Dans le manuel d’instructions de Gears of War (Epic Games), on peut lire en préambule une note d’intention du responsable conception du jeu, chose assez rare pour être soulignée vue l’absence quasi-totale de toute garantie auteuriale dans le jeu vidéo (et que regrettait encore récemment Vincent Guignebert dans le dernier numéro de Chronicart). Absence qui n’est sans doute rien d’autre qu’un corollaire d’une ontologie du jeu vidéo basée sur l’engagement d’ un processus biphasique (cf. Goodman dans Langages de l’Art) où se dissocie (jusqu’à ici se dissoudre totalement) la figure de l’auteur dont la légitimité se concentre exclusivement dans le code initial pris dans sa totalité. Pour reprendre nos précédents propos, c’est véritablement le joueur, nous, qui livrons selon certaines modalités (interactions avec la machine, lecture et répétition, mémorisation et création d’automatismes) une exécution libre de ce code et définissons le jeu vidéo comme classe de concordance de toutes ces exécutions.

Exceptions culturelles mises à part, il semble alors que le jeu vidéo doive rester encore pour un moment la production d’un vide à peupler par le joueur. C’est ce que nous fait comprendre cette note, où l’expérience Gears of War est présentée dans tous ses choix de gameplay (effet de caméra portée, dynamique contextuelle, mise à couvert…) comme génératrice d’affects similaires au paintball (1), et uniquement dans cette perspective. Le jeu, en fin de compte, avec des moyens de mise en oeuvre démesurés (le jeu s’affiche clairement comme vitrine next gen) n’exprime ou ne symbolise pour autant rien du tout, et même pas la volonté de le faire, comme le fait par exemple un Call of Duty ancré dans une perspective historique. Dans cet univers totalement délié, où la menace extraterrestre ne signifie proprement rien, il ne fait que produire, comme objet littéral dont l’unique fonction est d’engendrer des situations s’enchaînant selon un principe de parfaite suffisance.

C’est là où, parallèlement à la débauche technologique extraordinaire, le jeu se révèle d’une remarquable radinerie : les fusillades s’enchaînent avec juste assez de variété et d’ampleur, le jeu est juste assez long, il y a juste assez d’armes et de trouvailles (la tronçonneuse-baillonnette et le brise-crâne). En cela, Gears of War rend l’expérience du jeu vidéo parfaitement dérisoire sans jamais la rendre ennuyeuse et présenter quelconque insuffisance (comme dans les FPS par exemple où l’on est strictement cantonné à un regard et où l’action manque dans son effectuation -insuffisance à laquelle Gears of War échappe avec une vue à la troisième personne-). Le jeu n’entend jamais, comme le font les Japonais -mais c’est une autre histoire-, faire excéder sa propre fermeture par quelque frivolité. Il est toujours plein sans jamais déborder, d’une parfaite suffisance ne convenant définitivement qu’au jeu vidéo, et à nous les joueurs, celle du vide.

(1) En voici notamment un extrait : « Il y a assez longtemps, j’ai joué au paintball. J’étais accroupi dans les bois et des petites billes de peinture ultra-rapides éclataient au-dessus de ma tête. Je me suis dit qu’être pris dans une fusillade devait ressembler à ça (…) »
KDD
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le 31 août 2014

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Khanh Dao Duc

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