GRIS
7.5
GRIS

Jeu de Nomada Studio, Berlinist et Devolver Digital (2018PC)

En 1999 The Legend of Zelda : Majora's Mask proposait une réinterprétation de la théorie des 5 étapes du deuil établie par Élizabeth Kübler-Ross. Cette théorie décrit le deuil comme un processus en 5 étapes :



  • Choc et déni

  • Colère

  • Marchandage

  • Dépression

  • Acceptation


Majora's Mask était selon certains l'occasion d'explorer tour à tour ces différentes phases matérialisées par les différentes zones du jeu. Les graphismes, les musiques et surtout l'histoire permettaient au joueur de ressentir au travers du personnage de Link les émotions associées à chacune de ces phases.


Pourquoi je vous parle de tout cela ? Parce que Nomada Studios a fait preuve d'une ambition spectaculaire pour son premier jeu : celle de dépasser Majora's Mask en permettant au joueur d'expérimenter de manière encore plus riche le processus du deuil. Et plus impressionnant encore : il y est parvenu.


Comme son prédécesseur, GRIS utilise à merveille les graphismes et les musiques pour faire passer son message. Je ne m'attarderai pas là-dessus car tout (ou presque) a déjà été dit. Sachez simplement une chose : tant graphiquement que musicalement le jeu est sublime, s'offrant à chaque instant à la contemplation. Je soulignerai un seul point notable : le choix d'associer, de manière assez simple mais aussi extrêmement parlante, chaque émotion à une couleur et un élément.


La dépression est ainsi représentée par le bleu et l'eau, vous poussant à littéralement plonger dans les abysses avant de finalement faire face à vos démons pour accepter le deuil. L'acceptation est quant à elle associée au jaune et à la lumière, symbole de la révélation qui attend Gris alors qu'elle reprend enfin goût à la vie.


Ces associations fortement évocatrices parlent directement à notre inconscient, nous aidant à ressentir plutôt que comprendre ce que l'héroïne traverse. La musique vient par ailleurs subtilement renforcer chacune des phases du jeu, enrichissant encore les émotions ressenties tour à tour par le joueur.


Tout cela est magnifiquement réalisé mais, comme l'ont souligné beaucoup de critiques, graphismes et musiques ne suffisent pas pour faire un jeu. Le cœur d'un jeu vidéo, ce qui justifie son appartenance au médium vidéoludique, c'est son gameplay au sens large, c'est-à-dire l'ensemble des interactions qu'il offre au joueur pour agir sur le monde qui se dévoile sous ses yeux. Sans gameplay digne de ce nom, un jeu pourrait tout aussi bien se réduire à un court-métrage.


C'est précisément par son gameplay si critiqué que GRIS surpasse à mon sens Majora's Mask. Certes les mécaniques de jeu sont assez simples et peu originales, les énigmes faisant souvent pâle figure face à la richesse de la scène indépendante durant la dernière décennie. Mais tout le génie de Nomada Studios réside dans l'utilisation qui est faite des interactions. Chaque mouvement, chaque pouvoir, chaque énigme ont été pensés pour s'inscrire parfaitement dans la zone où ils apparaissaient et permettre au joueur de ressentir de manière plus intense les émotions associées à la phase correspondante.


Lorsque la statue représentant l'être cher est détruite, Gris ne peut plus que marcher dans un monde sans couleur et sans voix, encore sous le choc de la disparition. Elle réapprend presque immédiatement à courir, lui permettant de fuir dans le déni. S'ensuit une phase où elle devra faire face à sa colère, mais aussi à celle du monde qui l'entoure, en cherchant en elle la force de résister. Elle cherchera ensuite à négocier le retour de l'être aimé avec l'aide d'un personnage singulier qui sera le premier être vivant rencontré dans le jeu. Grâce à lui elle obtiendra le double-saut, pouvoir lui permettant de s'élever un temps en s'appuyant sur l'aide d'autres êtres avant de retomber dans un océan de larmes. Ce n'est qu'en plongeant à la source de cet océan qu'elle trouvera la force de sortir de la dépression, pour regagner la lumière lui permettant d'enfin accepter le monde tel qu'il est désormais, au-delà des ombres et des illusions... Même l'impossibilité de mourir fait sens : le pire dans le deuil est d'y rester, piégé dans une contemplation qui nous fait oublier le réel goût de la vie. La mort serait dans le jeu une échappatoire, qui ne ferait pas sens avec le reste de l'expérience.


Je pourrais décortiquer ainsi tous les niveaux du jeu : chaque boucle de gameplay résonne directement avec la narration du jeu et l'amplifie, de telle sorte que l'apprentissage du joueur suit parfaitement l'évolution intérieure de l’héroïne qui apprend à surmonter ses démons.


GRIS est donc une expérience unique : l'un des premiers jeux à réussir si bien l'unification du gamedesign, des graphismes et des sons (Celeste, sortit la même année, y parvient également à sa manière, et on pourrait aussi citer les jeux de Fumito Ueda), vous permettant de vivre, par vos yeux, vos oreilles et vos doigts, le cheminement intérieur de l'héroïne qui tente de retrouver goût à la vie.

Iorveth
9
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Créée

le 2 févr. 2020

Critique lue 185 fois

4 j'aime

Iorveth

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