« Ils se sont constitués juges et jurés, je me constituerai bourreau ! »

Silicon Knights, jeune studio canadien n’ayant réalisé alors que quelques jeux, notamment de stratégie et de tactique, largement méconnus dans la première moitié des années 1990, développe et connaît son premier grand succès avec Legacy of Kain Blood Omen. Il s’agit du premier épisode de la saga Legacy of Kain, dont le développement sera intégralement repris par Crystal Dynamics alors éditeur. Ce sont bien les aventures de Kain qui sont racontées de son point de vue, lui qui deviendra aussi antagoniste par la suite de la saga, un parti pris déjà original sur lequel je reviendrai. Mais nous faire jouer un anti-héros est-il suffisant pour me plaire malgré le poids des années, voyons cela avec ma critique durant laquelle je vous propose l’écoute de Nupraptor's Retreat.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : 7 / 10



Sorti en 1996, quelques mois avant le premier Diablo pour vous resituer le contexte des jeux de rôle en temps réel occidentaux de l’époque, Legacy of Kain Blood Omen arbore un style graphique vu de dessus qui a plutôt bien vieilli grâce à une incrustation des éléments en mouvement très homogène avec les décors parcourus. Malheureusement, la version Playstation 1 originale est la version du pauvre de ce titre à cause de l’écran de jeu de plus petite taille et des temps de chargement plus longs alors que très nombreux par rapport à la version PC qui sera assez solide sur le plan technique quelques mois plus tard.


La raison à ces problèmes c’est que le jeu avait d’abord été développé pour la 3DO, Crystal Dynamics ayant largement soutenu la console à ses débuts, avant d’être revu en catastrophe pour la Playstation 1 en cours de route suite à l’échec commercial de la machine de Panasonic. Il n’aura pas fallu attendre si longtemps pour avoir une version officielle résolvant ces problèmes, mais il n’empêche que la version originale n’était pas forcément à la hauteur du coup. Si vous voulez y jouer sur une machine moderne vous pouvez aujourd’hui installer ce patch non officiel qui vous permettra de jouer au jeu dans les meilleures conditions possibles tout en restant authentique par rapport au matériau d’origine.


Toujours concernant la technique du jeu, on peut noter tout de même d’assez grandes ambitions, notamment avec la météo dynamique et le cycle jour / nuit en continu, une réelle utilisation de sources de lumière dynamique… qui témoignent d’une volonté de faire un grand jeu qui trouvera finalement ses carences techniques dans un développement ne s’étant pas déroulé comme prévu, la 3DO et la Playstation 1 ayant un fonctionnement très différent. Ce n’est pas bien grave puisque la solution PCiste est vite apparue pour que ces ambitions soient bien délivrées, mais c’est la principale limite à ce bilan technique.


La très belle introduction qui rend hommage au Dracula de Francis Ford Copolla délivre les intentions de la direction artistique générale du titre, dark et glauque au possible. En témoigneront par la suite ces créatures ennemies monstrueuses, ces humains torturés, ces cascades de sang… pour ne citer que quelques petites choses synonymes d’innocence et de fraîcheur de vivre. Ça passe aussi par des animations assez violentes qui récompensent les morts ennemies spectaculaires en combinaison des cris de douleur qui instaurent vraiment cette frénésie de la violence en permanence.


C’est violent mais c’est surtout soigné et élégant avec notamment un chara-design du protagoniste particulièrement stylé entre les artworks de ses formes et sorts, son portrait changeant selon son équipement… Il y a aussi quelques très jolis plans esthétiques, comme à la fin du donjon en forme de crâne où on peut voir le monde à travers les yeux en verre de couleurs différentes. Les cinématiques auront par ailleurs d’excellentes idées de mise en scène comme la vue subjective pour illustrer un vol transformé en chauve-souris.


Enfin pour la partie sonore, la composition musicale oppressante signée par Steve Henifin, qui deviendra le compositeur attitré du studio Silicon Knights suite à première cette collaboration, fait très bien son office afin d’instaurer une ambiance macabre réussie avec quelques pointes d’épicness par moment, dommage que le mixage audio avec les voix et les bruitages ne lui rendent pas toujours justice. Qui dit voix dit doublages et alors là, autant les doublages anglais sont assez soignés, autant les doublages français sont assez catastrophiques il faut bien le dire. En somme, on a des faiblesses ici et là qui ne gâchent pas non plus trop un bilan technique et esthétique plutôt convaincant, en est-il de même pour le reste ?



GAMEPLAY / CONTENU : 7 / 10



Legacy of Kain Blood Omen voit son game-design directement inspiré d’un The Legend of Zelda A Link to the Past, à une époque où Ocarina of Time n’était pas encore sorti et que la 3D était encore très peu expérimentée. C’est un choix que l’on peut juger peu audacieux à l’entrée de la cinquième génération de consoles mais personnellement j’ai toujours préféré un titre en 2D maîtrisé à un jeu en 3D très brouillon juste pour paraître moderne, du coup je ne le sanctionne absolument pas et même au contraire j’ai tendance à y adhérer. Reste à savoir si la qualité est bien entendu au rendez-vous.


Le maniement est assez rigide, et même simpliste de prime abord, mais compensé déjà par un minimum de technique quand on comprend les petites subtilités pour stun et esquiver mais aussi et surtout par un nombre conséquent de variables possibles : des armes (faibles mais pouvant facilement stun, fortes mais privant de magie...), des sorts (d’attaques à distance, d’affaiblissement...), de formes (modifiant nos vulnérabilités et résistances, induisant un maniement différent...), d’objets consommables (de soin, de destruction...)…


Ça donne un gameplay très riche au final, notamment quand on combine ses éléments ensemble pour que leur complémentarité fasse la différence. Il n’y aucune technique réellement surpuissante, même vers la fin du jeu où des stratégies très efficaces dans certaines circonstances peuvent se retourner contre nous dans d’autres. Je pense par exemple à l’absorption du sang qui peut autant nous maintenir en vie que nous condamner selon la nature du sang ingéré, une idée assez brillante qui force à toujours prendre en compte son environnement.


