Legend Of Kena

Étrange contraste de ce titre de proposer un enrobage visuel et sonore digne des meilleures productions tout en ne parvenant pas totalement à dissimuler les errements créatifs d'une jeune équipe. Une inexpérience qui est surtout palpable durant les premières heures de l'aventure où la féérie a quelque peu du mal à opérer. Une structure parfois frustrante dans sa linéarité (parsemée littéralement de barrières autant spirituelles que physiques), un déroulement qui s'annonce déjà redondant et un système de combat qui se révèle étonnamment punitif en dépit de ces quelques imprécisions, quelque chose empiète clairement sur l'immersion sans parvenir exactement à définir le problème plus global.

Et puis les premières cinématiques dramatiques font leur apparition et l'écueil devient alors plus éloquent. En dépit de son exceptionnelle technicité, le jeu présente malgré tout un contraste saisissant, et un peu regrettable, entre l'ambiance inquiétante, et presque angoissante, de ces splendides cutscenes et l'atmosphère beaucoup plus guillerette du jeu concret avec ces mignons Pokémons qui gambadent autour de notre personnage. Un décalage qui malmène parfois notre implication envers le récit en véhiculant l'impression de regarder deux récits bien distincts : celui d'un splendide film d'animation, clairement inspiré de la tonalité déroutante d'un Majora's Mask, et l'aventure beaucoup plus enchanteresse vécue en incarnant concrètement l’héroïne. Une démarche peut être compréhensible dans la mesure où peu de titres de cette envergure peuvent finalement s'adresser à un jeune public mais qui s'avère assez étonnante dans la mesure où le titre n'hésite pas à hausser de manière inattendue son exigence en matière d'affrontements.

Fort heureusement, Kena est de la trempe de ces jeux qui se bonifient sur le long terme, parvenant à outrepasser les premières impressions mitigées qu'il suscite:

-En premier lieu, le titre se révèle particulièrement inspiré dans les nombreuses énigmes qui parsèment son périple. Des puzzles intuitifs, ingénieux et amusants qui portent clairement la marque d'influence d'une certaine franchise connue de Nintendo, un modèle qu'il n'est tout de même pas facile d'égaler. Le déblocage un peu trop tardif de la dernière compétence de Kena offre d'ailleurs une vraie libération du jeu en la matière.

-Puisque le système de combat occupe une place plus importante qu'on ne l'aurait cru, le jeu a le mérite de proposer un bestiaire étonnamment varié, notamment durant ses affrontements de boss qui parviennent à se renouveler même durant le dernier quart de l'aventure.

Ce furent les deux principales qualités du titre qui me permirent d'arriver au terme de ce périple d'une durée suffisamment maitrisée pour véhiculer l'impression d'un beau voyage sans étirer inutilement son propos. Et fort heureusement car le déroulement du titre se révèle hélas extrêmement rébarbatif; le récit peut se dissocier en trois parties distinctes qui proposeront le même cheminement narratif et les mêmes étapes en matière d'interactivité. Une impression de redondance d'autant plus marquée que ces intrigues semblent trop souvent dissociées, en dépit de leurs éléments communs, alors que le récit semble fournir quelques indices qui mèneraient à une réflexion plus globale sur la teneur de ces évènements. Malheureusement, le jeu ne propose pas réellement de puzzle à compléter en matière de narration, juste des intrigues fragmentées qui seront résolues quoiqu'il advienne à leur dénouement.

Une redondance narrative qui s'accompagne également d'une certaine lassitude en matière d'exploration. Le Level Design des différentes zones à parcourir est généralement soigné mais le monde n'est pas réellement interconnecté, de telle sorte qu'il propose davantage des niveaux séparés qu'un ensemble véritablement cohérent. Bien sûr, tous les jeux ne sont pas obligés de lorgner vers le MetroidVania mais le titre se révèle néanmoins assez inefficace pour inciter à la redécouverte des zones déjà visitées, notamment à cause d'un certain manque d'éléments gratifiants à débloquer. Alors que les combats deviennent de plus en plus éreintants, le joueur n'a finalement que bien peu d'éléments pour accroître la force de son personnage, passant davantage de temps à débloquer des chapeaux cosmétiques pour les mignons Pokémons. Un syndrome Fallen Order et ces maudits Ponchos qui n'incite pas vraiment à explorer davantage un univers relativement vide au demeurant.

En définitive, Kena offre certes une aventure tout à fait louable pour un premier essai et dont la qualité visuelle des cinématiques rappellerait presque la grande époque de SquareSoft mais de nombreux écueils l'empêchent néanmoins de véhiculer un périple réellement impactant dans l'esprit du joueur. Alors finalement, à quel public s'adresse exactement ce jeu ? Telle est la question légitime qu'il pourra susciter. Il s'agit certainement d'un titre que les parents pourront aisément parcourir en compagnie de leurs enfants, mais il leur sera vivement recommandé de se méfier de la difficulté inattendue du titre (la parade vous sera par ailleurs d'une grande utilité durant certains duels, même si son timing paraît souvent un peu trop hasardeux et imprécis. J'avouerais également que le boss final en mode Expert a réussi à me faire jeter la manette tant il accumulait les enchainements d'attaques impossibles à anticiper que je déteste dans ce média :p). Pour ma part, l'atmosphère enfantine du titre a clairement empiété sur mon implication envers les drames narrés par le récit, comme si le jeu se restreignait à ne pas assumer ses velléités tragiques et angoissantes pour ne pas s'éloigner d'une partie des jeunes acheteurs potentiels.

Un jeu qui ne manque clairement pas d'âme. Mais peut être légèrement d'esprit.