La Légende de Thor
7.7
La Légende de Thor

Jeu de Ancient et Sega (1994Mega Drive)

Que se passe-t-il quand on veut faire un RPG mais on le veut un peu plus "action" et, au final, on veut plutôt de la vraie baston ? Il est très probable qu'on finisse par se trouver en main quelque chose comme La Légende de Thor.
Appelé The Story of Thor en japonais et Beyond Oasis en américain (ce qui à mon avis avait plus de sens puisqu'il n'y a AUCUN Thor dans l'histoire), ce jeu Sega essaie de pénétrer à la fois le marché de Final Fantasy, celui de Zelda et celui de Streets of Rage. Pour ce dernier aucun souci, puisque le développeur de Thor, Ancient, s'était occupé de Streets of Rage 2 quelques années auparavant ; mais comment se débrouille-t-il dans les deux autres domaines ?


Côté RPG, on peut dire que le jeu fournit le minimum strict de ce qu'on peut attendre du genre. Le scénario est très basique, avec le prince de l'île d'Oasis, Ali, qui après la découverte d'un bracelet d'or se retrouve à devoir sauver le royaume de tout un ensemble de monstres qui semblent avoir été invoqués par le possesseur du bracelet d'argent, lui aussi qui vient tout juste d'être retrouvé. A peine débarqué, Ali doit donc déjà tabasser les brigands qui se sont infiltrés dans le petit village portuaire, avant de commencer sa quête pour récupérer les esprits élémentaux et battre le bracelet d'argent. Il est clair qu'on se situe d'emblée dans un domaine très loin de celui d'un JRPG avec ses combats statiques et réfléchis et son scénario flamboyant : ici, tout semble avoir été fait de la manière la plus linéaire possible pour te permettre de rentrer tout de suite dans le vif. Même la progression du personnage, seul élément qui aurait peu le rapprocher des RPG plus classiques, se retrouve à l'exact opposé du canon : la seule manière d'obtenir le meilleur titre à la fin du jeu est de ne pas du tout avancer de rang !


Il faut du coup se situer sur le terrain de l'action-RPG pour mieux pouvoir jauger de cette oeuvre. Et c'est là qu'il révèle tout son potentiel véritable. Dans le plus pur type du genre, l'ensemble de Thor est une séquence de combats et de puzzles à résoudre à travers des donjons variés. Je dis bien séquence, car du début à la fin du jeu tu n'as guère de moments de répit vu qu'il n'existe que deux villes sur l'ensemble de l'île et que tu n'y reviens qu'après une très longue série de cavernes et de forteresses interrompues par quelques zones en plein air également pleines d'ennemis. Ce manque d'endroits sans combats pour reprendre le souffle est peut-être l'un des principaux défauts du jeu, mais qui devient moins lourd du fait de son niveau assez gérable : il est très difficile de se perdre dans ses donjons plutôt linéaires et lisibles, et on risque rarement de se faire maraver durant l'exploration.
La Légende de Thor introduit des mécaniques originales grâce à l'invocation des esprits. Au nombre de quatre, les esprits peuvent être appelés par l'utilisation d'un item approprié, mais plus couramment ils seront invoqués en tirant une boule de lumière sur un objet qui correspond à son élément : Dytto, l'esprit de l'eau, peut être appelé en tirant sur toute surface aquatique y compris des gouttes d'eau qui tombent du plafond ou des ennemis faits d'eau (comme ces fichues flaques qui sautillent partout) ; Efreet, l'esprit du feu, évidemment par le biais de toute chose enflammée ; Shade, l'esprit de l'ombre, est invoqué en tirant sur toute surface refléchissante (miroirs, armures, glace...), et enfin Bow via des petites plantes disséminées tout au long du jeu ou l'item laitue. En plus d'aider Ali dans les combats, les esprits devront très souvent être mis à contribution pour résoudre les nombreux casse-tête qui requièrent l'usage de leurs pouvoirs de façon simple ou combinée. Le fait que leur force s'épuise toute seule avec le temps tant qu'ils sont invoqués oblige par ailleurs à être économe afin de ne pas risquer de ne plus avoir de mana là où il y en a besoin (mais n'ayez pas crainte, les points magie se rechargent lentement tout seuls dès qu'on annule l'invocation) ; bref, comme dans tout action-RPG qui se doit on exige de toi un bon travail de l'intelligence pour comprendre comment on avance dans le jeu. Heureusement dans Thor tu peux deviner ce qu'il faut faire assez facilement après quelques essais et sans perdre ton temps avec des micmacs inextricables et frustrants ; c'est suffisamment compliqué pour le challenge, mais suffisamment simple pour te donner l'impression que tu peux quand même réussir.


