Firewatch
7.2
Firewatch

Jeu de Campo Santo et Panic Inc. (2016PC)

https://www.youtube.com/watch?v=X6neFKE4yaE


Il est toujours intéressant de se plonger dans une production indépendante car ce sont les seules, depuis plusieurs années, à proposer des innovations en termes de gameplay et de narration. Loin des triple A et leurs ambitions calibrées, la scène indépendante reste encore gouvernée par l'acte de création et la volonté de produire une œuvre d'art avec ce qui sous entend de messages et de culture.


Campo Santo fait partie de ces studios, avec une équipe réduite de créatifs. Firewatch est pensé comme un jeu narratif car ces éléments de gameplay sont presque exclusivement basés sur le dialogue. On se retrouve dans la peau de Henry qu'un drame familial pousse à endosser le rôle de vigie du feu. Esseulé dans notre cabane aérienne d'une forêt du Colorado, c'est par le bais de notre talkie walkie que nous entretiendrons le contact avec Delilah, responsable des guetteurs. Si le jeu a un cœur, c'est bien cette relation par ondes interposées. Les premiers jours sont vraiment agréables. On découvre les quelques éléments de gameplay, un environnement chaleureux et les conversations avec Delilah. On se laisse happer par cet élan de simplicité, la modestie de la technique est compensée par une nature chaleureuse, presque toonesque, où les teintes chaudes s'infusent dans des paysages acceuillants. Chaque élément du décor interactif est l'occasion de parler avec Delilah. Le jeu adopte une écriture de dialogues mature et l'interprétation des acteurs de doublage est vraiment délectable. Derrière l'apparence désabusée, l'humour et l'ironie de cette relation hertzienne, on devine les drames qui ont façonné les personnages de Henry et Delilah. Si la majorité des échanges est déclenchée par le biais d'un objets ou d'un éléments du décor, certains sont scriptés et interviennent durant l'aventure pour étayer la narration.C'est un vrai plaisir de suivre ces conversations tant celles-ci se renouvellent et savent ponctuer le rythme de l'intrigue.


Découpées en chapitre plus ou moins long et intense, l'histoire débute modestement en nous faisant accomplir les tâches inhérentes à la fonction de guetteur : mettre en garde des utilisateurs de feux d'artifices, des campeurs sauvages et semeurs de canettes de bières etc... Ce quotidien est rassurant, on s'arrête régulièrement pour profiter du paysage et on déplie notre carte pour tenter d'explorer d'autres voies, on utilise notre corde pour descendre une pente abrupte en rappel. La musique, très discrète, habille avec pudeur ces quelques instants. Dans ces moments introductifs, on a l'illusion de liberté. Peu à peu, la douce ambiance des débuts laisse place à une sensation inconfortable.


Sous ses apparences de monde ouvert, on se rend compte que le chemin est balisé. La map est constituée de couloirs plus ou moins larges dont les accès sont soumis à l'utilisation de nouveaux objets (Cordes, pitons, piolet) ou de scriptes (feu contrôlé des pompiers). L'accessoire carte que l'on déploie à volonté est une illusion de liberté car on la met à jour régulièrement pour tracer en rouge les fameux couloirs de progression. On se retrouve alors dans une aventure encadrée où seul le scénario ouvre de nouvelles pistes à explorer. En parallèle, nous sommes toujours porté par la relation Henry-Delilah qui s'étoffe jour après jour. Malheureusement, les prémices de l'histoire et ses réflexions sur la fuite, la responsabilité et la perte laissent place à une intrigue conspirationniste assez maladroite dans son développement et sa conclusion. L’intérêt principal du jeu, à savoir la narration et le lien Delilah-Henry, se voit alors malmenée et le joueur sort de l'histoire dans ce virage scénaristique mal négocié. Avec la fin qui se dessine, on se rend compte à quel point cette forêt paraît vide. Même les animaux l'ont désertée. Durant toute l'aventure je n'ai croisé qu'un cerf, un raton laveur et une tortue. Même constat pour l'ambiance sonore assez pauvre qui manque cruellement d'impact. Nos propres pas sont quasi inaudibles, Henry traversant les broussailles et les sentiers caillouteux tel un fantôme. Que dire de ces idées de gameplay et d'intrigue qui semblent parachutées et dont la cohérence avec le monde apparaît artificielle. Par moment on a l'impression que le jeu a été élaboré autour de quelques idées innovantes qui n'arrivent pas se lier entre elles ni à s'intégrer idéalement à l'expérience proposée. Il reste une désagréable sensation d’inachevée lorsque que défile le générique de fin.


Firewatch est une œuvre imparfaite mais à l’identité propre. Le jeu propose une expérience unique qui plaira à ceux qui recherchent une approche vidéoludique qui s'éloigne des casugames à gros budget. Destiné à un public mature, le jeu de Campos Santo s'érige en représentant alternatif dans le genre narratif, offrant de nouvelles sensations aux joueurs blasés du système TellTale. Malgré un voyage en demi teinte dans sa deuxième partie, Firewatch parvient malgré tout à raviver les braises de l'émotion encore vivace après l'ouragan Life is strange.

Créée

le 19 mai 2016

Critique lue 405 fois

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Alyson Jensen

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