Furi
7.5
Furi

Jeu de The Game Bakers (2016PlayStation 4)

Gameplay maîtrisé, narration suggestive

J'ai découvert Furi quelques mois après sa sortie, malgré son grand succès (à son échelle de jeu indépendant) public et critique. Ce succès est amplement mérité, tant ce « boss rush » déborde de bonnes idées réalisées avec perfection, et tout simplement, de classe ! Je l’ai terminé une première fois en une journée seulement certes, mais quelle journée ! Je ne regrette pas une seule seconde mon achat : Je préfère largement un jeu court mais riche comme celui-là à un Far Cry 4 (par exemple) qui nous demande de faire la même chose pendant 30 heures. Maintenant, pourquoi Furi est-il aussi bon ?


Dès le premier boss, le gameplay s’impose comme une évidence : frapper, tirer, parer, esquiver. Un peu à la manière de Rayman Origins, le jeu est ultra simple à prendre en main, mais difficile à maîtriser. Comme dans Super Meat Boy, tout est très précis et fluide, et chaque mort est toujours de notre seul fait. Cependant la meilleure idée est le système des vies que l’on récupère à chaque phase accomplie. Cela permet des remontées insoupçonnées et héroïques, renforcée par la musique qui, en plus d’imposer un style qui colle parfaitement à l’ambiance visuelle et au système du jeu, s’intensifie à chaque phase arrachée au boss. Le contraste entre la simplicité de prise en main et la complexité des affrontements fait que l’on apprend de nos erreurs de manière quasi inconsciente. Se rendre compte qu’on est en train de maîtriser LA phase qui nous semblait impossible 20 minutes auparavant est un pur instant de gloire, et c’est souvent à ce moment précis qu’on prend conscience de toute l’intensité de la musique. Tous ces éléments combinés font qu’à chaque victoire on a le sentiment d’avoir accompli quelque chose, passé une étape importante, sentiment renforcé par les quelques détails supplémentaires à propos des gardiens donnés par notre compagnon The Voice entre chaque combat.


La narration, un peu à l’image du gameplay, est simple mais maîtrisée. Elle a quelque chose de très directe, car avant tout visuelle et sonore : entre chaque combat, le jeu ne nous demande qu’une chose, poser la manette et s’imprégner de l’ambiance. L’apparence des gardiens et des différents niveaux de la prison (très variés) est une déclaration d’amour à l’esthétique qu’ont de nombreuses œuvres japonaises : les couleurs sont très vives, les gardiens sont charismatiques. Tout est très beau, et très suggestif ; ces paysages et personnages, combinés à la musique, font travailler notre imaginaire, et évoquent des images fortes. La clef de voute de cette narration repose sur le mimétisme de notre personnage, et sur The Voice, qui fait la discussion pour deux. Qui sommes-nous ? Que pensons-nous ? Qui est The Voice ? Pourquoi nous aide-t-il ?


Comment se fait-il qu’il connaisse aussi bien la prison et ses gardiens ? Et surtout, pourquoi avons-nous été emprisonnés ? Une question que l’on peut ne se poser qu’assez tard dans notre avancée, car nous voyant nous faire torturer dès les premières secondes du jeu, il est assez naturel de s’identifier et de se dire "Ok, eux, ce sont des méchants". The Voice nous répète notre objectif (The Jailor is the key, kill him and you'll be free.), comme pour nous éviter de trop réfléchir. Et le fait que l’on nous traite plus tard de danger nocif est noyé par l’intensité des combats et notre envie de liberté.


La grande force de la narration est de nous laisser dénicher ces réponses parmi les quelques échappées de The Voice. En attendant de comprendre, nous ne pouvons que supposer. Le jeu a l’intelligence de ne nous donner que le strict minimum par l’intermédiaire des dialogues : le reste, par la force des images et de la musique, n'est que suggéré: on l’imagine. Les gardiens évoquent des personnages de manga (le vieillard qui contrôle le temps, le maître du combat qui s’entraîne depuis plusieurs siècles, le guerrier qui se bat pour protéger son monde et son fils, etc...). Ces analogies sont volontaires, assumées, et si tant est que l’on est aussi un peu familier avec ces standards de la culture populaire japonaise, notre imaginaire n’en est que décuplé lorsque nous essayons de comprendre les origines et les motivations de ces gardiens.


Enfin, à la sortie de la prison les images, tellement fortes, de notre personnage, marchant au milieu de sa désolation, parlent d’elles-mêmes. Tout ce qu’on a entendu des gardiens à notre sujet prend soudain sens. Générique. Parfait.


Quant à The Voice, on comprend, si l’on a été attentif aux détails et insinuations, qu’il est en fait l’architecte de la prison, que l’on a jeté en même temps que le prisonnier, ironiquement pour que personne ne découvre les secrets de la prison afin de s’en échapper. Pleinement conscient des risques et des enjeux pour le monde, il décide d’aider/utiliser le personnage afin de se venger, s’évader, et retrouver sa fille. Emeric Thoa, l’un des dirigeants du jeu, a lui-même dit que le scénario s’inspirait du mythe du Dédale et du Minotaure.


…Non pas que je renie la fin du jeu (le dernier boss), mais je trouve que continuer le jeu après notre sortie de la prison casse le choc de la vérité. J’aurai préféré que notre personnage reste un abjecte destructeur de monde, sans aucun sentiment ni empathie (ce qui expliquerait son mimétisme), et que le jeu se conclue sur le fait que ce soit nous, joueur, qui l’avons fait sortir. Ç'aurait été pour moi la meilleure fin possible.
Cependant le jeu nous permet (voire suggère fortement) de nous rebeller contre l’entité qui nous commande. Ce n’est pas une mauvaise idée : pour la première fois le jeu nous demande notre avis. Le joueur est libre de "se rebeller" contre le jeu, en même temps que le personnage est libre de renier sa nature.
Mais j’aurais préféré une fin désastreuse, emplie de fatalité. Ça n’aurait pas été très drôle certes, mais ça aurait été terriblement classe…


En résumé, Furi est une véritable œuvre, remplie de références visuelles et sonores, au gameplay très précis, et à la narration parfaite. Il y a tellement d’idées, de partis pris, et de concepts auxquels j’adhère à 200% que pour moi ça ne pouvait qu’être une excellente expérience.


Si un membre de The Game Bakers tombe par hasard sur cette critique : pitié, ne faites pas de suite à ce jeu, c'était génial, mais laissez le tranquille, étendre cet univers ne pourra que le rendre moins ouvert à l'interprétation. C'est en laissant des questions en suspens, des inconnues, qu'on permet au joueur de penser, d'inventer ce qui manque.

Gascoigne
10
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Créée

le 25 janv. 2017

Critique lue 583 fois

6 j'aime

Gascoigne

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