On arrive enfin aux combats, et c'est là que Thor manifeste ses velléités de beat'em-up. Dès le moment où tu prends le contrôle d'Ali tu disposes d'une vaste gamme de techniques pour maraver l'ennemi : armé de couteau, le prince peut poignarder et entailler debout ou accroupi, il peut donner des coups de pied en sautant et même les enchaîner rapidement pour un combo. Pour les joueurs les plus expérimentés ou pour les fans de jeux de combat, Ali peut aussi exécuter des combos spéciaux à l'aide de sa croix directionnelle qui font beaucoup plus de dégâts à l'ennemi ; certains peuvent être très utiles comme l'attaque circulaire qui te libère quand t'es encerclé par les ennemis, mais pour les autres on aura tendance à en faire un usage limité car si l'on rate sa cible ils te laissent longtemps sans protection. En plus de ça Ali dispose d'un grand nombre d'armes différentes (bombes, épées ou arbalètes) qui sont plus ou moins efficaces selon l'ennemi et la situation.
La variété de techniques et d'armes rendent La Légende de Thor assez proche d'un Terranigma dans l'esprit, mais si celui-ci gagne dans le domaine de la réactivité et de la maniabilité, Thor remporte clairement la mise côté fun : que c'est beau de tabasser tous ces truands à coups de pied ou d'épée ou en tirant sur eux des flèches explosives ! Les combats s'épuisent rarement en quelques coups, et ils exigent d'apprendre à connaître le comportement de chaque ennemi si l'on veut réussir sans prendre trop de dégâts. Comme dans les beat-em'ups on aura tendance en effet à rencontrer les mêmes ennemis plusieurs fois un peu plus puissants avec chaque changement de couleur, ce qui permet de les maîtriser et de ne pas se retrouver avec des comportements tout à fait inédits à chaque nouveau tableau. Le jeu importe hélas aussi un élément fastidieux typique du genre, à savoir la difficulté à se retrouver au bon endroit pour toucher un ennemi : il est ainsi parfois compliqué de savoir dans quel sens le personnage doit regarder pour pouvoir frapper l'adversaire, et le point de vue très bizarre du jeu rend assez ardu de juger si un monstre volant se trouve devant, derrière ou à côté d'Ali. Les développeurs n'ont vraiment pas fait de cadeau à ce niveau-là... Mais malgré ces petits défauts, on prend un franc plaisir à maraver tout ce qu'on rencontre et à écouter les cris de souffrance des vaincus.


On en vient donc à l'aspect plus proprement artistique. Niveau sonore, Thor s'avère être une expérience assez... expérimentale. Dehors l'électro et le rock qui caractérisent la plupart des RPG, l'auteur de la BO s'en est tenu à un style de composition orchestral purement classique qui à travers la Megadrive donne un résultat assez déroutant, comme si on jouait du Wagner sous acide sur un vieux clavier Casio. Même si les musiques sont rendues moins marquantes par ce choix bizarre, elles parviennent au final à rendre de manière assez adéquate l'atmosphère orientale rêveuse et éthérée qui est propre au monde de Thor. Et ça fait franchement du bien pour une fois d'entendre des sons reposants et aériens quand on traverse forêts et châteaux ! C'est rien que l'on pourrait écouter une fois la console éteinte, mais c'est tout à fait bienvenu pendant la partie.
Les graphismes sont eux top niveau avec des sprites très gros et très détaillés, des backgrounds colorés et une multitude d'environnements différents à explorer. On est un peu dérouté au début par la taille du personnage inhabituellement grande pour un RPG, mais elle n'est jamais un obstacle pour le déplacement ou pour la lutte.


Si le jeu a une durée très limitée comparée à la plupart des RPG (6-7 heures maximum en visitant toutes les aires secrètes), la part active que l'on prend en son sein le rend suffisamment intense pour qu'on n'éprouve pas de regrets après l'avoir fini. Le classement à la fin est là pour te rappeler que tu pourrais même y jouer plusieurs fois en essayant cette fois-ci de ramasser toutes les gemmes ou les armes infinies... Mais même en n'y jouant qu'une seule fois, La Légende de Thor reste de la bonne jouissance vidéoludique qui ne devrait point déplaire aux fans de Zelda. Une oeuvre qui mériterait sans doute d'être davantage connue !


GAMEPLAY : 9/10
SCENARIO : 6/10
PERSONNAGES : 6/10
GRAPHISMES : 8/10
MUSIQUES : 7/10

ReveLunaire
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs jeux de rôle japonais (JRPG) et Les meilleurs jeux de la Megadrive

Créée

le 22 août 2014

Modifiée

le 23 août 2014

Critique lue 1.6K fois

Rêve Lunaire

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

D'autres avis sur La Légende de Thor

La Légende de Thor
moumoute
7

Critique de La Légende de Thor par moumoute

Un jeu d'aventure sur Megadrive, c'est assez rare (Landstalker, Soleil, Phantasy Star, Shining Force...), alors à chaque fois c'est un fait exceptionnel. La Légende de Thor se situe facilement dans...

le 1 oct. 2010

4 j'aime

La Légende de Thor
I-Reverend
9

Pour toi Michelle.

J’ai découvert la Légende de Thor en même temps que les calissons d’Aix. Oui, c’est une introduction abrupte et incongrue mais elle a non seulement le mérite d’exister, d’être tout à fait vraie, et...

le 11 mars 2020

3 j'aime

La Légende de Thor
pixelastic
5

Critique de La Légende de Thor par pixelastic

La Légende de Thor c'est un Beat them all qui se fait passer pour un RPG. Alors oui le début du scénario où on se retrouve sur la plage et notre village se fait attaquer, et qu'on doit aller trouver...

le 17 mars 2013

2 j'aime

Du même critique

Fear Inoculum
ReveLunaire
6

L'entité générique de Keenan

J'ai envie de parler du grunge minimaliste, sec et violent d'Undertow ; j'ai envie de gloser autour des courtes bizarreries qui ponctuent l'intense AEnima ; j'ai envie de débattre des délires de...

le 30 août 2019

27 j'aime

9

La Route de la servitude
ReveLunaire
4

Un plaisant classique de la manipulation

Vous voulez connaître le nom du premier ouvrage de philosophie politique qui applique systématiquement le point Godwin ? Cherchez pas plus loin, La route de la servitude est bien ce...

le 13 août 2013

22 j'aime

3

Mark Hollis
ReveLunaire
10

Elégie au silence

"Le silence dépasse tout ; j'aimerais mieux entendre une note que d'en entendre deux, et j'aimerais mieux entendre le silence que d'entendre une note". (Mark Hollis) J'ai essayé d'écrire au sujet de...

le 28 févr. 2019

10 j'aime