Le seul problème de ce concept c’est qu’il implique beaucoup d’aller et venues dans le menu et quand ça donne des temps de chargement à répétition, ça se combine très mal aux problèmes de la version Playstation 1 qui peut vite devenir infernale sur la question, malgré les raccourcis qui peuvent limiter le problème mais pas le faire disparaître. Il n’est par exemple pas possible de switcher d’armes en temps réel, hors les armes sont également complémentaires les unes par rapport aux autres, il est quasiment impossible de garder la même sur une longue session de jeu sans se retrouver en grande difficulté.


Les donjons ont une courbe de difficulté très scolaire mais efficace, par exemple on introduit individuellement les piques dans lesquelles il ne faut pas tomber, puis les magiciens qui tirent des projectifs et nous forcent le combat à distance, ensuite la glace au sol qui nous donne une inertie différente moins pratique, et enfin on mélange tout ça progressivement avec à la fin une salle mélangeant les 3 pour un maximum de danger. Encore une fois, il n’y a rien d’original dans cette proposition mais c’est maîtrisé et c’est ce qui compte le plus à mes yeux.


Par contre, la progression n’est pas toujours très claire avec des portes qui se débloquent de façon un peu étrange, parfois il faut appuyer sur tous les interrupteurs mais parfois seulement ceux que le jeu a arbitrairement décidé de rendre à actionner, parfois il faut tuer tous les ennemis, parfois en laisser impérativement en vie pour se servir d’eux… C’est un peu frustrant d’être bloqué, ou au moins ralenti, à cause de ça et ce manque de lisibilité se retrouve aussi hors des donjons avec une map qui n’affiche pas très clairement certains passages entre des zones. En dehors de ces quelques défauts, le gameplay tient lui aussi plutôt bien la route mais le meilleur est encore à venir.



SCENARIO / NARRATION : 8 / 10



L’introduction est assez audacieuse avec notre avatar perdant la vie au premier combat vécu, par contre son peu de caractérisation en tant qu’humain est un peu regrettable à mon sens. La folie meurtrière de notre personnage va très vite apparaître, il aurait pu être intéressant de rendre le processus plus progressif et plus justifié, mais évidemment il y a un certain plaisir à incarner un monstre pareil, un plaisir qui n’est pas du tout la seule ambition du scénario, qui en serait bien pauvre sinon. Déjà, on incarne un être maléfique face à d’autres êtres maléfiques, les innocents n’étant que tués parce qu’ils se trouvent sur notre chemin en fait.


Ce n’est pas juste un méchant que l’on incarne pour le plaisir, il y a toute une histoire derrière qui va se révéler dans cette espèce d’ode à la loi du plus fort où le mal est partout, où la notion de mal en devient même désuète de par cet état de fait. Un être maléfique va commettre un assassinat qui va motiver un acte de vengeance, qui en entraînera un autre, puis encore un autre… jusqu’à ce que tous les êtres les plus puissants de cet univers soient pris de cette folie meurtrière sans que personne ou presque ne pense aux conséquences, ce qui était précisément le but de ce premier être maléfique.


Certains personnages ont par ailleurs vraiment un destin funeste des plus matures, comme Malek qui se retrouve emprisonné dans un état de servitude absolue et éternelle en punition de son échec à assurer sa mission de protéger les membres du cercle. C’est un scénario des plus adultes qui va jusqu’au bout de son concept et qui se combine pertinemment avec l’esthétisme mentionné plus tôt, contrairement à un Castlevania par exemple qui pouvait arborer ce style d’esthétisme très dark mais avec une quête du bien contre le mal, parfaitement absente ici.


On peut nous faire croire à un moment donné que l’on sera un héros malgré nous, mais ce n’est pas comme ça que les choses évolueront selon la fin choisie par le joueur :


Même si la fin selon laquelle Kain s’approprie le pouvoir pour lui-même indépendamment des conséquences funestes que cela engendre pour l’humanité paraît plus cohérente tant le personnage s’est montré violent et pas du tout concerné par les problèmes des autres durant l’aventure, les développeurs ont quand même laissé le choix au joueur pour qu’il sauve le monde en sacrifiant sa propre existence au passage, confirmant ainsi l’aspect damné de son sort, peu importe la fin retenue.


C’est aussi un scénario complexe qui va comporter beaucoup de twists, de voyages dans le temps, de manipulations surprenantes… et si c’est assez compliquée à suivre en jeu, ça constitue un tout très cohérent à l’arrivée. La multiplication de personnages et de révélations successives peuvent être un peu confuses au premier run et à chaud, mais ça va encore. L’exercice est plutôt bien exécuté, bien que délicat, et la narration est ambitieuse dans sa complexité et subversive dans sa violence, ce qui est assez notable.



CONCLUSION : 7 / 10



Si l’on excepte les carences techniques de la version originale sur console, Legacy of Kain Blood Omen est un Zelda-like 2D à la direction artistique obscure soignée, au gameplay riche et bien équilibré et à l’intrigue complexe et mature. Il marque très efficacement le début prometteur d’une saga des plus intéressantes et avec son patch non officiel peut même être considéré à lui seul comme un des tous meilleurs Action-RPG occidentaux des années 1990 à mon sens.

damon8671
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le 15 août 2019

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damon8671

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