite de ma part de prétendre que je ne me suis pas fait avoir. Excellente surprise, fascinante encore une fois !

Altie-
9
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le 6 févr. 2024

Critique lue 123 fois

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